
Les élections européennes se rapprochent à grands pas et certains dossiers clés se bouclent au Parlement bientôt renouvelé, notamment le vote sur les nouvelles règles budgétaires et le pacte migratoire, adopté le 14 mai dernier par le Conseil de l’UE. Ce pacte cherche à organiser le mariage de la carpe et du lapin puisqu’il veut à la fois durcir les conditions d’entrée dans l’Union et d’autre part offrir un visage humaniste en renforçant les mécanismes de solidarité.
Le climat dans lequel ce texte a été adopté est celui de la défiance pour ne pas dire de l’hostilité à l’égard de la présence d’immigrés extra-communautaires dans de nombreuses opinions publiques européennes. L’affirmation de l’extrême droite dans bon nombre de nations de l’Union illustre à la fois la dynamique des formations qui lui sont rattachées et, dans le même mouvement, le tassement de plus en plus préoccupant des forces de gauche.
La question migratoire mérite un traitement loin des passions du moment, pour ne pas dire des préjugés à l’œuvre sur le sujet, ou encore des peurs et fausses informations qui peuvent circuler. Le sujet est abrasif, car il s’inscrit à un moment précis de l’histoire des sociétés européennes. Ce moment, si l’on devait le caractériser, est un moment de rétraction et de crispation.
Tout d’abord un moment de rétraction. Le devenir démographique du monde est de moins en moins européen. Le continent connaît un hiver dans ce domaine, qui n’est pas près de s’interrompre – la part de la population européenne dans la population mondiale est d’un peu plus de 5 %. Les plus de 60 ans représentent 20 % de l’Europe à 27 et devraient passer à 30 % en 2070. Depuis plus de deux ans, la population européenne diminue. La rétraction s’observe aussi dans le déclin économique de l’Union, dont la croissance n’a jamais été dynamique et qui montre des vulnérabilités inquiétantes en ce qui concerne les matières premières critiques, ou en matière militaire, industrielle, de recherche et de développement, sans compter la difficulté de faire naître des politiques économiques quelque peu cohérentes.
Rétraction enfin, dans son rôle stratégique à l’échelle mondiale. L’UE est incapable d’avoir une position unie sur la question israélo-arabe ; elle se divise sur la question ukrainienne ou sur la naissance attendue et toujours différée d’une Europe de la défense (...)
Et c’est dans une Europe vieillissante et déclinante que le sujet migratoire se déploie. Il n’est donc pas surprenant que plus encore qu’hier, le sujet suscite craintes, excès et radicalisation des positions.
Avant de saisir les enjeux de ce pacte et de voir ce qu’il laisse entrevoir comme esprit et futures pratiques, il apparaît nécessaire d’avoir une vue générale sur le sujet. (...)
Les quatre pays qui accueillent le plus d’immigrés dits extra-communautaires sont, dans l’ordre, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et en quatrième position la France selon le site de la Commission européenne.
Les impasses du règlement de Dublin et de ses divers amendements
Présenté le 23 septembre 2020 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le pacte européen sur l’asile et la migration a pour objectif de réformer en profondeur la politique migratoire européenne mise à mal lors de la crise migratoire de 2015. L’afflux massif de migrants (1,8 million d’arrivées en un an) avait en effet fortement déstabilisé la coopération entre les États membres, et soulignait le manque de solidarité qui pouvait exister entre eux.
Ce pacte, qui a trouvé la France comme soutien, a pour objectif de réformer le règlement de Dublin (dit « Dublin III ») qui cristallise tensions et oppositions. Adopté en 2013, ce dispositif confie l’instruction des demandes d’asile aux premiers pays de l’UE dans lesquels arrivent les migrants (Italie, Grèce, Malte, etc.). Mais la crise de 2015 a mis en lumière l’inefficacité de ce dispositif, les faiblesses des systèmes d’asile nationaux, et un criant manque de solidarité dans l’UE, alors que les pays en première ligne tels que la Grèce étaient submergés et incapables de traiter convenablement les demandes d’asile.
Les pays de première entrée ont été aux avant-postes pour réclamer un mécanisme de solidarité plus efficace. Mais ce fut peine perdue. (...)
Le projet du pacte migratoire et ses ambitions
Le projet de pacte migratoire se devait d’être une solution de compromis entre la solidarité et la fermeté puisqu’il s’agissait aussi de veiller à ce que les flux migratoires soient davantage régulés ou, pour le dire autrement, contenus voire réduits.
