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La Quadrature du Net
Le règlement IA adopté, la fuite en avant techno-solutionniste peut se poursuivre
#IA #controlesocial #technosolutionnisme #technopolice #laquadratureduNet
Article mis en ligne le 24 mai 2024
dernière modification le 31 mai 2024

À l’arrivée, loin des promesses initiales et des commentaires emphatiques, ce texte largement fondé sur l’auto-régulation, bardé de dérogations, est taillé sur mesure pour l’industrie de la tech, les polices européennes et autres grandes bureaucraties désireuses d’automatiser le contrôle social.

(...) L’histoire avait commencé avec de belles promesses. En avril 2021, au moment de présenter sa proposition de règlement relatif à l’Intelligence Artificielle, la Commission européenne nous écrivait pour nous rassurer : elle porterait la « plus grande attention » à la pétition européenne lancée à l’époque contre la reconnaissance faciale. Le texte présenté quelques jours plus tard par la Commission s’accompagnait d’une proposition de moratoire sur certains de ces usages, au milieu d’un ensemble de mesures conçues pour mettre un minimum d’ordre dans un marché de l’IA en plein essor. (...)

Deux ans plus tard, le Parlement européen poussait le texte un cran loin, étendant diverses interdictions relatives aux usages policiers des techniques d’IA, ou contre les systèmes de « scoring » et autres formes de « notation sociale ». Mais après les coups de butoir des gouvernements des États-membres, au premier rang desquels les autorités françaises, rien ou presque des promesses initiales ne subsiste. Reste un « paquet législatif » certes volumineux, voire bavard, mais aussi très flou. Le règlement fait la part belle à l’auto-régulation et s’avérera incapable de protéger l’intérêt général face à la prolifération programmée des systèmes d’IA.
Une loi pour faire proliférer l’IA

Comme nous l’avions craint, plutôt que d’élever les garanties en matière de droits fondamentaux, le règlement IA vise à faire proliférer la production de données et leur collecte au bénéfice de l’industrie. (...)

l’objectif est avant tout de poser les conditions d’une plus grande « acceptabilité sociale » de ces technologies pour mieux les imposer.

Dans ce processus, Emmanuel Macron et le gouvernement français auront joué à merveille leur partition. Tout affairé à la promotion de la Startup Nation, obnubilé par la course à l’innovation pour mieux attirer les capitaux étrangers, ne craignant pas les conflits d’intérêt et autres formes de corruption au cours des négociations sur le règlement, l’État français a en effet une responsabilité historique dans ce reniement.

La stratégie française est pourtant assumée. Elle se poursuit aujourd’hui à travers le projet de loi « simplification de la vie économique », qui vise notamment à accélérer les procédures de construction de data centers en faisant obstacle aux contestations locales. Microsoft en est l’un des principaux bénéficiaires (...)

L’argument de la souveraineté numérique avancé par la France pour abaisser les exigences du règlement IA a donc bon dos, puisqu’en pratique l’État s’accommode très bien du renforcement des positions dominantes des multinationales de la tech.

En vertu du règlement adopté hier, ce sont les entreprises qui conçoivent les systèmes d’IA qui seront les premières compétentes pour de prononcer sur le niveau de risque que présentent leurs produits (article 43). Il leur sera alors loisible de considérer que ces systèmes ne sont pas risqués et donc exempts de toute régulation en vertu du règlement. (...)

Autre signe des considérations dont l’industrie fait l’objet, le chapitre VI contient un grand nombre de dispositifs réglementaires censés « soutenir l’innovation », afin de permettre au secteur privé d’entraîner ses modèles d’IA avec un soutien renforcé des pouvoirs publics.

La Technopolice en roue libre (...)

les services de renseignement se voient libérés de toute contrainte. C’est également le cas des équipes de recherches scientifiques pourront « innover » à loisir. (...)

En pratique, toutes les formes d’IA policières contre lesquelles nous nous battons dans le cadre du projet Technopolice semblent permises par le règlement, de la VSA à la police prédictive. Tout au plus pourront-elles être considérées comme « à haut risque », car relevant de certains domaines d’applications sensibles définis dans l’annexe III3. Elles seront alors soumises à des obligations renforcées de transparence et de standardisation (...)

La transparence des systèmes à haut risque restera extrêmement limitée en matière technopolicière. Car si de tels systèmes doivent normalement être répertoriés dans un registre public, les forces de l’ordre et les services d’immigration ont obtenu une dérogation qui limitera drastiquement les données qu’ils auront à fournir (article 49.4). Ils n’auront pas non plus à publier les études d’impact, ce qui est normalement obligatoire pour les systèmes à haut risque.

Enfin, même lorsqu’ils seront effectivement classés à haut risque, encore faut-il que les systèmes IA n’échappent pas à l’autre dérogation léonine ajoutée au texte (...)

Algos de contrôle social et greenwashing en embuscade

En matière de « crédit social », également mis en avant comme l’une des proscriptions les plus ambitieuses posées par le texte et qui apparaissait comme une manière de préserver la bonne conscience européenne face à la dystopie numérique « à la chinoise », c’est encore la douche froide. La « notation sociale » – par exemple celle pratiquée par les Caisses d’allocations familiales que nous documentons depuis des mois – reste permise (...)

Restent des déclarations de principe, dont la nature contradictoire devrait pourtant sauter aux yeux. On pense notamment au vœu pieu que « les systèmes d’IA [soient] développés et utilisés d’une manière durable et respectueuse de l’environnement » (considérant 27). Ou de l’idée décidément tenace qu’une informatisation toujours plus poussée permettra de répondre à l’enjeu du changement climatique (considérant 4), et ce alors que dans le même temps, notamment à travers la loi de simplification déjà citée, on encourage à tout-va la construction de data centers hyper-énergivores et qu’on relance l’extraction minière pour accompagner la « transition numérique ». Rien de bien surprenant cela dit puisque, chez les technocrates et autres apôtres des hautes technologies, l’IA est désormais un élément clé de tout bon discours de greenwashing. (...)

À l’arrivée, loin de protéger les valeurs de démocratie, d’État de droit et de respect pour l’environnement que l’Union européenne prétend encore incarner comme un phare dans la nuit, le règlement IA reste le produit d’une realpolitik désastreuse. Face à l’étau formé par la Chine et les États-Unis, il doit en effet permettre de relancer l’Europe dans la course aux dernières technologies informatiques, perçues comme de véritables étalons de puissance. Non seulement cette course paraît perdue d’avance mais, ce faisant, l’Union européenne participe à légitimer une fuite en avant techno-solutionniste dangereuse pour les libertés et insoutenable au plan écologique.

La généralisation de l’IA, en tant que paradigme technique et politique, a pour principal effet de démultiplier les dégâts engendrés par la sur-informatisation de nos sociétés. Puisqu’il est désormais clair que ce règlement ne sera d’aucune utilité pour enrayer l’emballement actuel, c’est d’autres moyens de lutte qu’il va nous falloir collectivement envisager.

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