
A la veille du sommet SOS Océan à Paris, l’ONG de protection des mers lance une campagne en faveur des aires marines protégées. Mais sa « liste rouge des navires destructeurs » amalgame les petits pêcheurs artisanaux et les navires-usines.
Au téléphone, Yann Grosse ne décolère pas. L’homme de 56 ans est pêcheur et patron armateur du Yann Frédéric, un navire basé à Granville dans la Manche. D’une longueur de 15,5 mètres, son chalutier semble bien modeste aux côtés des navires de pêche industrielle hollandais, chinois ou russes de plus de 100 m. Mais comme eux, le Yann Frédéric figurait sur la « liste rouge des navires destructeurs ».
Le retraité, qui pêche encore car il ne parvient pas à vendre son bateau, ne mâche pas ses mots depuis qu’il a été informé de la présence – par erreur – de son navire. « Cela fait au moins 10 ans que je ne pratique plus le chalut ! », proteste pourtant Yann Grosse. Il a abandonné cette technique de pêche destructrice des fonds marins pour une autre plus vertueuse pour l’environnement, la drague. (...)
En fin de semaine, le nom de son navire, comme d’autres, ont été finalement retirés.
Des erreurs qui desservent la cause des océans
« L’exemple de ce pêcheur de Granville est une véritable honte et nous ne pouvons que comprendre sa colère d’être affiché ainsi », fait savoir à Basta ! une source au Parlement Européen. « Il faut dialoguer avec les pêcheurs et non pas les culpabiliser. »
Le Yann Frédéric n’est pas la seule erreur. Pêcheurs et comités régionaux en ont relevé d’autres. Certaines ont été corrigées depuis. Un vaisseau militaire espagnol, El Furor, actuellement en mer, figurait ainsi sur la liste. En Bretagne et en Normandie, des navires ont été considérés comme « destructeurs » sans avoir pêchés au chalut dans les zones protégées. (...)
« Il y a une certaine marge d’erreur », reconnaît Frédéric Le Manach, directeur scientifique chez Bloom. (...)
« Les erreurs présentes dans les registres utilisés peuvent avoir mené à de mauvais recensements de navires sur cette liste. Nous nous engageons à modifier la liste rouge en conséquence dans les meilleurs délais, et nous les signalerons pour qu’elles soient corrigées à la source », prévient l’ONG.
Petit artisan ou géant industriel, tous dans le même bateau
Outre les bateaux qui n’ont pas leur place dans la « liste rouge », l’étonnement est grand chez certains pêcheurs artisans d’être ciblés aux côtés de navires industriels à l’impact écologique démesuré. (...)
« Nous assumons les différences de taille dans la liste car s’il y a une différence, un chalutier de 12 mètres a quand même un impact colossal sur l’environnement », défend Frédéric Le Manach. Environ 158 bateaux normands figurent sur la liste rouge, sur une flotte qui en compte 583 – et 1467 marins pêcheurs – au total lors du dernier recensement de 2023. Très grande fournisseuse de coquilles St-Jacques, la Normandie ne compte pourtant pas de « gros » bateaux, tous mesurant moins de 25 mètres. « Les seul gros bateaux dans les eaux normandes sont étrangers », confirme Dimitri Rogoff. « Claire Nouvian (la directrice de Bloom, ndlr) avait pourtant une approche socio-économique de la pêche par le passé et si je les ai parfois suivis. Aujourd’hui je leur ai dit que c’était terminé. » (...)
Ces tensions entre l’organisation de défense des océans et pêcheurs artisanaux pourraient être dommageables à l’approche du sommet international SOS Océan, organisé ces 30 et 31 mars à Paris sous l’égide du gouvernement. Et trois mois avant la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3), qui se tiendra à Nice (Alpes-Maritimes) du 3 au 6 juin prochains. Avec sa campagne « Aires marines protégées » (AMP), Bloom vise à faire interdire le chalut dans ces zones à l’échelle internationale.
L’enjeu est important. La France a déclaré 2025 comme « Année de la Mer », et possède avec la métropole et les Outre-mer la deuxième surface maritime au monde. Ses aires marines protégées représentent actuellement, en théorie, environ un tiers de cette surface. Or, le monde scientifique et certaines ONG comme Bloom estiment qu’à peine 1 % de la surface maritime est réellement « protégée », à l’abri des activités humaines.
« L’écologie va sortir perdante de cet épisode »
Déjà en 2022, le gouvernement français avait annoncé vouloir davantage de protection, avec des déclarations spectaculaires typiques d’Emmanuel Macron lors du « sommet des océans » à Brest. Le sujet du chalutage dans les aires marines protégées était déjà sur la table. Les bureaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) du port breton avaient même été incendiés un an plus tard par des pêcheurs mécontents, lors d’une manifestation le 30 mars 2023.
Avec la publication de « liste rouge des navires destructeurs », Bloom tente ainsi de mettre la pression. Une campagne d’affichage dans le métro de Paris a également été lancée le 26 mars à la station Trocadéro – celle où descendront les participants au sommet SOS Océan, si tant est qu’ils et elles prennent les transports en commun... La tournure que prend cette campagne risque de continuer de creuser le fossé entre les écologistes et le monde de la pêche, même si celui-ci, à l’image du monde agricole, est profondément divisé entre pêcheurs artisans et firmes industrielles. (...)
« L’écologie va sortir perdante de cet épisode et le Rassemblement National gagnant », analyse notre source au sein du Parlement Européen. « Nous voulons des aires marines protégées en concertation avec les pêcheurs. Là, Bloom et Claire Nouvian sont en train de dresser des listes rouges ou noires pour mettre tout le monde en lumière, mais de manière négative. »
Politiquement, seuls des responsables locaux tels que l’ancien député PCF de Dieppe Sébastien Jumel ont réagi publiquement. Une tribune parue dans les colonnes du Monde est venue en soutien de la démarche de Bloom. (...)