Après un an de guerre à Gaza et un conflit qui s’étend désormais au Liban voisin, les pays arabes restent peu enclins à condamner Israël ou exiger un cessez-le-feu. Une situation qui reflète la complexité des relations des pays du Golfe avec l’État hébreu, vécue comme une trahison par de nombreux Palestiniens.
"La Palestine n’a pas connu un tel silence depuis les années de la Nakba [la catastrophe, la création de l’État d’Israël en 1948]. Nous vivons une nouvelle Nakba mais avec le consentement des Arabes". Les mots sont durs. Le constat, sans appel. Pour Marwan, journaliste en Cisjordanie occupée ayant requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, le silence des pays arabes est de plus en plus assourdissant. "Au niveau politique, ils ne soutiennent pas l’application des résolutions internationales, ni même les résolutions prises lors des sommets arabes. Pour eux, la cause palestinienne qu’un slogan". (...)
Même les frappes israéliennes sur l’Iran, samedi 26 octobre, ont à peine poussé les pays du Golfe à balbutier une condamnation. Du bout des lèvres. (...)
"Le royaume d’Arabie saoudite condamne" les frappes israéliennes en Iran et réitère sa "position ferme de rejet de l’escalade du conflit dans la région", qui "menace la sécurité et la stabilité des pays et des peuples" au Moyen-Orient, a indiqué le ministère des Affaires étrangères sur le réseau social X. Les Émirats arabes unis et le sultanat d’Oman, qui entretient des relations étroites avec l’Iran, ont fait écho à cette déclaration. (...)
Si la Jordanie a signé un accord de paix avec Israël en 1994, il a fallu attendre de nombreuses années pour voir les pays arabes changer de paradigme vis-à-vis de l’État hébreu. En 2020, poussés par Donald Trump, les Émirats arabes unis, le Maroc, le Soudan et Bahreïn paraphent les accord d’Abraham, reconnaissant Israël comme un État souverain et initiant des relations diplomatiques avec Tel Aviv. D’autres comme l’Arabie saoudite, le Koweït et Oman s’apprêtaient à le faire lorsque le Hamas a lancé ses attaques sans précédent dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023.
"Aujourd’hui, il y a un gouffre entre les opinions publiques arabes et les gouvernants, souligne Karim Émile Bitar, professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et chercheur associé à l’Iris. Les opinions publiques sont dans leur écrasante majorité des soutiens de la question palestinienne. Elles sympathisent avec la souffrance des populations civiles libanaises et palestiniennes. En revanche, la grande majorité des leaders autoritaires de la région, directement inféodés aux États-Unis, doivent prendre en compte les considérations américaines car Washington assure leur maintien au pouvoir en leur apportant un soutien économique, militaire et politique." (...)
"Comment voulez-vous que nous attendions une aide de la part des Saoudiens quand ils ont donné des centaines de milliards de dollars à l’ex-président américain Trump pour qu’il les protège ? Comment un pays qui ne peut pas se protéger seul pourrait-il protéger le peuple de Palestine ?", ironise le journaliste. (...)
"L’Algérie est le seul pays qui soutient encore la Palestine dans tous les domaines", souligne Marwan. Dès le 9 octobre 2023, le président Abdelmadjid Tebboune a rappelé la solidarité "avec le peuple palestinien frère". En 2022, l’Algérie était parvenue à faire signer la Déclaration d’Alger aux différentes factions palestiniennes afin de les réconcilier. Depuis un an, Alger multiplie les initiatives comme la présentation d’un texte au Conseil de sécurité de l’ONU pour exiger un cessez-le-feu immédiat. (...)
Reste la Jordanie. Lié très fortement à la question palestinienne, le royaume hachémite occupe une place à part parmi ses frères arabes. "Ses positions diplomatiques sont assez claires, souligne le directeur de l’IreMMo. Il en va des propres intérêts du régime car pour beaucoup d’Israéliens de droite, l’État palestinien existe déjà en Jordanie. Le royaume craint qu’il y ait un nouvel afflux de réfugiés sur son territoire. Le roi Abdallah II a fait plusieurs démarches aux États-Unis, aux Nations unies, notamment avec la France pour obtenir un cessez-le-feu."
"L’Arabie saoudite déteste le Hamas"
Reste que la perspective de l’anéantissement du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais fait aussi les affaires de certains. "Nombre d’États arabes [sunnites] sont discrètement contents de voir que le Hezbollah, principal proxy de l’Iran [chiite], est affaibli, rappelle Jean-Paul Chagnollaud. L’Arabie saoudite déteste le Hamas mais tout autant le Hezbollah. Qu’il soit affaibli fait aussi les affaires des pays du Golfe."
Une réalité difficilement audible pour les Palestiniens. "Les pays arabes veulent couper les liens avec la Palestine parce qu’ils considèrent que le Hamas a commis une action terroriste le 7-Octobre. Mais le ’martyre’ de 45 000 personnes à Gaza, les centaines de personnes tuées en Cisjordanie, n’est-ce pas du terrorisme ?", interroge Marwan (...)
Un sentiment d’abandon qui n’empêche pas les Palestiniens d’être solidaires des Libanais. "Ce qui se passe en Palestine et au Liban est interconnecté. Le fait que le Liban n’ait pas de traité de paix avec Israël en fait un danger, d’autant plus qu’il se trouve directement à sa frontière", insiste Marwan, rappelant que les pays arabes ne savent que condamner et ’dénoncer fermement’. (...)
Lire aussi :
– La situation dans le nord de Gaza est "apocalyptique", selon 15 responsables de l’ONU
"L’ensemble de la population palestinienne du nord de Gaza est exposée à un risque imminent de mourir de maladie, de famine et de violence", écrivent vendredi 15 responsables d’agences humanitaires de l’ONU. De son côté, le gouvernement libanais accuse Israël de refuser tout cessez-le-feu avec le Hezbollah. Voici le fil du 1er novembre.
Résumé
- Des frappes sur la banlieue sud de Beyrouth après un appel à évacuer
- Le bureau de l’Unrwa endommagé dans un camp de réfugiés en Cisjordanie
- Au moins 47 Palestiniens tués dans la nuit lors de frappes israéliennes dans le centre de la bande de Gaza
- L’extension des frappes par Israël signale son "refus" de tout cessez-le-feu, selon le Premier ministre libanais
- La vaccination contre la polio reprendra samedi au nord de Gaza, selon l’OMS
- La situation au nord de Gaza est "apocalyptique" (chefs d’agences de l’ONU)
- Israël dit avoir intercepté sept drones en approche dans la nuit depuis "plusieurs fronts"
- Le Liban annonce 52 morts dans des frappes israéliennes dans l’est