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Mediapart
La Tunisie enterre en silence Hichem Miraoui, assassiné dans le Var
#HichemMiraoui #racisme #assassinat #migrants #refugies #immigration
Article mis en ligne le 13 juin 2025

Victime d’un crime raciste en France, Hichem Miraoui a été inhumé dans sa ville natale de Kairouan, mercredi 11 juin. Il avait gagné l’Italie au lendemain de la révolution, après avoir traversé la Méditerranée à bord d’une embarcation de fortune. Ses proches se souviennent

(...) Quelques heures plus tôt, mercredi 11 juin, le corps de Hichem Miraoui, abattu en France, à Puget-sur-Argens (Var), par Christophe Belgembe, son voisin de 53 ans qui avait déjà proféré contre lui des injures à caractère raciste par le passé, est arrivé à l’aéroport de Tunis-Carthage. Transporté ensuite à la mosquée la plus proche de la maison familiale par les hommes de sa famille et de son entourage pour une dernière prière funéraire, il a été inhumé dans le cimetière du centre-ville de Kairouan.

Aucune personnalité politique ni aucun membre de la société civile n’était présent à la cérémonie, qui a été couverte par quelques médias tunisiens. (...)

Faute de papiers en règle, Hichem avait passé une partie de sa vie en France, entre les allers-retours en Italie, où il était officiellement résident, et les démarches pour trouver un avocat qui l’aiderait à régulariser sa situation. « C’était pratiquement finalisé, affirme son frère Adel, et il était tellement confiant qu’il préparait son retour en vacances cet été à Kairouan pour voir sa mère. »

L’arrivée de Hichem Miraoui en Europe ne s’est pas faite sans heurt. Parti en 2011 dans un bateau de migrants irréguliers pendant les premiers mois qui ont suivi la révolution tunisienne, il est resté longtemps traumatisé par le naufrage d’une deuxième embarcation, qui avait quitté les côtes le même jour que la sienne.

Le rêve européen (...)

Un ami d’enfance, rencontré à Kairouan et qui n’a pas souhaité donner son nom, confie que Hichem incarnait un peu le rêve de beaucoup de Tunisiens qui migrent vers l’Europe. Il s’était battu pour continuer sa carrière de coiffeur et gagner dignement sa vie.

« Moi aussi je suis parti en Italie de cette façon et vous savez, on peut vite tomber dans l’argent facile, mais Hichem a toujours refusé. Il a galéré avant de pouvoir se stabiliser financièrement. Il voulait juste faire son métier, vivre correctement et envoyer un peu d’argent à sa mère, explique cet ami, qui lui aussi a été touché par le racisme. Dès que vous arrivez en Italie, vous sentez que vous n’êtes pas le bienvenu malheureusement, mais on s’y fait. Moi, je suis revenu en Tunisie, je n’ai pas vraiment supporté ce décalage. Je voulais voir l’Europe, c’était mon rêve, je suis rentré ensuite. »

Charlotte aussi se désole du racisme que subissait Hichem dans les Alpes-Maritimes. « C’était tellement banal, quand on se baladait à Nice, regrette-t-elle. Même ma famille n’acceptait pas que je vienne avec un homme maghrébin et musulman. J’aurais dû réagir, en réalité, il faut répondre aux gens qui déversent de la haine. » (...)

Mercredi, un rassemblement a été organisé à Tunis, à l’arrivée du corps de Hichem Miraoui, par la coalition Tunisian Solidarity. Seules trois personnes ont répondu à l’appel. Romdhane Ben Amor, porte-parole de l’ONG Forum tunisien des droits économiques et sociaux, n’est pas surpris. « Malheureusement, le racisme est aussi devenu un sujet tabou en Tunisie », explique-t-il, avec à l’esprit « les campagnes sécuritaires contre les migrants subsahariens et le climat de haine qui a suivi » dans le pays.

Après l’assassinat, seuls le ministre de l’intérieur tunisien et l’ambassadrice de France ont réagi officiellement. Les médias tunisiens se sont focalisés rapidement sur la montée du discours raciste en France, mais le débat est vite retombé avec la fête religieuse de l’Aïd qui suivait, une semaine après l’assassinat.

« Les Tunisiens sont tellement préoccupés par leurs soucis quotidiens qu’on a l’impression qu’ils s’éloignent de plus en plus du politique, un événement chasse l’autre », ajoute Romdhane Ben Amor. (...)

Mais, poursuit la vice-présidente du parti tunisien social-démocrate Ettakatol et de l’Internationale socialiste des femmes, « cela ne justifie pas le silence. Bien au contraire : c’est précisément dans ces moments de tension qu’il faut faire preuve de solidarité, de conscience, de courage ». Elle se dit « profondément troublée » par le silence qui a entouré la mort tragique de Hichem Miraoui en Tunisie. « Mais il ne m’a pas étonnée, ajoute-t-elle. Il révèle plusieurs strates d’indifférence, d’épuisement collectif et, parfois, d’aveuglement volontaire. »

« Il y a cette lassitude rampante, presque résignée, face à des violences qui se répètent. Lorsqu’un jeune Arabe est tué à l’étranger, beaucoup semblent penser que “c’est le prix à payer”. Comme si notre humanité était devenue négociable en fonction du lieu où nous vivons, de notre origine ou de notre statut », ajoute encore Hella Ben Youssef.

Une vision partagée par un des amis d’enfance de Hichem Miraoui, Sahbi, venu assister aux funérailles à Kairouan. Il estime que le racisme anti-Arabe s’est banalisé et que les Tunisien·nes s’habituent aux récits racontés à distance par leurs familles : « Ce n’est pas surprenant pour moi, le racisme en France. Limite, le pays est connu pour ça. On en entend parler tout le temps, et Hichem nous disait souvent au téléphone qu’il se faisait embêter par un voisin, mais qu’il restait silencieux car il ne voulait pas créer de problèmes. »