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le Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine (@jarrga)/journals open edition
Les montagnes ne repoussent pas : histoire d’un extractivisme apuan
#Carrare #marbre #extractivisme #ecosystemes
Article mis en ligne le 13 février 2025

Les 16 et 17 décembre, deux journées de débats et de manifestations ont été organisées à Carrare, en Toscane, pour dénoncer la dévastation du territoire provoquée par les carrières de marbre et imaginer ensemble un avenir alternatif pour les Alpes Apuanes. « Les montagnes ne repoussent pas : arrêtons l’extractivisme dans les Apuanes et ailleurs », tel était le titre de la conférence d’ouverture qui s’est tenue dans le théâtre de la ville et à laquelle ont participé, entre autres, de grands noms de l’alpinisme italien et le président national du CAI (Club Alpino Italiano), la plus ancienne association italienne d’alpinistes, fondée en 1863. Enfin, plus de 2000 personnes, associations écologiques et collectifs de montagne venus de l’Italie entière, ont défilé dans les rues de Carrare, marquant ainsi un moment décisif pour la lutte contre l’exploitation des carrières dans le territoire apuanais.

L’initiative a été lancée par la naissante « Assemblée pour l’accès à la montagne », un collectif qui rassemble de nombreuses organisations et associations territoriales, créé à la suite des graves attaques répressives subies par certain·es activistes et citoyen·nes de la part d’Henraux, une entreprise française d’extraction et de traitement du marbre opérant sur le mont Altissimo. En effet, en avril 2023, lors d’une excursion sur le sentier CAI 31 près des carrières, des activistes ont été poursuivis par des voitures de police elles-mêmes escortées par celles de la compagnie française1. De plus, la randonnée a été interrompue sur le tronçon menant au pic Falcovaia, l’accès ayant été barré par des blocs de marbre ainsi qu’une voiture de police, bien que le sentier appartienne au patrimoine collectif. Outre le chemin CAI 31, les chemins 168 et 182 ont également été rendus impraticables par les activités extractives, et dans certains cas, l’itinéraire original a dû être modifié pour permettre le passage. (...)

La tradition du marbre est ancrée dans le territoire et célébrée par de nombreuses statues blanches qui à chaque rond-point nous rappellent ce lien si profond. (...)

des kilomètres de zones industrielles, où d’anciennes usines chimiques et métallurgiques sont à l’abandon ; le port de Carrare, bruyant par le passage des camions transportant les blocs de marbre destinés à l’exportation vers les États-Unis, l’Arabie Saoudite et partout dans le monde3 ; et encore plus loin, les cratères blancs qui s’ouvrent comme des gouffres au sein des montagnes dénudées. (...)

l’extraction annuelle de marbre est passée de 200 000 tonnes en 1950 à 4 millions de tonnes aujourd’hui. Paradoxalement, rappelle le comédien Matteo Procuranti4 lors de son intervention à la conférence du 16 décembre, la quantité de marbre extraite au cours des trente dernières années est supérieure à celle des 2000 années précédentes. (...)

Outre la diminution des opportunités dans les carrières, la filière locale en a également souffert avec de moins en moins d’ateliers d’artisanat actifs dans la zone. De fait, seul 1 % du marbre extrait dans les Alpes Apuanes est aujourd’hui utilisé à des fins artistiques. (...)

aujourd’hui, le carbonate de calcium est largement utilisé pour la fabrication de dentifrices, de matériaux de construction, d’aliments et de produits pharmaceutiques (...)

L’extraction du marbre pour la production du carbonate a également un impact très important sur les milieux naturels et en particulier sur les eaux. (...)

Un Far West italien, voici ce que sont les carrières de marbre de Carrare. Chaque année, un pan de montagne disparaît, les eaux se dégradent, la terre se meurt. Selon les activistes d’Athamanta, le business du marbre relève véritablement de l’extractivisme9, désignant ainsi un système d’exploitation qui génère d’énormes richesses pour quelques-uns au détriment de la population locale et les écosystèmes ; qui impose une identité basée sur l’accumulation et la dévastation, en pliant le bien commun des montagnes aux intérêts privés. (...)

Ce système, particulièrement évident dans les Alpes Apuanes, car très invasif, se retrouve également, bien qu’avec des traits différents, dans le reste de l’arc alpin, là où les territoires sont sacrifiés à la production intensive en monoculture ou encore au tourisme hivernal de masse. Selon les activistes du collectif Athamanta, il devient donc impératif de s’unir et de converger depuis des territoires éloignés pour porter une autre vision de la montagne, en défense du territoire, de ses écosystèmes et de la santé des populations humaines et non-humaines qui y habitent. C’est dans cette forme de convergence que les luttes territoriales des zones internes peuvent construire un nouveau rapport de force, en mesure de renverser les intérêts économiques dominants. Dans ce sens, la manifestation de décembre à Carrare a constitué une étape cruciale tant au niveau toscan que national vers l’élaboration d’un récit commun pour les luttes en montagne autour de l’extravisme.