Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Twitter
le symbole d’une justice qui défend les agresseurs
Article mis en ligne le 9 février 2021

Lire aussi :

Affaire Julie : la justice accusée d’alimenter la « culture du viol »

Julie a accusé 22 pompiers de viol, alors qu’elle était adolescente. Seuls trois sont aujourd’hui poursuivis, et pour atteinte sexuelle. La Cour de cassation doit examiner le dossier mercredi 10 février. Pour Mediapart, la jeune femme revient sur cette affaire, érigée en symbole par les associations féministes. (...)

C’est une affaire emblématique. Par la longueur de la procédure, par la nature des faits reprochés, et par la bataille politique qui s’est nouée ces derniers mois autour du mot-dièse #JusticePourJulie. Cette affaire, c’est celle de Julie*, qui a accusé 22 pompiers de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (unité de l’armée de terre française, placée sous l’autorité du préfet de police de Paris) de l’avoir violée entre 2009 et 2010, certains alors qu’elle avait moins de 15 ans, tous alors qu’elle était mineure.

L’instruction a été très longue – elle a duré dix ans – et la procédure va connaître une nouvelle étape mercredi 10 février devant la Cour de cassation. L’enjeu est crucial : les magistrats devront déterminer de quelle qualification les trois pompiers renvoyés devant le tribunal devront répondre et si leurs collègues peuvent être poursuivis.

En 2018, le parquet de Paris avait abandonné la qualification de viol et avait requalifié les faits reprochés à trois d’entre eux en « atteinte sur mineure de 15 ans ». Pour quatre autres, il avait requis la requalification en non-assistance à personne en danger. Les charges de ces derniers ont été abandonnées en 2019. Décisions confirmées en novembre dernier par la cour d’appel. La Cour de cassation est le dernier recours pour Julie et ses proches.

« On attend que la Cour de cassation casse entièrement l’arrêt de Versailles et que les 20 pompiers [deux sont décédés depuis le dépôt de plainte – ndlr] retournent devant un juge d’instruction et qu’ils fassent une vraie enquête, ce qui n’a jamais été fait pour l’instant », explique Corinne Leriche, la mère de Julie.

Le témoignage de Julie

(...)

« J’ai été contrainte, j’ai été menacée avec les poings, j’ai été violée, affirme Julie dans un entretien à Mediapart. J’étais dans un état tellement dissocié que je n’avais presque plus de réactions. » (...)

Pendant deux ans, le numéro de Julie circule sur des groupes de conversation de pompiers, d’abord dans la caserne de Bourg-la-Reine puis dans d’autres casernes aux alentours. Face aux policiers, l’un des pompiers accusés par Julie de viol mais qui n’est pas poursuivi la qualifie de « coche », diminutif de « cochonne » dans le jargon des pompiers. Des dizaines de pompiers prennent alors contact avec elle. « J’avais beaucoup de pression, je recevais beaucoup de SMS de la part des pompiers, j’étais toute seule », raconte Julie au juge d’instruction.

En juin 2010, Alexandre F. et David M., qui ne travaillent pas à la caserne de Bourg-la-Reine, retrouvent Julie sur un parking. Julie les accuse de l’avoir violée en réunion. Les deux pompiers, eux, assurent qu’ils avaient convenu à l’avance d’une relation sexuelle à trois.

Lors de son audition devant les policiers, Alexandre F. explique : « On l’a attrapée sur la voiture. Avec David, on lui est passé tous les deux dessus. » Alexandre F. et David M. laissent Julie seule sur le parking. À nouveau, Julie déclare qu’elle n’était pas en mesure de donner son consentement pour ces actes de pénétration, en raison des médicaments qu’elle prenait.

Alexandre F., David M. et deux de leurs collègues auraient à nouveau croisé la jeune fille quelques minutes plus tard, en pleurs, mais ne lui auraient pas porté secours. Selon eux, Julie ne manifestait aucun signe de détresse. Pourtant, elle sera admise quelques heures plus tard à l’hôpital après une crise de tétanie. Pour ces quatre pompiers, les charges de non-assistance à personne en danger ont été abandonnées.

