
Le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel a été attribué cette année à une femme, Claudia Goldin, pour la troisième fois seulement en 55 ans. Ses travaux portent sur les mécanismes d’inégalités de genre sur le marché du travail.
L’Académie royale des sciences suédoise a ainsi justifié le prix « pour avoir avancé la compréhension des performances des femmes sur le marché du travail ». (...)
Née en 1946 à New York, elle a principalement œuvré à la construction d’une histoire des écarts économiques entre les hommes et les femmes depuis deux siècles. Un travail long et difficile d’histoire économique et d’interprétation des archives qui lui a permis de renverser un certain nombre d’idées reçues, notamment celle qui voudrait que la croissance économique soit la meilleure recette pour réduire cet écart.
Le rôle de la pilule (...)
À partir des années 1970-1980, les attentes des femmes se seraient modifiées en conséquence d’un meilleur accès à l’éducation, mais aussi de la levée de restrictions légales et sociales. Claudia Goldin est ainsi une des premières à avoir exploré et documenté l’impact de la pilule contraceptive sur les écarts de salaire et l’accès à l’emploi des femmes. (...)
La première partie de son travail s’est donc attachée à expliquer les mécanismes des inégalités entre les hommes et les femmes au fil de l’histoire du capitalisme. (...)
La deuxième partie du travail de Claudia Goldin est plus contemporaine. Aujourd’hui, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes s’est réduit, mais reste élevé. (...)
Elle estime ainsi qu’il n’est plus possible de justifier cet écart par des écarts de productivité entre les hommes et les femmes, puisque le niveau de compétences et de formation est désormais le même.
L’économiste rejette aussi toute explication liée à des caractères « essentialistes » comme une supposée plus faible capacité des femmes à négocier leurs salaires ou une moindre résistance à la compétition. Elle estime aussi que l’existence de pratiques discriminatoires ne permettrait pas d’expliquer entièrement la résistance de cet écart. (...)
Ce problème, qu’elle appelle « le problème sans nom », elle le résume par un terme : « les emplois avides » (« greedy jobs »). Son idée, qu’elle avait déjà mise en avant dans un article de 2014 titré Le Dernier Chapitre de la grande convergence, est que les écarts salariaux à l’intérieur des secteurs sont plus importants que la distribution des genres entre les secteurs. Autrement dit : dans certains secteurs de l’économie, l’écart de salaires à compétences égales est structurellement élevé. Ce qui signifie que, pour Claudia Goldin, améliorer la présence des femmes dans les secteurs où l’écart est le plus élevé ne réglera pas le problème. (...)
Dans son étude de 2014, elle expliquait que « l’écart salarial existe très simplement parce que les heures de travail dans de nombreux métiers valent plus chères quand elles sont données à des moments particuliers et quand les heures travaillées sont plus continues ». (...)
. En bref : les longs horaires et la disponibilité 24 heures sur 24 sont survalorisés dans ces emplois « avides ». Les femmes étant davantage soumises à des charges familiales contraignantes, elles ne peuvent souvent pas assurer ces tâches. (...)
Une critique interne au système (...)
Claudia Goldin est une économiste orthodoxe. Elle réfléchit donc principalement en fonction de choix personnels et de relations coût-bénéfice. Certes, elle prend en compte les normes sociales, mais son travail n’est pas sociologique. Son approche ne lui permet pas de prendre en compte l’existence d’un caractère patriarcal propre au mode de production capitaliste qui expliquerait la résistance de ces fameuses « normes sociales », mais aussi la répartition des femmes dans le marché du travail. En cela, son travail est très différent – et sans doute moins émancipateur – de celui, par exemple, de Céline Bessière et Sibylle Gollac, autrices du Genre du capital (La Découverte, 2020). (...)