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Club de Mediapart/ L’Aisdpk – Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak
La chasse aux Kanak est ouverte…
#NouvelleCaledonie #Kanaky
Article mis en ligne le 16 mai 2024

Si la situation est explosive depuis quelques jours à Nouméa, c’est de la responsabilité de notre État colonial qui joue le jeu de la recolonisation du pays depuis plusieurs années (voir nos précédents billets). Malgré les retours de bâton incessant de l’État français, qui est sorti depuis longtemps de son impartialité, les indépendantistes ont toujours tendu la main aux autres communautés. Cette réforme constitutionnelle pour changer le corps électoral et noyer le peuple kanak dans son propre pays, annihile plus de trente ans de paix et d’accords pour la construction d’un destin commun.

"Ce vote va écrire l’histoire, mais comme toujours par le passé, ce sera toujours à l’encre coloniale", a énoncé Frédéric Maillot, député de La Réunion, hier à l’Assemblée nationale, lors du débat sur le projet de loi.

(...) Certes les jeunes explosent à Nouméa et dans ses banlieues, un peu comme cela se passe dans nos banlieues face à l’injustice ressentie par tous les laissés pour compte, là-bas de la colonisation, ici de notre société capitaliste, et partout où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.

Contrairement à ce qui est claironné par bon nombre de médias et de responsables politiques, personne ne manipulent ces jeunes, les "invisibles du pays". Il n’y a qu’à en prendre pour preuve les actions de barrage paisible menées par les militants de la CCAT jusqu’à présent encore en dehors du Grand Nouméa (voir communiqué du CCAT joint).

Nous avons été nombreux à alerter de ce risque de dérapage, depuis 2021 et le discours mémorable de Macron suite à la mascarade de 3e référendum, sans être entendus. On est revenu au bon vieux temps du Dr Pons qui a mené aux tristes événements d’Ouvéa en 1988. Les réactionnaires au pays, parmi lesquels un grand nombre de ceux arrivés depuis 20 ans pour faire du fric en Nouvelle-Calédonie, n’ont plus de scrupules. Des milices tirent à vue sur les jeunes kanak. (...)

les indépendantistes ne sont pas que des Kanak. Il faut se garder de cette schématisation simpliste et dichotomique. De nombreux jeunes non kanak sont aussi indépendantistes, voulant gérer eux-mêmes leur pays avec plus de justice sociale, économique et dans un plus grand respect de l’environnement.

Nous ne pouvons que nous révolter face à cette situation qui a été créée de toute pièce pour faire taire les voix indépendantistes. (...)

Lire aussi :

 ( Mediapart )
À Nouméa : « On n’a aucune information pour la suite »

Depuis trois jours, l’agglomération de Nouméa vit au rythme des barricades et du couvre-feu. Entre les craintes de pénuries, un hôpital au ralenti et l’état d’urgence, des habitants racontent à Mediapart leur quotidien depuis le début des violences.

Immeubles calcinés, supermarchés pillés, barricades enflammées... La Nouvelle-Calédonie vient de vivre une deuxième nuit de violences. Quatre personnes ont été tuées, dont un gendarme victime d’un tir dans le quartier de Plum, du côté de Grande Terre. À Paris, Emmanuel Macron a déclaré l’état d’urgence dans l’archipel. (...)

Mediapart a recueilli les témoignages de personnes habitant à Nouméa. Par téléphone, elles racontent leur quotidien depuis trois jours. Infirmiers, ouvriers ou enseignants, Kanaks ou Européens, ils et elles confient leurs inquiétudes, leurs résiliences et les moyens que certain·es ont mis en place pour se protéger. (...)

Ils ne sont que quatre infirmiers et infirmières anesthésistes pour le service, contre une quinzaine en temps normal. Toutes et tous arrivés vers 6 heures mercredi matin, en covoiturage, « bravant les barrages » pour remplacer leurs collègues coincés depuis lundi à l’hôpital. Ils n’ont pu ouvrir que deux blocs opératoires (« contre dix en temps normal ») : la maternité et la salle de réveil.

