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Everest : comment le toit du monde est devenu la poubelle de riches touristes
#Everest #pollution
Article mis en ligne le 14 mai 2024

Bouteilles d’oxygènes, restes de tentes et excréments : les riches touristes qui gravissent l’Everest laissent derrière eux des tonnes de déchets. Leur descente, très difficile, est un casse-tête.

(...) Nous ne sommes pas dans une décharge à ciel ouvert mais sur les pentes de l’Everest, la plus haute montagne du monde.

En mai 2023, le guide Tenzi Sherpa, publiait sur son compte Instagram une vidéo du camp 4, perché à 7 900 mètres d’altitude et recouvert de détritus. Ce post, largement repris dans la presse, a suscité une indignation mondiale. Pourtant, cela fait des décennies que les alpinistes considèrent l’Everest comme une poubelle.

Les riches occidentaux et asiatiques paient entre 60 000 et 120 000 euros pour atteindre le toit du monde, faire un selfie, puis redescendre, en abandonnant au passage leur matériel, leurs déjections et mêmes les cadavres de leurs compagnons qui n’ont pas résisté à cette épreuve physique extrême. (...)

S’il y a autant de déchets sur les sommets népalais, c’est parce que leur ascension nécessite une grosse logistique. Il faut des kilomètres de cordes, des piolets, des crampons, des duvets, des tentes et de quoi cuisiner pour des centaines d’individus. L’année dernière, près 478 personnes ont tenté l’ascension de l’Everest. De riches clients qui attendent toujours plus de confort dans ce territoire isolé, accessible seulement à pied ou en hélicoptère. (...)

Climatisation, écran plat, toilettes privées, lit king size, couverture chauffante, spa, 4G, repas avec des légumes frais livrés quotidiennement… Et comme il n’existe pas de route carrossable entre Lukla, dernière ville avec un aéroport, et le camp de base, tout ce matériel est acheminé à dos d’homme et de yack le long des sentiers escarpés. Mais aussi par les airs avec des rotations d’hélicoptères.

« Nous sommes aujourd’hui dans un modèle industriel », explique François Carrel, journaliste et auteur du livre Himalaya business (ed. Paulsen). (...)

Beaucoup de prétendants au sommet ne sont plus des montagnards aguerris et certains ne prennent pas le temps de s’acclimater à l’altitude. Résultat, ils utilisent massivement de l’oxygène. Des bouteilles pesant entre 3 et 5 kilos qui finissent leur vie dans la neige et sont parfois récupérées par certains sherpas. (...)

Le peuple sherpa, groupe ethnique originaire de la haute vallée de Khumbu, possède génétiquement une forte capacité de résistance à l’altitude. Mais ils n’en restent pas moins soumis aux risques d’avalanches, aux chutes de pierre ou de séracs, d’énormes blocs de glaces.

En 2023, sur les dix-huit personnes mortes en tentant l’ascension, six d’entre elles étaient des sherpas. Leurs conditions de travail sont tellement rudes, que certains estiment que le métier n’attirera plus de jeunes Népalais. (...)

En attendant, les autorités promettent régulièrement d’améliorer les conditions de travail des sherpas et font leur possible pour réglementer les ascensions. Cette année, pour la première fois, les alpinistes devront emporter un sac à excréments. Une obligation, déjà mise en place sur d’autres sommets, qui devenait indispensable. (...)

Les sherpas vont-ils accepter de porter les excréments de leurs riches clients ? « Certains n’ont pas envie d’être rabaissés à porteurs de sachets de crottes » (...)

Autre nouvelle règle, elle aussi difficile à appliquer : chaque expédition devra descendre les corps des personnes décédées durant l’ascension. Actuellement, près de 200 cadavres gisent sur l’Everest. L’armée népalaise a organisé une expédition en avril dernier pour en rapporter cinq. Une opération délicate. « Le terrain est très accidenté. Il faut naviguer entre les crevasses. Rien que pour rejoindre le camp de base lorsqu’on est au camp 1, il faut huit heures de marche. Imaginez cela en portant des corps » (...)

« On est dans une activité industrielle de service, loin des valeurs traditionnelles de l’alpinisme. Comme dans tous les sites touristiques du monde, on a des déchets derrière. Le château de Versailles sans équipe de nettoyage ne serait pas propre non plus », estime pour sa part François Carrel.

Étant donné que ces poubelles d’altitude sont très difficiles à descendre, pourquoi ne pas les réduire à la source ? « Ces questions ne sont pas abordées dans la préparation d’une expédition, constate Marion Chaygneaud-Dupuy. Les gens sont dans un rêve, ne voient que le sommet et leur projet personnel. Toute la logistique qu’il y a derrière, ils ne s’en rendent pas compte. » Des touristes inconscients et qui devraient continuer encore longtemps à souiller les pentes du toit du monde.

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 (France 24)
Au Népal, la Cour suprême ordonne de limiter le nombre d’alpinistes pouvant gravir l’Everest

(...) Rendre les sommets du Népal – dont l’Everest – moins accessibles à leurs nombreux visiteurs. Voilà le sens de la décision rendue par la Cour suprême du pays, qui a ordonné au gouvernement de limiter le nombre de permis d’ascension délivrés pour gravir plusieurs sommets célèbres.

La capacité d’accueil des régions montagneuses "doit être respectée" et un nombre maximal adéquat de permis doit être déterminé, a tranché la plus haute juridiction népalaise, selon un résumé rendu public cette semaine de sa décision datant de fin avril.

La Cour "a ordonné de limiter le nombre des alpinistes" sur plusieurs sommets, dont l’Everest, le plus haut du monde, qui culmine à 8 849 mètres d’altitude, a dit à l’AFP Deepak Bikram Mishra, un avocat qui avait déposé une requête en ce sens, au moment où la saison des escalades de printemps débute.

Le Népal accorde actuellement des permis à toutes celles et ceux qui souhaitent faire l’ascension de l’Everest et sont prêts, pour ce faire, à débourser 11 000 dollars. L’année dernière, 478 ont été octroyés – un record. (...)

Outre la limitation (non précisée) du nombre des alpinistes, elle a préconisé "des mesures pour la gestion des déchets et la préservation de l’environnement" dans les montagnes, a-t-il souligné. (...)

La juridiction réclame également des restrictions quant à l’utilisation des hélicoptères, qu’elle appelle à réserver aux seules opérations de secours d’urgence. Ces dernières années, ces aéronefs ont été fréquemment mobilisés pour transporter des alpinistes vers les camps de base et au-dessus des zones dangereuses. (...)

Un énorme embouteillage humain sur l’Everest en 2019 a forcé les membres des expéditions à attendre de longues heures sur ses pentes par des températures très basses. Au moins quatre des 11 décès enregistrés cette année-là étaient imputables à ces conditions. (...)

Le président de l’Association népalaise d’alpinisme, Nima Nuru Sherpa, s’est pour sa part montré prudent à l’issue de l’annonce des décisions de la Cour suprême, considérant qu’elle ne devaient être mises en œuvre qu’après une étude approfondie.

"On ne sait pas encore exactement quel impact cela aura sur l’industrie (du tourisme). Nous ne savons pas sur quelle base les limitations seront fixées et comment celles-ci seront réparties entre les organisateurs d’expéditions", a-t-il souligné. (...)