Pour y parvenir, un nouveau mécanisme de solidarité plus flexible a alors été proposé, dans lequel chaque pays devra contribuer au mécanisme de solidarité, mais de manière moins contraignante. Alors que dans le système antérieur, les relocalisations (transferts de demandeurs d’asile entre États membres) étaient obligatoires, elles se feront désormais sur une base volontaire.
Ainsi, les pays disposeront de plusieurs options : relocalisation, contribution financière, ou autres mesures de solidarité (déploiement de personnel, aide logistique à d’autres pays…). Chaque année, afin de mieux tenir compte des flux migratoires, la Commission produira un rapport et proposera des recommandations. Mais, seule, la solidarité ne pourrait suffire ; un travail de coopération s’impose en amont avec les pays d’origine et de transit afin de limiter les arrivées, et de lutter contre les réseaux de passeurs et contre le trafic de migrants.
L’approche de la Commission se veut plus large, puisqu’elle a pour objectif de traiter le problème en amont et d’agir depuis les pays de transit ou d’origine des migrations. De la sorte, la Commission souhaite changer la manière de forger des partenariats migratoires avec les pays tiers. Le pacte migratoire est en outre composé d’un paquet de quatre textes ou règlements aménageant le filtrage des entrées et celui tout particulièrement lié à la gestion des situations de crise.
Avant le vote qui a conduit à son adoption, les négociations entre États ont été âpres (...)
Avant son adoption au Parlement le 10 avril dernier, rien ne semblait acquis pour obtenir un texte qui puisse convenir. Mais le danger qui guette l’Union a été bien identifié par Jean Paul Fitoussi en son temps : « à force de compromis on en perd le dessein ». D’autant plus que le climat n’est guère propice à une approche équilibrée en la matière, tant la pression de l’extrême droite est perceptible sur le continent.
Le vote du 10 avril et ses conséquences (...)
Prévu pour entrer en vigueur à partir de 2026, le pacte aura pour première action un filtrage aux frontières : l’étranger arrivant saura dans un délai de cinq jours s’il peut entrer dans l’espace européen ou le quitter. Il sera identifié de manière précise (identité, situation sanitaire…). La recherche de partenariats avec les pays d’origine et de transit est confirmée. Comme il était prévu, la solidarité sera plus à la carte et les options voulues avant ce vote sont confirmées, comme la contribution financière ou encore la relocalisation.
Le Rassemblement national a dénoncé le fait qu’un refus de la France d’accueillir des populations migrantes se traduirait par des compensations financières onéreuses ; pourtant cela n’apparait nulle part dans le texte. Une partie de la gauche s’est désolidarisée du texte en dénonçant une externalisation des frontières de l’UE et en craignant pour les droits fondamentaux des migrants. Amnesty International a d’ailleurs dénoncé ce pacte en insistant sur l’accroissement de la vulnérabilité des personnes migrantes (...)
Il est certain que si l’on souhaite offrir un accueil digne aux personnes qui cherchent asile sur le continent, des moyens importants doivent être mobilisés pour le faire. On peut douter à l’heure du retour de plus en plus certain de austérité dans l’Union que l’on prenne cette direction.
Par ailleurs, les pactes migratoires avec la Tunisie, Libye et Turquie, qui auraient pour vocation d’assurer le premier filtre ou contenir la venue des migrants, risquent d’être une impasse et pourraient faire l’objet de marchandages au détriment de populations en situation de vulnérabilité. Ces pays peuvent laisser prospérer l’immigration clandestine par leur territoire pour demander une augmentation de l’aide européenne, ou encore obtenir la facilité de circulation de leurs propres résidents. En 2020, le président turc, dont le pays abrite plus de 3 millions de réfugiés syriens, menaçait l’Union européenne de ne plus les garder et de revenir sur l’accord de 2016 si les fonds promis n’étaient pas plus rapidement débloqués. (...)
Laisser entendre que les différentes positions ont trouvé un terrain d’entente sur ce texte constitue une manœuvre trompeuse. Il s’agira de voir si la solidarité revendiquée résiste à une nouvelle crise migratoire. La crise climatique à l’œuvre, et qui est appelée à s’approfondir, va générer le développement de migrations importantes qui représenteront un défi pour l’Union européenne. Plus encore avec l’affirmation de l’extrême droite en Europe, il n’est pas impossible que les dispositifs les plus solidaires ne résistent pas à l’épreuve des faits...
En réalité, ce pacte, comme beaucoup de mesures contemporaines, prend les personnes les plus vulnérables pour cible.