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Mediapart
La ministre de l’éducation a choisi un établissement privé ultra réac pour ses enfants
#educationNationale #enseignementprive
Article mis en ligne le 14 janvier 2024
dernière modification le 13 janvier 2024

À Mediapart, Amélie Oudéa-Castéra justifie son choix de scolariser ses enfants dans le très catholique collège-lycée Stanislas en raison « des paquets d’heures pas sérieusement remplacées » dans le public. Nos révélations sur cet établissement ont conduit à un rapport de l’inspection resté confidentiel, dont la ministre affirme qu’il « n’est à l’heure actuelle pas sur son bureau ».

Sitôt nommée, Amélie Oudéa-Castéra a dit sa « détermination » à servir le « service public de l’éducation ». Une « action » dont ne profiteront pas ses propres enfants : selon des informations recueillies par Mediapart, la nouvelle ministre de l’éducation nationale a scolarisé ses trois fils à Stanislas, un établissement privé catholique du VIe arrondissement, à l’enseignement tout droit sorti du siècle dernier.

À « Stan », les trois enfants de la ministre, âgés de 13 à 18 ans, ont expérimenté les classes non mixtes au collège, les enseignements qui condamnent l’homosexualité, l’avortement et le rapprochement entre les filles et les garçons, et la vision rigoriste des mœurs et de l’exigence que devrait avoir chaque élève. Une incongruité, à l’heure où Amélie Oudéa-Castéra est la nouvelle ministre chargée de l’enseignement public, par ailleurs saisie d’un rapport d’inspection... sur Stanislas.

Interrogée sur le sujet lors de son premier déplacement dans un collège des Yvelines avec Gabriel Attal, la ministre a répondu au micro de Mediapart que ce choix avait été fait en raison « des paquets d’heures pas sérieusement remplacées » dans l’école publique où était initialement scolarisé son fils aîné. (...)

Du haut de ses deux siècles d’existence, Stanislas n’est pas n’importe quel établissement privé. C’est une institution catholique qui forme chaque année, de la primaire au post-bac, des centaines d’élèves issus des milieux les plus favorisés à « réussir et servir ». Dans une enquête publiée à l’été 2022, Mediapart révélait la vision sexiste, homophobe et autoritaire de l’enseignement qui y était prodigué.

Ainsi de ces livrets distribués pour enseigner aux élèves de seconde la « chasteté », de ceux où l’on assimile l’avortement à un « meurtre », ou de la condamnation de l’homosexualité dans les discours des professeur·es. L’établissement prône la non-mixité dans ses classes, recrute des intervenant·es proches de La Manif pour tous et invite des membres de l’Église pour vanter les thérapies de conversion, désormais interdites par la loi. Une quinzaine d’anciens élèves nous avaient raconté des « souffrances » et des « humiliations », dénonçant pour la plupart les valeurs « réactionnaires » et « autoritaires » de l’établissement.

Une affaire politique

En février 2023, à la suite des révélations de plusieurs titres de presse, dont Mediapart, le ministre de l’éducation nationale d’alors, Pap Ndiaye, avait fini par lancer une enquête administrative. L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a rendu un rapport à l’été 2023, non pas à Pap Ndiaye mais à son successeur, Gabriel Attal.

Un rapport que les autorités refusent de rendre public. (...)

Mediapart a depuis lancé une procédure devant la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

C’est là que l’affaire devient éminemment politique, potentiellement encombrante pour la nouvelle ministre. Nommé après seulement six mois à Matignon, sans avoir eu le temps d’y donner suite, Gabriel Attal laisse ce rapport entre les mains… d’Amélie Oudéa-Castéra. En interne, sur un sujet pourtant loin de ses prérogatives, elle a déjà pris la défense ardente de Stanislas, indique une source ministérielle à Mediapart. (...)

Un vieux débat et des précédents

La question de la scolarisation des enfants des ministres de l’éducation nationale n’est pas nouvelle dans le débat public. Jean-Michel Blanquer, premier ministre de l’éducation nationale sous Macron, confiait avoir ses enfants « à trois quarts » dans le public, mais a largement dorloté le privé, autant en moyens qu’en communication.

Pap Ndiaye, en poste de mai 2022 à juillet 2023, avait inscrit ses deux enfants à l’École alsacienne, une prestigieuse école privée du VIe arrondissement de Paris – où Gabriel Attal, l’actuel premier ministre, a lui-même fait toute sa scolarité. (...)

À droite, plusieurs ministres de l’Éducation nationale avaient dû reconnaître que leurs enfants étudiaient dans l’enseignement privé. En poste de 1993 à 1997, François Bayrou y avait placé trois de ses six enfants (...)

Ministre lors du retour de la droite au gouvernement, de 2002 à 2004, Luc Ferry avait également inscrit ses trois enfants dans une école privée de l’Ouest parisien. Interrogé par Le Monde, le ministre de Jacques Chirac avait déclaré : « Je tenais à ce que mes filles reçoivent une éducation religieuse. »

Parmi ses successeurs, François Fillon (2004-2005) et Luc Chatel (2009-2012) ont fait le même choix. (...)

Le privé sous contrat, encore épargné demain ?

Un ancrage si manifeste dans le privé pour Amélie Oudéa-Castéra posera des questions au-delà du simple cas de Stanislas. L’enseignement privé a vu les affaires se multiplier ces dernières années, notamment dans le champ de la laïcité et de l’éducation sexuelle et affective, des inquiétudes que les syndicats des enseignant·es du privé sous contrat ont fait remonter jusqu’au cabinet des ministres Ndiaye et Attal, leur demandant à tous deux de taper du poing sur la table, sans grand succès.

Mediapart révélait en avril 2023 le contenu des fiches support à la prise en charge des élèves trans que l’enseignement catholique diffuse dans ses établissements privés sous contrat, qui défendent l’altérité « homme-femme », au nom d’un « corps sexué » vu comme un « don de Dieu » et à rebours de la circulaire diffusée en 2021 par le ministère de l’éducation.

Plus largement, l’Éducation nationale doit aussi se saisir du problème de l’école privée depuis la publication, contrainte, il y a deux ans des indices de position sociale (IPS) chaque année. Ils ont montré l’ampleur de la ségrégation sociale entre le public et le privé sous contrat, financé à 73 % par l’État. Des écarts si criants que la Cour des comptes elle-même s’en est émue. (...)