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Mediapart
La parole étouffée des médecins favorables à l’aide à mourir
#mort #findevie #euthanasie #suicideassiste #soinspalliatifs
Article mis en ligne le 28 mai 2025
dernière modification le 25 mai 2025

Dans le débat sur la fin de vie, les députés ont pour l’instant privilégié le suicide assisté plutôt que l’euthanasie, qui supposerait un geste actif du médecin. Cela afin de ménager une profession qu’ils imaginent viscéralement opposée à cette légalisation. En réalité, les opinions y sont bien plus nuancées.

Dans le débat incandescent sur la légalisation de l’aide à mourir, il y a des voix plus fortes que d’autres. Celle de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui dénonce une « rupture avec l’éthique médicale », ou encore celle de l’ordre des médecins, qui s’affirme « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie ».

La réalité est plus nuancée : pour parvenir à cette position, l’ordre a interrogé les membres de ses conseils départementaux et ordinaux. En réalité, si 66 % sont opposés à l’euthanasie, 11 % ne se prononcent pas et 23 % y sont favorables, a détaillé son président François Arnault au Quotidien du médecin.

« Pourquoi est-ce que les médecins seraient plus hostiles à l’aide à mourir que le reste de la population ? », s’interroge la neurologue Valérie Mesnage, qui a créé, avec le réanimateur François Blot, le collectif Pour un accompagnement soignant solidaire. Une centaine de médecins y expriment en leur nom leur volonté de répondre positivement aux demandes d’« aide active à mourir » de leurs patient·es. (...)

Cette parole est difficile à faire entendre, car la SFAP, aux racines chrétiennes (lire notre enquête ici), est résolument hostile à l’aide à mourir et parle fort (...)

Même le président de l’ordre des médecins le reconnaît : « La position des médecins a considérablement évolué par rapport à une quinzaine d’années, et nul doute que dans trois ans, ces chiffres évolueront. Il faut que les médecins soient en phase avec les attentes de la société. »

Dans Mediapart, en décembre 2022, le médecin réanimateur François Blot, qui exerce dans un centre de lutte contre le cancer en Île-de-France, faisait part de ses doutes. (...) « J’ai réalisé que si nous ne changions rien, nous resterions dans une situation d’iniquité, d’arbitraire et de clandestinité. »

À ses yeux, les demandes d’aide à mourir sont en grande partie la résultante d’une évolution de la médecine : « En 2025, on ne meurt plus comme on mourait en 1970. La médecine revendique un savoir-faire pour maintenir en vie, une maîtrise de presque tout. À un moment, elle doit accepter qu’elle peut fabriquer des survivants dont les organes continuent de fonctionner mais dont la vie n’a plus de sens pour eux. »

Clivages dans la profession (...)

Quand une personne dit : “Ça suffit, je ne veux plus de ma ventilation assistée ou de mon alimentation”, qu’elle demande à être endormie profondément et durablement, alors le patient peut se heurter à une opposition qui ne se dit pas. » (...)

Se pose aussi la question, à ses yeux, de la durée des agonies sous sédation profonde et continue, qui peuvent « parfois durer des jours. Et au-delà de quarante-huit heures, la sédation devient difficile à maintenir. Il faut surveiller la moindre fluctuation de la vigilance des patients, et augmenter les doses de neuroleptiques, pour qu’ils ne se réveillent pas ».

« Même les meilleurs soins palliatifs n’ont pas raison de toutes les souffrances. » Michèle Lévy-Soussan, médecin (...)

Elle invite à « redouter l’acharnement palliatif et la non-prise en compte de la voix des patients ». Michèle Lévy-Soussan explique avoir évolué « au fil de rencontres, dans le soin, avec des patients qui [lui] ont demandé de les aider à mourir ». « J’ai compris qu’ils n’opposaient pas les soins palliatifs et l’aide à mourir, qu’il y avait un continuum. »
Un « geste de soin »

Les opposant·es à toute légalisation affirment que l’aide à mourir ne peut, en aucun cas, être envisagée comme un soin. Michèle Lévy-Soussan regrette que soit ainsi « agité le spectre de la peur, comme si on allait trahir l’essence même du soin, qui est l’accueil, la compréhension avec le patient de sa situation, de ce qui l’affecte ».

L’Assemblée nationale est revenue sur le texte élaboré en commission qui laissait le choix au patient de pratiquer lui-même le geste fatal – c’est le suicide assisté – ou de faire appel à un médecin qui pratiquerait une euthanasie. La proposition de loi, en l’état de son écriture, pose comme règle le suicide assisté, avec une exception d’euthanasie quand le patient ne peut pas accomplir le geste lui-même.

« Je trouve ça regrettable, commente Michèle Lévy-Soussan. Parce que ça ne correspond pas à ce que nous disent les patients. Pour moi, l’aide à mourir est un geste de soin, et je suis prête à le faire. Bien sûr, il y aura une clause de conscience, non seulement pour le médecin, mais pour tout professionnel de santé impliqué dans la décision et la mise en œuvre. »

Le réanimateur François Blot est, lui aussi, favorable à la liberté de choix du malade entre l’euthanasie et le suicide assisté. Et il serait prêt à accomplir le geste létal, si un ou une patiente le lui demandait et s’il en avait le droit.

Il fait une comparaison avec la limitation thérapeutique en réanimation, soit l’arrêt des traitements qui maintiennent un malade en vie de manière artificielle. (...)

Aux côtés des soins palliatifs, la réanimation est l’autre spécialité qui accompagne des malades vers la fin de leur vie. Ils sont admis dans ses services lorsqu’une de leurs fonctions vitales doit être suppléée par une machine. La Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) ne s’est pas positionnée officiellement sur le sujet, reconnaît son président, le professeur Jean-Michel Constantin (...)

une étude a été publiée en 2024 sur la perception de la fin de vie par les réanimateurs. Ses résultats sont parlants. » Près de 1 000 professionnel·les de réanimation se sont exprimé·es. Pour 52 % des médecins et des infirmières, la sédation profonde et continue ne répond pas à toutes les situations. 83 % des infirmières et 71 % des médecins se sont prononcé·es pour la légalisation d’une aide à mourir.

« Il faut évoluer avec la société », en conclut le Pr Constantin. Mais il pose des lignes rouges : « la protection des personnes les plus vulnérables, notamment les malades psychiatriques ». « Il faut que la loi soit parfaitement cadrée. Et on ne veut pas qu’on nous demande de faire le travail, de devenir les bourreaux de la République. On est ouverts au suicide assisté, beaucoup moins à l’euthanasie. » Des nuances que les parlementaires vont devoir continuer à étudier.