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Mediapart
Le difficile retour en Afghanistan des réfugiés chassés d’Iran et du Pakistan
#Iran #Pakistan #Afghanistan #migrants #immigration #expulsions
Article mis en ligne le 10 octobre 2025
dernière modification le 7 octobre 2025

Depuis deux ans, quatre millions d’Afghans exilés dans des pays frontaliers ont été contraints de rentrer dans leur pays d’origine, sans projet, sans logement ni ressources. En juin, la guerre menée contre l’Iran, dont ils ont été les boucs émissaires, a accéléré le phénomène.

Islam Qala, Spin Boldak (Afghanistan).– Les hommes avancent en file, les uns derrière les autres, disciplinés, immédiatement suivis par un groupe de femmes et d’enfants. Toutes et tous ont été arrêtés deux jours auparavant aux alentours de Kuchlak, un petit village du Baloutchistan pakistanais, que l’on distingue de l’autre côté de la rambarde. Ils et elles ont passé la nuit dans un centre de rétention, avant d’être expulsé·es vers la frontière.

Certain·es ont le regard rivé sur le sol clair, terreux, n’osant pas trop contempler la barrière qui sépare l’Afghanistan du Pakistan, surmontée de fils barbelés, ni les militaires en treillis qui veillent, la mine sévère. Celles et ceux qui écarquillent leurs yeux fatigués, pour ne pas perdre une miette du paysage, distinguent pour la première fois le drapeau blanc des talibans au-dessus des murets de pierres. Et voient de jeunes garçons slalomer entre les voitures et les imposants camions colorés, courbés par le poids de leurs baluchons en toile, remplis de ferraille qu’ils essaieront de vendre toute la journée.

Voilà leurs premières images d’Afghanistan, celles du poste-frontière de Spin Boldak, rapidement remplacées par la froideur d’une salle d’attente impersonnelle. Celle réservée aux femmes est entièrement construite dans des tons gris terne. « Nous n’avons pas mangé depuis deux jours », murmure Rabia en ourdou, l’une des langues officielles du Pakistan, entourée de ses deux filles, Habiba et Assia, la vingtaine à peine. Assises en tailleur sur le sol, au milieu de quelques sacs et d’enfants, elles prévoient de rejoindre Kunduz, à l’autre bout du pays, où se trouvent des proches.

Le père, resté quelques jours au Pakistan pour rassembler les derniers bagages, s’apprête à les rejoindre. Cette famille s’est établie au Pakistan depuis quarante ans et disposait d’un permis de séjour arrivé à expiration. Les deux filles aînées et leurs petits frères et sœurs mettent un pied pour la première fois en Afghanistan, après leur arrestation par leur pays d’accueil. « À quoi va ressembler notre vie ici ? Nous avons vécu quarante ans au Pakistan, nous ne connaissons rien de l’Afghanistan », s’interrogent Rabia et ses filles.

Après s’être enregistrée avec ses deux plus jeunes fils, Rabia s’enquiert de médicaments distribués par le Croissant-Rouge. Quelques heures plus tard, elle atterrit au centre d’accueil Anzargi, à une heure de route, dans le district de Kandahar. Les talibans présents dans le camp de fortune se veulent rassurants : « Nous les aidons, nous essayons de leur faire comprendre que leur pays les accueille. Nous fournissons le transport, ce sont nos frères », déclare Ali Mohammad Haqmal, l’un des administrateurs.

Le Pakistan, premier à expulser

Un peu plus loin, dans l’espace masculin agrémenté d’un tapis bleu vif, seule pointe de couleur des lieux, deux employés de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) circulent entre les quelques hommes qui en observent d’autres prier. Ils recensent les identités et vérifient les cartes de séjour pakistanaises. (...)

Plus de quarante ans de conflit, depuis l’invasion soviétique de 1978, ont plongé l’Afghanistan dans la violence, la précarité, et poussé des millions de personnes sur les routes de l’exil. 90 % des réfugié·es afghan·es ont émigré vers les pays limitrophes, l’Iran et le Pakistan en tête.

