Le groupe LVMH de Bernard Arnault va devenir entièrement propriétaire du magazine économique « Challenges » et des revues « Sciences et Avenir » et « La Recherche ». Les salariés craignent de voir leur indépendance s’envoler.
Bernard Arnault, le nouveau milliardaire croquemitaine des médias, s’apprête à engloutir le magazine économique Challenges ainsi que les revues Sciences et Avenir et La Recherche. En 2020, il était déjà entré au capital de ces médias à hauteur de 40 %. D’ici la fin de l’année, il deviendra l’actionnaire majoritaire de ces trois titres car Claude Perdriel, le patron actuel, souhaite passer la main.
« Claude Perdriel a 99 ans et commence à sentir les effets de l’âge. Il a décidé de vendre l’ensemble des titres à Bernard Arnault, qui n’attendait que cela. C’est surtout “Challenges” qui l’intéressait, car cela fait quelques années qu’il était chatouillé par le numéro du classement des personnalités les plus riches. Il n’aime pas voir sa tête en couverture », rapporte Florence Leroy, journaliste chez Sciences et Avenir et membre du comité social et économique des éditions Croque Futur, qui chapeautent les trois médias.
Défense de « l’économie libérale » et du « monde de l’entreprise »
Cette situation inquiète les salariés. Dans un communiqué publié le 29 octobre, les sociétés des journalistes dénoncent « une forme de brutalisation » de leur futur patron.
En cause, les méthodes de Nicolas Beytout, actuel directeur de L’Opinion et dépêché comme négociateur dans cette affaire. Durant la réunion avec les représentants du personnel, il a été « cassant et même parfois méprisant », rapporte Florence Leroy. Il a clairement énoncé qu’il ne respecterait pas la charte du magazine adoptée en 2013 qui acte une ligne éditoriale tournée vers « l’économie sociale de marché, avec ses corolaires — la défense d’une économie ouverte, humaniste et de progrès ». (...)
Risque de censure
Challenges va devoir défendre « l’économie libérale » et « le monde de l’entreprise », a assuré Nicolas Beytout, selon le communiqué des journalistes. « C’est le mot “social” qui coince. On risque de devenir un outil de propagande au service du grand patronat et des intérêts du groupe de luxe. Alors qu’aujourd’hui, nous sommes dans un média non partisan qui respecte le pluralisme des opinions, dans lequel on donne la parole à tout le monde », poursuit Delphine Déchaux.
Dans son communiqué, les sociétés des journalistes (SDJ) interprètent cette démarche comme « une volonté de reprise en main idéologique de la rédaction par le futur acquéreur, en violation de sa charte ». « Il y a un risque de censure de tout ce qui déplaît », redoute Delphine Déchaux. (...)
Ingérences éditoriales
Pourtant, Bernard Arnault adore se mêler de la ligne éditoriale des journaux dont il est propriétaire. Le 21 mars, le directeur de la rédaction des Échos avait été limogé pour avoir publié des articles ayant déplu au milliardaire. La société des journalistes du quotidien s’était indignée de « cette éviction brutale » et avait lancé une grève des journalistes.
En septembre 2024, le milliardaire avait personnellement envoyé une liste de sept médias à qui les journalistes de ses différents groupes avaient « interdiction absolue de parler », comme le révélait La Lettre. Ses cibles : des titres indépendants ou d’investigation comme Mediapart ou Le Canard enchaîné. (...)
Lorsqu’il sera pleinement propriétaire de Challenges, Bernard Arnault possédera une grande partie des titres économiques de notre pays : des Échos en passant par Investir, La Lettre de l’expansion et L’Agence économique et financière. Capital et La Tribune lui échapperont encore. C’est qu’ils appartiennent déjà à d’autres milliardaires : Vincent Bolloré pour le premier et Rodolphe Saadé pour le second.