
Pakhshan Azizi, journaliste et activiste féministe, militante kurde iranienne des droits de l’homme, a été condamnée à mort, selon une décision de justice communiquée le mardi 23 juillet dernier, pour « rébellion armée ». Depuis la prison d’Evin, elle a rédigé un texte, traduit par Hengameh Hoveyda, qui évoque la défense de l’identité individuelle ou collective face à un État totalitaire. Cette lettre est reproduite en intégralité ci-dessous.
Elle appuyait ses mains contre la paroi de son utérus pour ne pas tomber, résistant aux médicaments abortifs. Depuis son enfance, elle apprenait à rester et à grandir avec la voix de sa mère souffrante qui lui enseignait la résistance et la vie :
« Je te retiens pour que tu t’y habitues, pas pour que tu meures en captivité tant que je suis en vie. »
Entre la vie et le temps, une guerre est en cours !
Elle s’accrochait aux murs de sa cellule pour ne pas tomber. Cela faisait longtemps qu’elle ne connaissait ni jour ni nuit pour rester et trouver un moyen d’être et, au-delà de cela, comment être. Avec la méthode d’intimidation de l’État et les vingt armes au-dessus de leurs têtes qui, selon eux, capturaient des terroristes (le même terrorisme dont l’intimidation publique est l’un des fondements !).
Un jeune garçon de 17 ans qui voyait sa tante après des années de séparation, avec son père, sa sœur et son beau-frère, était couché au sol. Mains attachées derrière le dos, armes sur la tête, une famille sacrée (la même famille sacrée sur laquelle les fondements de la République islamique ont été construits) était enchaînée en montant sur leurs dos. Un sourire qui signifiait le pouvoir et la victoire de « l’État familial » ; l’opération était réussie.
Ils montent et montent...
Les scènes de massacre et de destruction de milliers de familles passent devant ses yeux comme un film tragique. (...)
À plusieurs reprises, ils la pendaient pendant l’interrogatoire, la plongeant à 10 mètres sous terre, la sortant, la ramenant à la surface. Ils la considéraient comme une paria et un échec social !
Une mémoire historique remplie de tels événements ! Une littérature qui ne lui était pas étrangère dès son enfance en vivant au Kurdistan. Dès son enfance, elle avait été étiquetée séparatiste, second sexe et non-citoyenne. Soit elle devait prouver le contraire en se réfugiant dans les bras de « l’autre » (qui avait déjà défini sa frontière avec elle en tant que frontière), soit elle devait servir fièrement son peuple. Oui, nous sommes petits pour le pouvoir central, insignifiants, mais pour les jugements, nous sommes les plus grands et les plus lourds...
Une mentalité d’État-nation qui n’hésitait pas à utiliser les méthodes les plus violentes pour sa survie ; reproduction de pouvoir et de violence... (...)
Un être humain est constitué de son genre (sa première dimension perceptuelle), de sa langue, sa culture et son art, sa gestion, son mode de vie et de sa liberté et, en général, de son idéologie. Lorsque chacune de ces dimensions est avortée dans la vie, il n’y a plus de place pour une vie humaine. Si l’on avorte la volonté d’une femme en tant qu’être humain et sa dignité, il n’y a plus de place pour une vie libre, ce qui signifie une déchéance des normes humaines, morales et politiques. Là où la vie, avec son identité, est dépourvue de sens, elle adopte une posture défensive et la vie entre dans une phase de rébellion.
Les insultes, les humiliations et les menaces reprennent dans les pires conditions physiques dues aux grèves de la faim répétées et aux pressions identitaires et historiques. Le silence de plusieurs mois se transforme en cri : je ne suis pas une terroriste. Les poings serrés de l’interrogateur, qui en tant qu’homme d’État exhibe à chaque fois son pouvoir, sont frappés, une voix s’élève : pourquoi dissimules-tu la vérité ?!
Vous avez dissimulé la plus grande vérité sociale, à savoir la femme et son identité, être kurde, la vie et la liberté, quelle vérité et quel mensonge ? (...)
Ce sont les gens eux-mêmes qui ont la volonté et la conscience sociale et politique nécessaires pour sortir de la crise. La dissimulation de la vérité des sociétés des femmes et des Kurdes et de toutes les communautés marginalisées est une dérive vers la falsification, et cela même est la plus grande dissimulation de la vérité. (...)
C’est une négation historique et non une résolution du problème. Même dans la définition du problème, il y a un problème, et dans la présentation des solutions, il y a un manque total d’espoir...
Ce n’est pas seulement les Kurdes qui ont un problème. Le problème concerne la réalité en cours. La nature du problème est cachée et la recherche et l’investigation à ce sujet sont rendues insignifiantes. L’examen de la réalité sociale doit se faire de manière plus scientifique, plus philosophique, plus réelle et plus sociale. Des approches plus proches de la vérité doivent être adoptées.
La résolution superficielle des problèmes au lieu de leur résolution véritable ne peut jamais être une solution. La destruction du potentiel des femmes et des communautés marginalisées par crainte de menace est une erreur, car la démocratie et la politique ne devraient jamais craindre les réalités sociales conflictuelles qui ont une mémoire historique autre que le génocide, la négation et l’annihilation.
La politique, dans son véritable sens, existe précisément lorsque ceux qui sont de l’autre côté y participent. (...)
Sans livres, sans contacts ni visites, avec des saignements récurrents et des grèves de la faim, sans santé au point qu’elle ne peut plus marcher. Des interrogatoires répétés pour obtenir des aveux sur ce qu’elle n’est pas, un drainage d’informations supposément précieuses et devenir une « autre » personne ! Leur travail consiste à épuiser la force et l’énergie pour recruter, elle se répète à haute voix, une petite goutte dans un grand océan dont le courant est inévitable.
