
Se préparer au pire devient le discours officiel » Olivier Fournout
10 Mars 2025. En même temps que le 3e plan d’adaptation au réchauffement climatique gagne en vigueur en France, claironnant que ce sera 4°C de hausse, des publicités vendent des grosses voitures à des joueurs de golf. On va dans le mur, on le sait et on y va quand même. Telle est la tragédie du monde occidental : une tragédie de l’adaptation.
Pour sauver le monde, il faudrait mettre en réserve de biodiversité la moitié de la terre, seule mesure à même d’enrayer la chute. Le scientifique qui tient en premier ce raisonnement, voici une dizaine d’années, n’est pas un gauchiste : Edward O. Wilson, écologue de renom, en expose le principe dans son livre Half-Earth, Our Planet’s Fight for Life [1], se fondant sur les lois observables de la vie sur terre – dont l’humanité fait partie.
Dix ans plus tard, début mars 2025, à observer le monde, il ne semble pas que celui-ci prenne la tournure de ne pas courir à la catastrophe. Une publicité circule, qui cible la vente de grosse voitures vers les joueurs de golf : « Lexus, témoin de vos plus beau swings ».
Pour sauver le monde, il faudrait massivement privilégier la correction de la trajectoire sur le réchauffement climatique, la chute de la biodiversité, la pollution des milieux, la déforestation, l’artificialisation des sols, l’agriculture industrielle, l’extractivisme et la captation de l’eau. Autrement dit, prendre des mesures énergiques, de coopération internationale et de planification écologique, pour éviter le pire. Mais rien ne permet de se convaincre que, dans un futur proche, les propositions de mise en réserve de biodiversité de la moitié de la terre, reprises par Troy Vettese et Drew Pendergrass en 2022 dans Half-Earth Socialism [2], ou de « redirection écologique » à la manière d’Alexandre Monnin en 2023 dans Politiser le renoncement [3], ou encore de « bifurcation écologique » et de « planification écologique » développées en 2024 par Cédric Durand et Razmig Keucheyan dans Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique [4], aient une chance d’aboutir à une hauteur suffisante. Les « Plan B 2.0 » [5] et « Plan B 4.0 » [6] qui se sont enchaînés pour sauver la planète et la civilisation – 2006, 2009 – ne se sont pas soldés par plus de réussite.
L’inverse est désormais acté par le plan d’adaptation au changement climatique. (...)
. Soudain, les communications s’orientent vers l’adaptation à une hausse de quatre degrés, passant de
deux degrés seront catastrophiques
à
quatre degrés, il faut s’adapter !
La campagne est lancée en France le 3 février 2023. Les médias reprennent la sortie du Ministre de la transition écologique, annonçant que la catastrophe sera pire que prévue. Sandy Dauphin, journaliste de radio publique, déclare :
« Pour la première fois, le Ministre de la transition écologique dit que la stratégie d’adaptation au changement climatique doit être dimensionnée pour un réchauffement de plus quatre degrés d’ici la fin du siècle, et non plus seulement deux degrés. C’est un tournant. Ça veut dire qu’il faut se préparer au pire ».
À partir de ce signal, SE PRÉPARER AU PIRE devient le discours officiel, monolithique et discipliné, faisant converger les institutions publiques, les médias, les experts et les ONG à l’unisson (...)
La communication s’est massivement métamorphosée :
plus deux degrés, c’était catastrophique ; plus quatre degrés, il faut s’adapter.
Il n’y a plus, désormais, qu’à s’adapter au pire.
s’adapter AU PIRE, la langue, si elle a encore un sens, dit tout (...)
La somme des réussites de l’humanité moderne aboutit donc à cette assertion effarante, circulant dans l’espace public dominant, sans remise en cause, qu’avec tous les progrès accomplis, il n’y a plus qu’à S’ADAPTER AU PIRE, c’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’à cultiver l’aptitude à vivre dans le plus haut degré de la catégorie du mauvais. (...)
Les prévisions de longue date se vérifient sur tous les segments de la catastrophe : pollution, chute de la biodiversité, réchauffement climatique, épuisement des ressources et des sols...
Bien sûr, publiquement, il faut maintenir une dose d’optimisme : « On a bien compris qu’adapter ne veut pas dire renoncer à faire baisser la température », complète Fabienne Sintes en introduction du Téléphone sonne du 10 mars 2025. (...)
Et ce n’est pas « l’économie de guerre » qui se profile en 2025, qui va permettre de mieux s’attaquer à la crise environnementale, au contraire.
On fait pire parce que le régime organisationnel imposé à la société est incapable de faire autrement. Blindé de compétences et richissime, l’Occident industriel et capitaliste n’offre plus que cette perspective :
L’aptitude à vivre dans le plus haut degré de la catégorie du mauvais,
martelée en permanence dans l’espace public. Comment résister ? Elle pourrait faire bondir, entraîner à la révolte, mobiliser l’opinion publique et les citoyens dans les organisations, pour enfin traiter les causes de la catastrophe. Mais rien ne bouge de significatif. L’acceptation du message domine. Tout continue comme si de rien n’était (...)