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Mediapart
Entre deux élections en Côte d’Ivoire, la paix grâce aux matraques
#cotedIvoire #elections #violences
Article mis en ligne le 28 décembre 2025
dernière modification le 26 décembre 2025

Deux mois après la réélection d’Alassane Ouattara, en marge de laquelle onze personnes ont perdu la vie, les arrestations d’opposants suivent leur cours. En vue des législatives du 27 décembre, le dispositif sécuritaire persiste à étouffer les contestations.

« Je constate avec cette élection que la paix est revenue », affirmait au lendemain du scrutin Alassane Ouattara, réélu président de la Côte d’Ivoire pour la quatrième fois le 25 octobre. La paix, oui, mais à quel prix ? Si le nombre de morts en lien avec la campagne et le processus électoral a nettement diminué par rapport au scrutin précédent – le Conseil national de sécurité fait état de 11 décès, contre 85 lors de l’élection présidentielle de 2020 –, les circonstances de certaines d’entre elles mettent en cause le gouvernement.

C’est le cas à Kami, petit village qui borde Yamoussoukro, capitale de la Côte d’Ivoire. Paul Konan Kacou, 46 ans, y est décédé le 21 octobre. Selon le procureur de la République, il se serait opposé « à des individus participant à un attroupement sur la voie publique », qui « obstruaient les accès au village ». Paul Konan Kacou aurait alors « aidé » la gendarmerie nationale, présente sur place, avant de recevoir « une pierre à la tête », jetée par les manifestants.

Cette version des faits est vivement contestée par les proches du défunt. D’après leurs témoignages, les gendarmes seraient entrés dans la cour où vivaient Paul Konan Kacou et sa famille, à la recherche des jeunes responsables des barricades. Le quadragénaire, pris à partie, se serait alors enfui. Rapidement attrapé, il aurait été roué de coups de pied, de mousqueton et de matraque, dans une ruelle exiguë, à seulement quelques mètres de chez lui, loin des barricades. Selon les témoins présents sur place, il serait décédé des suites de ses blessures. (...)

Mediapart a visionné les vidéos et les photos prises sur le moment par ses proches. (...)

L’homme qui y figure est difficilement reconnaissable. Son visage et le haut de son corps sont tuméfiés et lacérés ; ses dents, abîmées. Aux yeux des villageois·es, l’idée qu’une simple pierre ait pu causer de tels ravages ne tient pas.
Dérive répressive

Interrogé, Amadou Coulibaly, ministre de la communication ivoirien, maintient la version des autorités locales et invoque « de faux témoignages instrumentalisés par l’opposition » (...)

Anticipant des débordements à l’approche de l’élection présidentielle, dans un pays habitué aux violences électorales, qui ont fait près de 3 000 morts en 2010, le gouvernement a mobilisé un dispositif sécuritaire d’une ampleur inédite : 44 000 hommes déployés à travers le pays depuis le 5 octobre, soit 9 000 de plus qu’en 2020. Cette démonstration de force s’est néanmoins accompagnée d’une dérive répressive visant à étouffer toute contestation.

Les témoignages recueillis auprès des habitant·es proches des quartiers au sein desquels l’opposition s’est mobilisée (notamment à Morofé, près de Yamoussoukro, le 21 octobre, et à Blockhauss, lors de la marche du 8 octobre) font ainsi état de nombreuses violences. (...)

Les forces de l’ordre seraient entrées dans les cours et auraient jeté des grenades lacrymogènes à l’intérieur même des habitations. Plusieurs personnes, dont des enfants, ont risqué l’asphyxie. À Morofé, le jet d’une grenade lacrymogène aurait même déclenché l’incendie d’une maison. Et ceux qui disent avoir reçu des coups de matraque et de pied à même le sol sont indénombrables.

« Nous n’utilisons que des méthodes conventionnelles, se défend Amadou Coulibaly. Vous avez vu comment cela se passe en France ?! S’il y a des dérives, cela voudrait dire que nos forces de l’ordre sont débordées. Or nous ne faisons qu’augmenter nos effectifs. » (...)

Il n’empêche que, comme le reconnaît le ministre de la communication, rouer de coups un citoyen ne fait pas partie des moyens conventionnels. (...)

Des mineurs incarcérés

Dans la continuité de ces violences, plus de 1 650 personnes ont été interpellées, selon le Conseil national de sécurité, parmi lesquelles des cadres de l’opposition. Plusieurs dizaines ont déjà écopé de peines de prison ferme allant jusqu’à trois ans, tandis que les manifestations de l’opposition ont été systématiquement interdites jusqu’aux législatives, prévues le 27 décembre.

Le 16 octobre déjà, l’ONG Amnesty International « exhortait les autorités ivoiriennes à publier des informations sur les arrestations et les chefs d’accusation retenus contre chaque manifestant·e arrêté·e, et à enquêter sur tout recours inutile et excessif à la force ».

Car la répression a également visé de simples participants, parfois mineurs. (...)

La traque des manifestants et des opposants politiques n’a pas permis pour autant d’éradiquer définitivement la plus grande menace qui pèse sur la Côte d’Ivoire depuis la crise politico-militaire de 2002-2011 : les violences intercommunautaires. (...)

La traque des manifestants et des opposants politiques n’a pas permis pour autant d’éradiquer définitivement la plus grande menace qui pèse sur la Côte d’Ivoire depuis la crise politico-militaire de 2002-2011 : les violences intercommunautaires. (...)

Ces attaques s’ancrent dans les rancœurs accumulées depuis des années entre allogènes et autochtones, mais aussi dans les différends politiques qui opposent Bétés et Malinkés. (...)

Nombreux sont ceux qui dénoncent « l’impunité » à l’égard des communautés qui soutiennent Alassane Ouattara. « On sent une certaine lenteur de la part de l’appareil judiciaire sur cette affaire. Une personne a pourtant fait des vidéos, en se glorifiant d’avoir attaqué le village, sans être arrêtée officiellement. Le procureur n’a pas pris la parole, ce qui est contraire à ses habitudes », souligne un membre d’une ONG internationale qui travaille sur l’affaire.

« Quand des sympathisants du parti au pouvoir commettent des exactions, la justice, si rapide lorsqu’il s’agit des opposants, se montre moins efficace », renchérit notre expert. (...)

Selon Amnesty International, des policiers auraient « permis à des groupes d’hommes, qui étaient pour certains armés de machettes et de gros bâtons, d’attaquer des manifestant·es qui protestaient contre la décision du président Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat ». Une enquête avait été ouverte pour identifier ces hommes, sans que personne soit ensuite inculpé. La responsabilité du RHDP dans cette affaire est toujours questionnée, notamment en raison de prises de parole publiques contradictoires.

Loin d’apaiser les tensions qui minent l’unité nationale, la répression ciblant les opposants et la lenteur des procédures impliquant les sympathisants du pouvoir risquent d’accentuer les fractures d’un pays encore meurtri par la crise post-électorale de 2010-2011. (...)