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Mediapart
Lafarge et le financement du terrorisme : ce que contient le document final des juges d’instruction
#Lafarge #Daech #Etatfrançais
Article mis en ligne le 19 octobre 2024
dernière modification le 17 octobre 2024

Trois juges parisiens demandent la tenue d’un procès à l’égard de la multinationale du ciment et plusieurs de ses ex-dirigeants. Ils pointent dans leur synthèse d’enquête le mobile « strictement économique » du pacte diabolique passé avec l’État islamique en Syrie.

Si un procès est une pièce de théâtre, l’intrigue de celui dont des juges viennent de décider de la tenue prochaine à Paris est parfaitement inédite : une multinationale française a financé le terrorisme islamiste en Syrie pour maintenir coûte que coûte en activité une usine qui lui avait coûté cher, trop cher.

Ainsi peuvent se résumer les 266 pages de l’ordonnance de renvoi – le document final d’une instruction – dans l’affaire dite « Lafarge », du nom du géant du ciment soupçonné d’avoir versé en connaissance de cause des millions d’euros entre 2012 et 2014 à plusieurs groupes terroristes, dont l’État islamique qui ensanglantera Paris en novembre 2015, après avoir étendu son emprise entre l’Irak et la Syrie. (...)

Les juges d’instruction Nicolas Aubertin, Fabienne Bernard et Stéphanie Tacheau, qui demandent le renvoi devant le tribunal correctionnel pour financement du terrorisme de huit anciens dirigeants et intermédiaires de Lafarge, ainsi que de l’entreprise elle-même comme personne morale, soulignent que le mobile de ce pacte avec le diable était « strictement économique », selon les termes de leur ordonnance signée le 16 octobre, dont Mediapart a pu prendre connaissance. (...)

Parmi les principales personnes renvoyées devant le tribunal, qui bénéficient toutes de la présomption d’innocence, se trouve l’ancien PDG de Lafarge, le capitaine d’industrie Bruno Lafont. Depuis le début de l’enquête, il dément toute implication personnelle dans les faits mis au jour.

Mais d’après les juges, « l’ensemble des éléments [recueillis] constitue des charges suffisantes permettant de renvoyer Bruno Laffont devant le tribunal correctionnel pour avoir validé, voire, selon les témoignages, encouragé le maintien de la cimenterie alors que les conditions sécuritaires se dégradaient et que les accords avec les groupes armés notamment terroristes contre rémunération avaient été portés à sa connaissance ».

Personne (im)morale (...)

En juillet 2014, Christian Herrault, qui conteste lui aussi les délits présumés qui lui sont reprochés, avait rédigé un mail au sujet de la relation de Lafarge avec l’État islamique, dans lequel il indiquait : « Il faut maintenir le principe que nous sommes prêts à partager le “gâteau”, encore faudrait-il qu’il y ait un “gâteau”. Pour moi, le “gâteau” est tout ce qui est un “profit”. » (...)

La société Lafarge SA sera, elle aussi, sur le banc des prévenus. Les juges d’instruction rappellent dans leur ordonnance qu’elle a déjà reconnu les faits aux États-Unis, où elle a échappé à un procès contre le paiement d’une amende de 778 millions de dollars. La justice américaine avait parlé d’un « crime ahurissant » au sujet des faits reprochés au cimentier. (...)

Un autre volet de l’enquête demeure toujours à l’instruction. Il concerne la complicité de crimes contre l’humanité pour laquelle Lafarge est également mise en examen

Une première mondiale pour une personne morale. « Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans cette affaire, c’est la multiplication d’actes de complicité qui permet le crime contre l’humanité, le “plus grave des crimes ”. Ces actes de complicité ne sauraient donc rester impunis », ont déclaré, mercredi 16 octobre, dans un communiqué l’ONG Sherpa et l’European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), parties civiles dans la procédure