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La précarité fait craquer les chercheurs sur le climat
#urgenceclimatique #biodiversité #recherche #precarite
Article mis en ligne le 15 janvier 2024
dernière modification le 13 janvier 2024

CDD à gogo, manque criant de postes... « On sent une lassitude chez les scientifiques », déplore Philippe Bousquet. Directeur d’un laboratoire climat et environnement, il s’élève contre la précarisation de la recherche.

La recherche française sur le climat manque cruellement de postes pérennes de scientifiques. C’est ce que dénoncent plus d’une cinquantaine de directrices et directeurs de laboratoires de recherche, dans une tribune publiée le 6 janvier dans Libération.

Philippe Bousquet, directeur du laboratoire des Sciences du climat et de l’environnement et premier signataire du texte, nous explique pourquoi lutter contre la précarité de la recherche est une part essentielle de la lutte contre le changement climatique.e. (...)

Philippe Bousquet — Il reste énormément de choses à comprendre sur le climat. Nos modèles simulent par exemple encore très mal les cyclones et certains évènements extrêmes, qu’il est fondamental de comprendre car ils vont se multiplier. En Europe de l’Ouest notamment, le changement climatique va plus vite que ce qu’avaient anticipé nos modèles. Il faut les améliorer pour y ajouter certains processus encore non pris en compte. Le méthane, très puissant gaz à effet de serre, est également encore mal représenté.

Il est crucial que la science progresse pour nous permettre de nous adapter au mieux. (...)

En termes de ressources financières, nous ne sommes pas malheureux. Le problème, c’est que ces ressources ne peuvent pas se transformer en emplois pérennes. On enquille les CDD. Certains chercheurs sont en contrats courts et ont encore besoin, à 40 ans, de la caution de leurs parents pour pouvoir se loger, c’est ridicule. (...)

En droit privé, la durée maximale légale d’un contrat est de dix-huit mois. Cela nous oblige à former de nouveaux collaborateurs tous les dix-huit mois. C’est épuisant et cela engendre un risque énorme de perte de savoir-faire. On pourrait, en dernier ressort, demander des dérogations au droit du travail pour la recherche mais ce n’est pas ce que nous voulons. L’idéal serait plutôt d’avoir des CDI (...)

Parmi les rarissimes créations de postes permanents ouverts chaque année pour l’ensemble de la recherche, c’est très compliqué d’en récupérer pour nous. Il faudrait flécher ces postes vers les disciplines essentielles à la transformation radicale qu’impose l’urgence climatique. (...)

très peu d’organismes de recherche veulent prendre le risque d’engager un chercheur permanent sur leurs fonds propres. Car la recherche est passée, au cours des années 2000, d’un modèle de subventions publiques pérennes à un modèle de financement par projets. On doit répondre à des appels à projet, en concurrence avec d’autres labos, et parfois en concurrence entre chercheurs au sein d’un même labo, pour espérer gagner des ressources financières pour une durée limitée à celle dudit projet. C’est une application à tout crin du libéralisme au monde de la recherche. (...)

Il y a une quinzaine d’années, on pouvait chaque année investir dans l’achat d’un instrument scientifique à 15 000 euros. Aujourd’hui, c’est impossible, il faut passer un temps énorme à rédiger des candidatures pour des appels à projets, collecter de l’argent pendant trois ans pour faire un achat équivalent. (...)

On nous demande de faire de la recherche fondamentale, d’enseigner aux étudiants, de travailler avec les entreprises et la société civile pour les former à ces enjeux fondamentaux. Le gouvernement a lancé la formation aux enjeux climatiques de 25 000 cadres supérieurs de la fonction publique. C’est une bonne idée, mais c’est fait sans être accompagné d’un financement adéquat. Les chercheurs réalisent ces formations sur la base du volontariat.

Tout cela se cumule, ce n’est pas raisonnable. Certains chercheurs risquent de craquer. Pour l’instant, ça tient, mais on voit que le taux de réponses à certains appels à projet tend à baisser. On sent une lassitude de devoir faire projets sur projets, accueillir et former de nouveaux CDD en permanence. (...)

Ce qui nous attend en termes de climat est vraiment radical : nous avons besoin des chercheurs pour accompagner la transformation nécessaire de la société. Et pas seulement de climatologues. Toutes les sciences liées à ces transformations devraient être priorisées en termes de postes. (...)