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Mediapart
À Mayotte, l’eau potable ne coule toujours pas de source
#Mayotte #eau #sante
Article mis en ligne le 21 octobre 2025
dernière modification le 18 octobre 2025

Depuis début octobre 2025, en raison de travaux, l’île traverse une crise hydrique inédite. La vie s’organise autour du robinet, et le manque d’eau entrave la vie quotidienne et les soins. Malgré les crises à répétition, le réseau n’est toujours pas taillé pour les besoins des habitants.

Entre les travaux à l’usine de potabilisation d’Ourovéni et un réseau de distribution en grande difficulté, les habitant·es du département de Mayotte vivent au rythme de graves coupures d’eau, pouvant durer jusqu’à cinq jours par semaine. Le quotidien se résume désormais à un rituel  : trouver et stocker de l’eau, coûte que coûte.

Dans un communiqué publié le 30 septembre, la Mahoraise des eaux (SMAE) annonçait des « travaux lourds d’entretien » sur le décanteur principal d’Ourovéni, « indispensables pour garantir la qualité de l’eau distribuée ». Résultat : la production est tombée de 10 000 à 4 000 m³ par jour. Pour compenser, un calendrier de distribution strict a été mis en place : dans le centre et le sud, l’eau ne coule qu’un jour sur cinq ; à Tsingoni, un jour sur quatre ; ailleurs, un jour sur trois. Sur le papier, tout semble maîtrisé. Sur le terrain, c’est une autre histoire. (...)

Sans eau, les soins se grippent

Et quand l’eau manque, tout vacille, surtout la santé. Dans les dispensaires, les soignant·es voient la tension monter, jour après jour. Dès 4 heures du matin, des files se forment devant les cabinets médicaux, avec des mères épuisées, des enfants fiévreux et des personnes âgées. « Le problème, c’est qu’on dépend de l’eau pour tout, résume Alice, infirmière. Sans eau, on ne peut ni laver le matériel ni se désinfecter les mains entre deux patients. On fait avec des bidons, des bassines, du gel hydroalcoolique… mais c’est du bricolage. »

Dans un cabinet du sud, la survie du service repose sur une logistique de guerre. Une seule cuve, remplie à chaque retour d’eau, alimente tout le bâtiment. « Quand ça coule, on remplit tout ce qu’on peut, explique une secrétaire médicale. L’autre jour, un petit est arrivé en vomissant, il a vidé nos réserves d’eau. Alors on a fait comme on a pu, mais on ne peut pas laisser les gens sans rien, sans eau. » (...)

« Dans des pays bien moins riches, il y a de l’eau au robinet ; ici, non, s’indigne un généraliste. Et sans eau, les maladies se développent vite, même les plus basiques, juste parce qu’on ne peut plus se laver les mains. »

Même les pharmacies s’adaptent. Celle du Lagon fonctionne avec deux cuves qui lui permettent de tenir une journée sur trois. « On ne vend pas d’eau, mais si un patient est en difficulté, on garde des bouteilles pour les urgences », explique un pharmacien. À Bandrélé, après le cyclone Chido, les équipes ont appris à gérer les pénuries, mais voient déjà revenir les gastroentérites, les diarrhées et les infections cutanées.

Les épidémiologistes redoutent le pire. (...)

Infrastructures fragiles

Derrière les files d’attente des dispensaires, les seaux dans les toilettes et les bidons dans les cours se cache une mécanique d’eau à bout de souffle : celle de la production et de la distribution, un système conçu pour 100 000 habitant·es qui en alimente aujourd’hui près de 300 000. Car à Mayotte, l’urgence n’est pas seulement de produire davantage : c’est de faire tenir debout ce qui existe encore. (...)

même lorsque l’eau est produite, encore faut-il qu’elle arrive jusqu’aux robinets. Le réseau mahorais, vieux de plusieurs décennies, fuit de toutes parts. Selon la SMAE, environ 2 500 m³ d’eau se perdent chaque jour avant d’atteindre les foyers. La « chasse aux fuites », lancée en janvier 2024 sur plus de 800 kilomètres de canalisations, en avait recensé 625 : certaines n’ont jamais été réparées.

À ces pertes structurelles s’ajoute le « coup de bélier », un fléau bien connu des techniciens : les ouvertures et fermetures brutales des vannes provoquent des surpressions qui fissurent les conduites et aggravent encore les fuites. En septembre 2024, Ibrahim Aboubacar, directeur général du syndicat Lema, estimait que ce phénomène représentait jusqu’à 10 % des pertes du réseau. Tant que les coupures continueront, les fuites aussi, alertait-il en décrivant un cercle vicieux.

Des alternatives  paralysées

Depuis plusieurs années, des entreprises proposent des dispositifs capables de produire immédiatement de l’eau potable  : générateurs atmosphériques, filtres de rivières, mini-usines modulaires. Ailleurs dans le monde, ces machines font leurs preuves, mais à Mayotte, elles restent sur le bord du chemin. (...)