Elle masse ses jambes pour pouvoir tenir debout un peu plus longtemps, se lève et tombe. Ces cinq mois, elle a expérimenté plusieurs fois le passage à la limite du « non-être ». (...)
Quand nous naissons condamnés, toute notre vie doit être consacrée à prouver notre existence. Ne pas être soi-même, mais devoir être soi-même.
L’odeur de brûlé et de sang envahit tout le Moyen-Orient. Avec chacun, l’autre se dessine à nouveau devant ses yeux. Le premier cadavre qu’elle a vu à 18 ans était celui de Khadijeh, brûlée vive par son mari et le frère de son mari, ses mains liées, sa vie réduite en cendres. Des histoires vraies qui ne finissent jamais. Des dizaines d’autres problèmes sociaux qu’elle a rencontrés de près grâce à son travail et à l’université, dépeignant l’état de la société. Des dizaines de femmes et d’enfants dont les maris, frères et pères ont été décapités devant leurs yeux lors des attaques de Daech, des filles capturées et violées à plusieurs reprises, certaines se sont immolées.
Les mères, les enfants dans leurs bras, le lait asséché dans leurs seins. Les enfants aux pieds nus, des centaines d’entre eux, les têtes posées sur les pierres de la lapidation, asséchés et mourants. Des dizaines de femmes combattantes dont les corps ont été brûlés et démembrés par les frappes aériennes turques d’un côté et par Daech de l’autre. Des combattants qui se sont sacrifiés pour Khadijeh, pour les enfants et pour les mères endeuillées.
Elle se réveille en sursaut, incapable de se lever, vomissant... vomissements historiques...
Au Moyen-Orient, la crise a dépassé la dimension tragique. Toute la vie sociale est ébranlée, et la région, avec la stratégie de la modernité capitaliste, un regard orientaliste et des politiques imparfaites et contradictoires, est plongée dans le sang et le feu dans le cadre de la stratégie mondiale.
Elle s’assied difficilement sur la chaise, les menaces et les humiliations reprennent. Ses mains portent les cicatrices profondes de la guerre. Pourquoi es-tu allée en Syrie pendant dix ans ? Pourquoi n’es-tu pas allée en Europe ? (...)
Tant que la modernité démocratique n’est pas construite, on ne pourra jamais se libérer de l’ingérence de la modernité capitaliste et de l’intervention dans la région. Le Moyen-Orient doit reprendre son rôle essentiel dans le processus social.
Dans l’histoire moderne du Moyen-Orient démocratique, les forces de l’État-nation et la puissance de la gestion démocratique avancent ensemble ; c’est une méthode dialectique. Pour comprendre l’ensemble, il faut accepter les différences locales. Cela ne signifie pas séparatisme et renversement ! Tout comme en Syrie, les forces démocratiques et révolutionnaires du peuple avaient le pouvoir nécessaire pour renverser le régime, mais ont préféré établir leur propre système et diminuer le pouvoir central d’Assad.
Le système révolutionnaire suit son propre chemin. La démocratisation de la famille pour surmonter le sexisme, la démocratisation de la religion pour surmonter le sectarisme religieux sans être anti-religieux, la démocratisation de toutes les institutions du système pour prévenir le centralisme autoritaire, est construite par une autorité commune sans tomber dans le piège de la dictature et de la purification des traditions des peuples de la région qui constituent leur identité.
Un système qui voit et prend en compte les femmes et les identités marginalisées, opposé au « séparatisme » auquel il est condamné dès la naissance. Parce qu’il ne croit pas en l’État et son essence, qui sont construits sur le mensonge, la tromperie des masses et l’oppression des femmes, qui sont la reproduction du pouvoir. (...)
Bien entendu, la voie juste pour atteindre une société démocratique consiste également à adopter des méthodes démocratiques pour construire une société éthique et politique, où les gens discutent eux-mêmes des questions sociales, s’en préoccupent et trouvent des solutions. C’est cela, la démocratie ! (...)
Et celui qui marche sur le chemin de la vérité et de la liberté a donné un autre sens à la mort et à la vie. Nous n’avons pas peur de la mort, mais nous avons peur d’une vie sans honneur et en esclavage. La vie libre commence là où les femmes (ces anciennes colonisées) vivent fermement et résolument pour leur dignité, embrassant la mort pour vivre libres.
Sharifeh Mohammadi, moi et les autres femmes sur le couloir de la mort, ne sommes ni les premières ni les dernières à être condamnées simplement pour avoir cherché une vie libre et digne. Mais sans sacrifice, la liberté ne se réalise pas. Le prix de la liberté est lourd. Notre crime est d’avoir lié notre généalogie à la vie et à la liberté.
NdR : Le PEN Club français, qui a fait parvenir cette lettre à la rédaction, a mis en ligne une pétition pour réclamer la libération de Pakhshan Azizi.
(...) La journaliste et activiste Pakhshan Azizi est une militant des droits de l’homme et de la femme qui proteste dans ses actes et ses écrits contre les innombrables privations de liberté dont sont victimes les femmes en Iran, et en tout premier lieu la liberté d’expression. Elle a été arrêtée le 4 août 2023 par les forces de sécurité des dirigeants suprêmes et condamnée à mort le 23 juillet 2024.
Pakhshan Azizi est la deuxième femme récemment condamnée à mort pour « rébellion armée ». Avant sa sentence, elle a été privée de conseil juridique et de visites familiales pendant plusieurs mois, et a décrit des tortures subies durant sa détention.
Par la présente, nous demandons l’annulation de la condamnation à mort de Pakhshan Azizi et sa libération immédiate.