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Mediapart
Les archives explosives de Patrick Buisson au cœur d’une bataille secrète
#PatrickBuisson #extremedroite
Article mis en ligne le 28 décembre 2025
dernière modification le 26 décembre 2025

Avant sa mort, l’ancien conseiller de Sarkozy et théoricien de l’« union des droites », qui enregistrait toutes ses conversations, a légué ses archives à une congrégation traditionaliste de Mayenne, afin de les verrouiller. La préfète doit statuer sur ce don contesté.

LeLe compte à rebours touche à sa fin. Avant le 28 décembre, la préfète de la Mayenne doit se prononcer sur le legs à une communauté catholique du département de tous les biens de l’ancien essayiste et conseiller politique Patrick Buisson, parmi lesquels ses fameuses archives de la présidence de Nicolas Sarkozy.

Jusqu’à cette date, la représentante de l’État dans le département, Nadège Baptista – entrée en fonctions l’été dernier – peut encore décider de bloquer la donation, au motif que son objet n’est pas conforme à celui de la congrégation, comme le prévoit le Code civil. Après cette échéance, qui signe la fin du délai de quatre mois depuis le début de l’instruction du dossier, son absence de réponse vaudra accord tacite en faveur de la communauté.

Patrick Buisson avait désigné la fraternité Saint-Vincent-Ferrier comme sa légataire universelle en mars 2021, deux ans et demi avant sa mort. Le militant d’extrême droite s’était rapproché quelques années plus tôt du père Louis-Marie de Blignières, fondateur de la congrégation, après avoir pris ses distances avec une autre communauté conservatrice, celle de Saint-Martin, avec laquelle il avait évolué pendant des années.

En plus de leur foi, Patrick Buisson et Louis-Marie de Blignières, qui a célébré ses obsèques, partageaient les mêmes visées politiques. En novembre 2018, pour les 50 ans de Mai-68, l’essayiste et le religieux participaient ensemble à Paris à une conférence avec le père de Blignières dénonçant l’héritage d’un mouvement social présenté comme un « projet de (dis)société dont la paternité est exclue ». Les débats étaient animés par la journaliste de Valeurs actuelles Charlotte d’Ornellas, devenue une des stars des médias Bolloré. (...)

Ce sont surtout les archives manuscrites et numériques de Patrick Buisson qui présentent le plus d’intérêt. Pendant des années, l’ancien conseiller a en effet pris soin de tout noter, mais aussi d’enregistrer avec un dictaphone qui l’accompagnait partout, jusqu’aux salons de l’Élysée, ce qu’il observait et faisait dans les coulisses du pouvoir.
De Bruno Retailleau à l’abbé Pierre

Comme Mediapart l’avait raconté sur la base d’une partie de ses archives, ce fervent partisan d’une stratégie d’« union des droites », à laquelle il a rallié Nicolas Sarkozy pendant son quinquennat (2007-2012), a notamment organisé l’entrisme de la frange traditionaliste de l’Église catholique au sein de l’État.

Gagnant progressivement la confiance du chef de l’État, qu’il abreuvait de sondages (payants) validant sa stratégie, Patrick Buisson a organisé la relation entre la présidence Sarkozy et le pontificat du pape Benoît XVI, en s’appuyant sur un réseau de fidèles partageant les mêmes visions de la « famille » et des « racines chrétiennes » de la France. (...)

Pendant la présidentielle de 2012, il a aussi animé les travaux d’une petite équipe chargée de mobiliser l’électorat « catho réac » – selon les termes d’un participant – en faveur d’un Nicolas Sarkozy prêt à tout pour essayer de rattraper son retard sur François Hollande. Le groupe a alors réussi à convaincre le chef de l’État de « faire monter » un certain Bruno Retailleau, élu vendéen qui n’avait pas encore de stature nationale. (...)

Ses archives regorgent ainsi d’informations sur les relations de connivence entre médias et politiques, comme l’avait révélé Le Canard enchaîné en janvier 2025.
Archives politiques

De manière plus inattendue, l’importante documentation conservée par l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy permet aussi d’éclairer d’un nouveau jour d’autres scandales contemporains, a priori plus éloignés de l’Élysée, comme celui des viols commis par l’abbé Pierre.

Dans une archive, Patrick Buisson explique ainsi que l’ancien président d’Emmaüs Martin Hirsch aurait expliqué dès 2009 (à une époque où les accusations contre l’abbé n’étaient pas publiques) que le religieux « était un véritable obsédé sexuel », mais aussi qu’« il fallait le surveiller sans relâche ». Une information, mise au jour par Mediapart en juillet 2025, qui intéresse notamment la commission indépendante d’études sur les violences commises par l’abbé Pierre (Cevap).

Mais la possibilité, pour les chercheurs ou les journalistes, d’accéder à l’ensemble de ce matériau est plus qu’incertaine. Dans son testament, Patrick Buisson confie à la fraternité Saint-Vincent-Ferrier plusieurs missions : l’entretien de sa sépulture quatre fois par an pendant un demi-siècle au moins, la célébration chaque année de cinq neuvaines de messes à l’attention de sa famille, mais aussi la conservation « à vie » de ses archives dans le prieuré de la communauté, à Chémeré-le-Roi (Mayenne). (...)

Or, si la fraternité Saint-Vincent-Ferrier a pour « fin spécifique de témoigner de l’Évangile », comme le prévoient ses statuts, elle n’a sur le papier nullement vocation à être la « gardienne de la mémoire de Patrick Buisson », ou à se transformer en centre d’archives pour historiens et chercheurs, comme l’a dénoncé le propre fils du conseilelr politique, opposé au legs des archives.

Dans un courrier envoyé en avril 2025 à la préfecture, Georges Buisson, en conflit avec son père à qui il a consacré un livre, L’Ennemi (Grasset, 2019), considère que les conditions fixées par le testament sont ainsi « clairement incompatibles » avec la mission de la congrégation. (...)