
Fondée en 1946 sous la houlette de l’Église, l’association d’aide aux plus pauvres fait face à des déficits budgétaires réguliers, et sa direction souhaite supprimer 130 postes. Les syndicats dénoncent une décision brutale et un rythme de transformation trop rapide.
« Nous allons vers la suppression de 130 postes, et 25 autres postes déjà pourvus seront modifiés, ce qui signifie que si le salarié ne souhaite pas évoluer, il peut être licencié, détaille Jean-Michel Petaux, secrétaire du comité social et économique (CSE) et élu du syndicat majoritaire Asso Solidaires. Le nombre de licenciements pour motif économique pourrait donc atteindre 155 au maximum. »
Le plan a été annoncé pour la première fois le 9 octobre aux représentant·es du personnel, puis en visioconférence à l’ensemble des équipes dans la foulée. Les discussions devraient durer trois mois. Il s’agit d’un tremblement de terre à l’échelle de l’organisation de lutte contre la pauvreté, fondée par l’Église catholique au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’appuie sur un réseau de 58 000 bénévoles réparti·es dans 72 délégations départementales et revendique d’avoir accompagné 1,12 million de personnes en France en 2024. (...)
« Comme de nombreuses associations de solidarité, le Secours catholique est confronté à des contraintes financières auxquelles il est de plus en plus compliqué de faire face », reconnaît la structure dans un communiqué de presse. Ces « transformations douloureuses » sont, estime-t-elle, « nécessaires pour préserver sa capacité à agir durablement aux côtés des plus pauvres, dans une fidélité renouvelée à sa mission chrétienne ».
Les pertes se sont par exemple élevées à 1,9 million d’euros en 2018, puis à 3,5 millions en 2019, avant un très large excédent de 17 millions en 2020, dû principalement au succès massif de la campagne de dons liée au covid. Les déficits se sont ensuite enchaînés jusqu’en 2023, avec des pertes de 10 millions cette année-là. Selon nos informations, le Secours catholique a en revanche renoué avec les profits en 2024. (...)
Les frais de personnel représentent plus d’un tiers des dépenses – environ 50 millions d’euros – et il faut compter autant pour les achats et les charges (énergie, loyers des locaux…). C’est ce dernier poste de dépenses, gonflé par l’inflation ces dernières années, que la direction met en avant pour justifier le dérapage financier qu’elle cherche à combler.
Gels de postes
Alors que la pauvreté et les inégalités explosent, comme le documente justement avec régularité le Secours catholique, la décision passe mal en interne. Les départs devraient balayer large dans les équipes, réparties pour un tiers entre le siège parisien et pour les deux tiers sur tout le territoire. La direction a indiqué au quotidien La Croix que « toutes les régions seraient concernées, avec la volonté d’un effort équitable entre le siège et les délégations ».
Les représentant·es du personnel anticipent notamment la disparition des postes de coordinateurs et coordinatrices, qui supervisent jusqu’à présent sur le terrain les équipes dépassant cinq animateurs et animatrices (elles et eux-mêmes chargé·es de piloter les bénévoles), et celle des comptables départementaux, la fonction étant regroupée au niveau régional. Les chargés de mission régionaux seraient également menacés.
Dans une déclaration commune publiée le 9 octobre, les syndicats Asso Solidaires, CFCT et CFE-CGC indiquent partager « pleinement la nécessité d’une vigilance accrue sur les enjeux financiers », mais martèlent s’opposer « de manière franche et totale à tout impact sur les emplois ». De son côté, la CFDT, deuxième syndicat de l’association, se dit « prête à travailler sur le projet de transformation », tout en maintenant un regard « exigeant » sur le processus. (...)
Dans la maison, les tensions ne sont pas nouvelles, comme l’attestent les comptes rendus des réunions mensuelles du CSE, qui sont communiqués aux plus de 900 salarié·es. Cela fait plusieurs années que la transformation de l’association est sur la table, sans être jamais finalisée jusque-là, malgré plusieurs tentatives. Ce qui a largement contribué à créer confusion et stress dans les équipes. « La tension et la colère montent depuis plusieurs mois, les salariés ne comprennent plus l’attitude et les choix de la direction », glisse un syndicaliste.
Le serrage de vis budgétaire a lui aussi également démarré en 2024. « En deux ans, nous avons assisté au gel de cinquante postes, souligne Jean-Michel Petaux. Tous les départs ne sont pas remplacés, chaque poste vacant est examiné, et cela détricote le réseau de façon aléatoire car ce gel se fait à vue, sans stratégie claire. »
Événement rarissime pour le Secours catholique, une grève a eu lieu le 18 septembre pour protester contre les restrictions budgétaires, avec – une première en soixante-dix-neuf ans – une petite manifestation dans la cour du siège historique, au 106 rue du Bac, dans le VIIe arrondissement de Paris.
Autour du thème de « l’hiver » (budgétaire) s’abattant sur l’organisation, des témoignages de salarié·es ont été lus pour décrire les dégâts causés par le gel des postes et marquer toute la défiance qui montait envers les dirigeant·es. (...)
Une pétition a aussi été montée, rassemblant plus de 300 signatures.
Aujourd’hui, la direction assure qu’elle « mesure la difficulté de cette situation » et « affirme sa volonté de mener ce processus avec le plus grand respect et la plus grande attention portée à chacun et chacune ».
Décisions cachées
L’écart grandissant entre les équipes et la direction est aussi alimenté par le sentiment que cette dernière a longtemps caché ses décisions. Les élu·es ont très peu goûté de découvrir en juillet, à l’occasion du rendu d’un rapport qu’ils et elles avaient commandé à un cabinet indépendant, que le conseil d’administration avait défini dès le mois de janvier le « schéma d’organisation » et « l’effectif cible » qu’il visait dans la future transformation.
De même, le refus initial de transmettre au cabinet d’expertise plusieurs documents qu’il avait demandés, comme la loi lui en donne la prérogative, est très mal passé. D’autant que parmi les documents tardant à arriver figurait le détail des honoraires versés par la direction à un autre cabinet, chargé de l’accompagner pour monter le plan de licenciements. Et que cet accompagnement a coûté 500 000 euros, ce que beaucoup ont du mal à digérer.
« Cette somme interpelle au regard de l’économie qu’auraient permis les gels de postes en 2024. La raison pour laquelle la direction n’a pas eu recours à des compétences internes est interrogée », résume le compte rendu du CSE du 23 juillet 2025. (...)
Sur le fond, les élu·es estiment que le Secours catholique va trop vite et trop brutalement, en visant un retour à l’équilibre dès 2027. Ils attirent l’attention sur les deux autres leviers existants pour prendre le temps d’améliorer la situation plus sereinement. D’abord, comme l’a souligné l’expert, le niveau d’endettement de l’association est quasiment nul, et il serait tout à fait possible de solliciter des prêts bancaires pour donner de l’air et chercher des solutions.
En janvier 2025, la Cour des comptes a d’ailleurs rendu un rapport sur le Secours catholique allant dans le même sens. (...)