
🔴#Russie : plongée dans les ténèbres.
11 ans après l'assassinat de Natalia Estemirova, la prestigieuse ONG Memorial, harcelée depuis des années pour son travail de documentation des violations des droits humains, a été dissoute aujourd'hui à Moscou. https://t.co/lzm4ztLFNW— Samuel H (@Sam_hanryon) December 28, 2021
La salle crie : « Honte !!! »
— Memorial France (@france_memorial) December 28, 2021
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La Cour suprême russe a annoncé, mardi 28 décembre, la dissolution de l’ONG Memorial, pilier de la lutte contre les répressions. Une nouvelle étape dans l’offensive globale du pouvoir de Vladimir Poutine contre toute voix critique en Russie.
À cette occasion, Mediapart vous propose de relire l’entretien réalisé le 28 novembre dernier avec l’historien Nicolas Werth.
Jeudi 25 novembre, la Cour suprême russe a commencé l’examen – finalement reporté au 14 décembre durant l’audience – de la dissolution d’une des deux structures clefs de la fameuse ONG Memorial, fondée en janvier 1989 par Andreï Sakharov notamment : Memorial-International.
Cette entité juridique, qui se concentre sur les questions d’histoire et de mémoire, est poursuivie en même temps – mais par une seconde instance judiciaire – que l’autre branche historique de Memorial : le Centre des droits humains.
Cette offensive globale du pouvoir de Vladimir Poutine s’inscrit dans un contexte de répression croissante visant toute voix critique en Russie : fermeture de médias indépendants ou d’ONG, démantèlement du mouvement de l’opposant Alexeï Navalny embastillé.
Memorial et ses deux branches constituent cependant un morceau de tsar. L’association est symbolique, mondialement connue. Deux prix Nobel de la paix, Mikhaïl Gorbatchev et Dmitri Mouratov, ont pris sa défense.
Les pressions, incessantes, ont commencé à se durcir avec la confiscation des archives numériques de l’ONG en décembre 2008. Et surtout avec l’assassinat, en juillet 2009, de la représentante de Memorial en Tchétchénie, Natalia Estemirova (...)
Le régime de Vladimir Poutine se contente-t-il de réduire au silence ?
Non, le régime réécrit l’histoire. En l’occurrence, l’opération est orchestrée par la Société d’histoire militaire de la Russie, pilotée par Vladimir Medinsky, ancien ministre de la culture et très proche de Vladimir Poutine – la Société de géographie de la Russie étant pour sa part administrée par le ministre de la défense Sergueï Choïgou, avec pour président d’honneur Vladimir Poutine lui-même.
Dans le cas du charnier de Sandarmokh, la réécriture de l’histoire prétend que les 6 000 corps retrouvés étaient non pas des victimes du NKVD des années 1937-1938, mais des prisonniers soviétiques exécutés par l’occupant finlandais en Carélie, entre 1941 et 1943. C’est une affirmation absurde, démontée par les historiens sérieux et indépendants (...)
La deuxième mission de Memorial s’avère éducative. Depuis vingt-cinq ans, par exemple, est organisé un concours auprès des lycéens. Sur le modèle de ce qui s’est fait en France sous l’égide de ministère de l’éducation avec le concours national de la Résistance et de la Déportation, l’ONG Memorial encourage les lycéens à creuser l’histoire soviétique, à partir de lieux ou d’exemples familiaux. Plusieurs milliers d’élèves participent à cette enquête. Les meilleurs textes sont publiés dans un ouvrage collectif édité par Memorial. (...)
Depuis sa fondation, le Centre des droits humains Memorial a épaulé environ 250 prévenus et gagné 150 affaires.
Par ailleurs, Memorial répertorie et soutient 420 prisonniers politiques en Russie, et suit de près les persécutions menées par le président Ramzan Kadyrov en Tchétchénie.
Une telle activité de défense, d’aide juridique, ou même d’observation des conditions de détention, se retrouve dans le collimateur du régime. (...)
Cette plainte du parquet, qui a saisi le tribunal de Moscou, est intervenue au lendemain d’une autre démarche, celle du procureur général de la Fédération de Russie, qui a donc, parallèlement, demandé à la Cour Suprême de procéder à la « liquidation » de la branche chargée des questions d’histoire et de mémoire : Memorial-International. (...)
Memorial a fait ériger plus d’une centaine de stèles sur les lieux de massacre et les charniers découverts – ceux-ci ne représentent encore qu’un quart du total à mettre au bilan de la terreur stalinienne.
Des centaines de plaques commémoratives ont par ailleurs été apposées aux domiciles qu’occupaient des victimes de la répression avant leur arrestation. Une telle campagne mémorielle a pour nom « Dernière adresse connue ».
Sur le modèle de la « topographie de la terreur », à Berlin, les lieux où opéraient les bourreaux du régime ont-ils été, eux aussi, l’objet d’une signalétique ?
C’est alors que les ennuis ont vraiment commencé pour Memorial ! La réaction brutale ne s’est pas fait attendre dès qu’a été mis en cause l’appareil du NKVD, ou dès qu’ont commencé à apparaître non plus seulement les noms des millions de victimes, mais ceux des dizaines de milliers de tortionnaires ou exécuteurs des basses œuvres. (...)
Le but du régime est d’encadrer et de contrôler la mémoire et l’histoire. Tout discours ou initiative qui porterait ombrage au récit national n’a pas sa place. Les crimes peuvent être reconnus, d’une façon vague et générale, à condition qu’ils soient désincarnés : les victimes ne doivent pas avoir de nom et leurs bourreaux ne surtout pas être nommés.
Le régime autorise donc un musée du Goulag, mais si vous y jetez un œil attentif, une partie de la muséographie insiste sur la participation du Goulag à l’effort commun dans la « Grande Guerre patriotique », sur le rôle globalement positif du Goulag dans la colonisation de régions inhospitalières du pays, etc. (...)
L’habileté des autorités officielles russes consiste à donner à croire qu’elles ne cachent rien pour tout réhabiliter. Un tel message brouillé ne fonctionne plus si l’interférence de Memorial dégage des responsabilités, nomme ce qui est tu, déterre ce qui est enterré, clarifie ce qui est obscurci.
D’où la loi scélérate de 2012, qui oblige toute ONG recevant des fonds étrangers (c’est leur définition) à estampiller ainsi le moindre document jusqu’aux courriels : « Organisation faisant fonction d’agent de l’étranger. » Memorial a omis cette mention infamante sur une dizaine de documents. (...)
Quant à Vladimir Poutine, sa position particulière se veut d’une ambiguïté millimétrée puisqu’il présente comme ses mentors Soljenitsyne ainsi que Sakharov – ce dernier est donc le fondateur de Memorial, que le maître du Kremlin veut voir disparaître… (...)
Quand le débat et la critique sont ainsi criminalisés dans une si formidable régression, comment une organisation telle que Memorial pourrait-elle encore avoir droit de cité ?