Dans cet hôpital, « tout le programme opératoire a été annulé », raconte Bruno. Seules les urgences fonctionnent. « Une poignée » d’infirmier·es volontaires a pu arriver dans la journée « par hélicoptère ou grâce à des ambulances ». Le centre hospitalier a mis en place des couchettes « pour que les soignants sur place puissent dormir et reprendre le travail sans sortir de l’hôpital », explique encore l’infirmier. La veille, l’immeuble où dorment habituellement les internes, à une centaine de mètres de l’hôpital, a été brûlé et saccagé.
Une situation sanitaire tendue

Pour l’instant, l’établissement ne manque pas de matériel, mais Bruno ne sait pas pour combien de temps. « On est censés être livrés en médicaments deux fois par semaine mais on n’a aucune information de comment ça va se passer pour la suite », dit-il. Pareil pour les dons de sang : « Il n’y a plus d’infrastructures à Nouméa », ajoute le soignant qui ne sait pas combien de temps il restera à l’hôpital. « Autant de temps qu’il faudra pour ne pas obliger mes collègues restés chez eux à se déplacer et se mettre en danger. » Depuis qu’il est arrivé mercredi matin, Bruno a vu trois blessés par armes à feu et une grossesse extra-utérine, arrivée en retard à cause des barrages. (...)

Claudia, l’une des collègues infirmières anesthésistes de Bruno, n’a pas pu se rendre à l’hôpital mercredi, car il était « impossible de circuler ». Dans son quartier, les habitant·es se sont organisé·es en milice pour protéger les rues. Des barricades de fortune empêchent les voitures de passer. Pour la nuit, la soignante accueille sa voisine et sa petite fille. « Notre maison est sur les hauteurs, entourée de fils barbelés, ça nous laisse le temps de voir des gens arriver », explique-t-elle. Son mari lui, fait des rondes, comme la plupart des habitant·es du quartier, qui se sont organisé·es sur WhatsApp. « C’est une ambiance de guerre civile », souffle-t-elle. (...)

« On a fait des barricades avec ce qu’on avait dans notre jardin », raconte Yohan, contacté lui aussi par téléphone. Ce Calédonien « pure souche » de 42 ans va passer la prochaine nuit à faire des rondes, armé d’un fusil de chasse, autour de sa maison, dans le quartier central de la Vallée-des-Colons à Nouméa. Pour lui, le gouvernement français a trop attendu pour déclarer l’état d’urgence.

« Les dernières quarante-huit heures ont été horribles, dit-il. On s’est sentis très seuls et abandonnés par les autorités. » La famille de Yohan est indépendantiste. « Je comprends leur combat, ajoute-t-il au sujet des personnes qui se révoltent depuis lundi. Mais aujourd’hui, il a perdu tout son sens. »
Au jour le jour

À Nouméa, beaucoup de bruits courent. (...)

« On vit au jour le jour. Pour l’instant, on a de quoi tenir quelques jours en nourriture. Mais si la situation dure plus d’une semaine, ça va être compliqué », indique encore le père de famille. Même situation pour Yohan. Lui a fait des courses pour sa famille lundi. Il lui reste de quoi tenir deux semaines en nourriture et en gaz.

Il faut construire la Calédonie autrement, c’est une certitude. Il faut le faire pour nos enfants, que ça marche

. Maurice, Kanak âgé de 64 ans (...)

Pour l’heure, toutes et tous s’inquiètent de la reconstruction matérielle de la ville. « Même si le mouvement s’arrête, il n’y a plus aucune infrastructure, plus de supermarchés, ça va prendre des années à être reconstruit », souffle Boris avant d’entamer sa tournée de nuit. À l’aube, à 5 heures du matin (20 heures à Paris), l’état d’urgence sera déjà entré en vigueur. (...)

- (Mediapart)
En Nouvelle-Calédonie, « le pouvoir doit participer à la désescalade »

Le député socialiste Arthur Delaporte appelle l’exécutif à suspendre son projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral de l’archipel. Selon lui, le premier ministre doit se ressaisir du dossier néo-calédonien. (...)

« L’état d’urgence ne peut constituer en soi la solution pour faire revenir durablement le calme », estime Arthur Delaporte dans un entretien à Mediapart. Député du Parti socialiste (PS), il a défendu sans succès, à l’Assemblée nationale, une motion de rejet du projet de loi constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres – lequel a finalement été adopté dans la nuit de mardi à mercredi.

L’exécutif souhaite en effet élargir le corps électoral dans la perspective des élections provinciales qui doivent se tenir avant le 15 décembre. Dans le cadre du processus de décolonisation, ce scrutin est réservé depuis plusieurs années aux personnes disposant de la citoyenneté calédonienne, selon certaines conditions. Mais les indépendantistes s’y opposent en dehors d’un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, pointant le risque de « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak ». (...)

Selon Arthur Delaporte, le gouvernement porte la responsabilité d’avoir rompu avec la méthode utilisée par Michel Rocard pour sortir de la crise des années 1980. Ce faisant, il se déroberait aussi à un point clé de l’accord de Nouméa, n’envisageant de transformation institutionnelle que dans le cadre d’un accord global sur le nouveau statut de l’archipel. « L’État ne respecte plus sa propre parole », déplore le député.