La dernière vague migratoire d’ampleur remonte au mois d’août 2021, lors de la prise de Kaboul par les talibans. Terrorisée, la population se rue, désespérée, à l’aéroport de la capitale, temporairement l’unique point de sortie du pays. Tout au long de l’année 2021, 4,9 millions de personnes franchissent, à leur réouverture, les frontières terrestres vers le Pakistan et l’Iran – un chiffre qui diminue drastiquement en 2022. (...)

En 2023, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) indique que 3,5 millions de ressortissant·es afghan·es vivent en Iran. Parmi eux, 780 000 détiennent une carte de réfugié·e, tandis que 600 000 possèdent des passeports afghans avec des visas valides en Iran. Quant au Pakistan, non signataire de la convention de Genève relative au statut des réfugié·es, il accueillait à la même période quelque 3 millions d’Afghan·es, dont plus de 2 millions titulaires de titres de séjour qui ne confèrent ni protection juridique, ni accès au système d’éducation ou au marché du travail.

Dans les deux pays, les Afghan·es ont grossi les rangs des populations les plus vulnérables, soumises au bon vouloir des autorités, puisque les années 2010 avaient déjà vu l’évacuation par le HCR de près de 6 millions de citoyen·nes afghan·es. Ces derniers s’étaient donc tournés vers l’Europe, devenant le deuxième plus grand groupe de demandeurs et demandeuses d’asile après les Syrien·nes. Il y a deux ans, le Pakistan a réitéré cette politique d’expulsion, avant de récidiver au mois d’août. Et en janvier, l’Iran a fait de même.

« Les sanctions internationales pèsent sur l’Iran et contribuent à l’effondrement de l’économie. Pour le gouvernement, il s’agit d’enjeux de survie : réduire la population réfugiée et mieux contrôler les visas temporaires, souligne Nassim Majidi, directrice du Samuel Hall, un centre de recherche dédié aux mouvements migratoires, et autrice d’une note pour l’Institut français des relations internationales (Ifri) consacrée aux déplacements des Afghan·es.

« Les autorités expulsent massivement des familles, mais seraient en train de mettre en place une politique de visas réservée aux travailleurs, afin qu’ils continuent à opérer sur les sites de construction ou des projets d’agriculture », poursuit-elle. (...)

Au total, 4 millions d’Afghan·es, dont la moitié depuis le début de l’année, ont retrouvé leur pays, englué dans la pauvreté. Les instances onusiennes estiment que près de la moitié de la population nécessite une assistance humanitaire. L’aide au développement s’est tarie, aggravée par la réduction brutale des financements pourvus par l’agence états-unienne USAID. À l’approche de l’hiver, l’inquiétude des arrivant·es est palpable.
Harcèlement des autorités iraniennes

Au poste-frontière d’Islam Qala, proche de l’Iran, se déversent, au compte-goutte, des grappes de figures hébétées, sommées de composer avec l’incertitude de leur situation économique, et leurs traumatismes récents.

« Nous n’avons eu que trois jours pour déguerpir, sous peine d’être expulsés de force » (...)

Après la guerre de douze jours en juin, lors de laquelle la République islamique a été bombardée par Israël puis les États-Unis, les Afghan·es réfugié·es en Iran ont fait office de boucs émissaires. Les évacuations se sont accélérées, avec un pic de plus de 500 000 personnes pour le seul mois de juillet.

« Ils nous disaient que les Afghans travaillaient pour les services de renseignement israéliens, qu’on espionnait les bases militaires pour leur compte. Les discours haineux se sont multipliés, nous n’avons plus osé sortir de chez nous. À l’hôpital, j’ai croisé plein d’Afghans qui avaient été poignardés », se souvient Mustafa, 25 ans, interrompu par sa sœur, Madina, 18 ans : « Ils en ont même tué quelques-uns », souffle-t-elle, en jean et tunique à manches bouffantes.

Lorsqu’elle sera sortie des différents centres d’accueil, la jeune fille devra adapter sa tenue aux restrictions des talibans, et porter une abaya noire. Pour le moment, c’est la perspective de ne pas accéder à l’université qui lui arrache des larmes. « Je me sens très très mal », articule-t-elle douloureusement. Madina rêvait de devenir ingénieure informaticienne. (...)