Dans cette affaire, les histoires similaires à celles-ci sont légion. Pour les avocates de Julie, les 20 pompiers accusés de viols par la jeune fille auraient « commis sur elle des actes de pénétration sexuelle tous plus sordides les uns que les autres ». Leur uniforme, leur mission de service public mais aussi leur nombre auraient « établi un rapport de domination sur cette adolescente dont ils connaissaient la fragilité psychique pour qu’elle adopte à leur égard un comportement hypersexualisé auquel elle était hors d’état de consentir ». (...)

Dans leur mémoire à la Cour de cassation, les avocats de la jeune femme regrettent que l’attention des magistrats ne se soit pas portée aussi sur les prévenus. « Le juge ne doit pas raisonner prioritairement du point de vue de la victime, en cherchant si elle était consentante ou non, mais du point de vue de l’auteur de l’acte de pénétration sexuelle […], en recherchant s’il a par violence, contrainte, menace ou surprise, vicié le consentement de la victime, écrivent-ils. C’est aussi favoriser une vision sexiste, stéréotypée et réductrice consistant à considérer que, puisque la femme accepte d’assouvir les désirs sexuels de l’homme, elle n’est pas victime de viol ou d’agression sexuelle. » (...)

La mobilisation des associations féministes

Ce discours est au cœur du débat qui a surgi autour de ce dossier, que les féministes jugent symptomatique de la culture du viol qui imprégnerait la justice et la police françaises. Pour elles, « l’affaire Julie » concentre toutes les dérives qu’elles dénoncent depuis des années – c’est le sens des rassemblements organisés dans plusieurs villes dimanche 7 février et d’une tribune publiée sur Mediapart signée par des personnalités et des associations.

Les féministes y détaillent ce qu’elles qualifient de « déni de justice », « totalement à rebours du bouleversement qui s’accomplit au sein de la société confrontée aux violences sexuelles perpétrées contre les enfants ». (...)

« Dans ce dossier, il n’y a que des erreurs et des fautes lourdes », tranche Lorraine Questiaux, une des deux avocates de Julie. Elle y voit la marque d’une « idéologie sexiste de la culture du viol » au sein d’une « institution judiciaire détournée de son objectif, et qui, au lieu de servir le faible, garantit des privilèges archaïques ».

« Le dossier est symptomatique de la défaillance de la police, de la justice et des experts à prendre sérieusement et intelligemment en compte la parole des femmes », appuie sa consœur Marjolaine Vignola, l’autre avocate de Julie.

Ce constat ne relève pas seulement d’un manque de formation, selon les féministes. Parce que plusieurs magistrats se sont penchés sur le dossier et qu’ils ont été plusieurs à prendre la même décision. Et parce que ce n’est pas la première fois que certaines affaires suscitent une vive polémique – c’était déjà le cas en 2017 quand, à Pontoise, le parquet avait requalifié une plainte pour viol en atteinte sexuelle pour une enfant de 11 ans.

« La culture du viol existe toujours, et ce n’est pas qu’une question de formation », avance ainsi Céline Piques, porte-parole de l’association Osez le féminisme. Elle parle de « colère devant une maltraitance institutionnelle pour les victimes » : « Cette fois, on veut montrer les verrous, au sein même des institutions. On veut montrer qu’il y existe des individus profondément sexistes. »

Cette « colère » face à l’institution judiciaire, plusieurs associations de défense des droits de l’enfant la partagent. (...)

Marie-Pierre Colombel, à Enfance et partage, également partie civile dans le dossier Julie, estime que « dans ce dossier, la parole de Julie n’a pas été crue. On le voit dans d’autres dossiers : la parole des enfants n’est pas souvent prise en compte ». « Si la justice ne peut pas bouger aussi vite que les réseaux sociaux, elle doit avancer… » (...)

Les deux avocates de Julie sont d’ailleurs convaincues que ce n’est pas nécessairement d’un changement de la loi que ce dossier aurait besoin, mais d’une application différente du droit : « Tant que la loi sera appliquée par des misogynes, dans un système patriarcal, on pourra toujours la tordre comme on veut », insiste Marjolaine Vignola. « En droit constant, nous n’aurions aucune difficulté si les personnels étaient formés et pas colonisés par la culture du viol », dit sa consœur Lorraine Questiaux. (...)