Mediapart : La Nouvelle-Calédonie connaît des émeutes. Quelles fautes l’exécutif a-t-il commises pour qu’on en arrive là ?

Arthur Delaporte : Sur ce dossier, l’exécutif a des œillères depuis 2021, c’est-à-dire depuis que le dossier n’est plus géré par Matignon [le premier ministre et ses équipes – ndlr], mais par le ministère de l’intérieur. Après que le pouvoir a maintenu un référendum boycotté par le camp indépendantiste, les liens entre les parties n’ont été que difficilement et partiellement renoués.

De façon générale, l’État a donné l’impression de n’écouter que les non-indépendantistes. La présence de Sonia Backès au gouvernement n’y est pas étrangère. Elle a été nommée secrétaire d’État à la citoyenneté auprès du ministère de l’intérieur [Sonia Backès a quitté ses fonctions en septembre 2023 après sa défaite aux élections sénatoriales – ndlr], tout en gardant la présidence de l’assemblée de la province Sud en Nouvelle-Calédonie. Ces deux casquettes n’auraient pas dû être compatibles, puisqu’elle est devenue une interlocutrice locale bénéficiant d’une position privilégiée dans les sommets de l’État. (...)

Plus spécifiquement, l’exécutif s’est enferré dans une stratégie consistant à mener une réforme constitutionnelle sur un seul point : l’ouverture du corps électoral pour les prochaines élections provinciales. Il pensait que l’adoption de cette mesure exercerait une pression suffisante pour forcer la réouverture du dialogue sur le statut de l’archipel. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Les tensions autour de la citoyenneté, donc d’un enjeu identitaire très inflammable, en ont été ravivées. Tous les ingrédients ont ainsi été réunis pour durcir la situation et produire de la contestation. (...)

Le pouvoir doit participer à la désescalade. Emmanuel Macron ne va pas dans ce sens en demandant aux responsables politiques calédoniens de se mettre d’accord avant fin juin, en menaçant de réunir le Congrès dans le cas contraire, pour adopter définitivement la loi votée mardi soir par l’Assemblée. On n’apaise pas en posant un ultimatum, mais en laissant du temps aux acteurs.

En Nouvelle-Calédonie, il y a certes une misère sociale, des inégalités terribles, héritage de la situation coloniale et des jeunes qui n’ont plus grand-chose à perdre, mais le fait générateur du conflit est directement politique. Et il s’agit de la mise à l’ordre du jour, par le gouvernement, d’une réforme constitutionnelle partielle contre l’avis du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Il revient donc au gouvernement, qui a une responsabilité première dans la situation quasi insurrectionnelle que l’on voit, de suspendre le projet. (...)

Il y a plusieurs idées reçues autour de cette affaire d’élargissement du corps électoral néo-calédonien. D’abord, il ne s’agit pas d’une réforme d’égalité de tous devant le vote. Ce n’est qu’une ouverture partielle. Il faudra toujours dix ans de présence sur le sol calédonien pour voter aux élections provinciales. (...)

Cette méthode a fonctionné et a été reproduite jusqu’à Édouard Philippe, sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Ses successeurs se sont désintéressés du processus, et sa prise en main par le ministère de l’intérieur a empêché que se mette en place un cercle vertueux permettant l’émergence d’un consensus. (...)

Le pouvoir a fauté en abandonnant la prise en charge directe par Matignon, mais aussi en reniant l’accord de Nouméa lui-même avec son projet actuel de loi constitutionnelle. Le cinquième point de l’accord de Nouméa est en effet très clair : la situation institutionnelle ne pourra évoluer que dans le cadre d’un accord d’ensemble sur le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, à l’issue des étapes référendaires. Avec cette réforme partielle, l’État ne respecte plus sa propre parole, contrairement à ce qu’il avait fait par-delà toutes les alternances jusqu’ici. (...)

Le gouvernement a tendance à réfléchir selon une culture du fait majoritaire. Le refus de l’indépendance n’avait obtenu qu’une faible majorité aux premier et deuxième référendums, le troisième ayant été massivement boycotté, cela ne justifiait pas de tout écraser ensuite.

Il faut prendre en compte la culture océanienne de la palabre et du consensus. Car il est possible de faire émerger des points d’équilibre. Les Kanaks ne sont pas des jusqu’au-boutistes. Simplement, il faut respecter leur culture politique. Cela passe, encore une fois, par la suspension du projet de loi et la réintégration de Matignon dans le jeu.