
Le plan d’action présenté par les États généraux de l’information montre l’incapacité des acteurs du secteur à prendre la mesure des changements indispensables pour défendre un journalisme indépendant au service des citoyens. Et cela au moment où la nécessité de contrepouvoirs forts n’a jamais été aussi pressante.
L’extrêmeL’extrême droite, aux portes du pouvoir en France, détient les clefs de la survie du nouveau premier ministre. Hors de contrôle, Emmanuel Macron refuse de tenir compte du résultat des élections législatives, piétinant les principes parlementaires. Les gauches, après être parvenues à se rassembler, échouent à parler d’une seule voix pour contrer le passage en force élyséen.
C’est dans ce contexte politique des plus inquiétants, où la mission d’intérêt général des journalistes prend tout son sens, que les États généraux de l’information (EGI) viennent de rendre publiques leurs conclusions (...)
Au regard du péril auquel nous sommes confrontés, ce plan d’action, retenu par les membres du comité de pilotage, tous sélectionnés par le président de la République, est d’une fadeur extrême. (...)
Le constat d’une « urgence démocratique » est pourtant posé dès l’introduction, ainsi que celui d’une information, à la fois bien public et bien commun, centrale dans l’espace public pour garantir un débat éclairé autour de faits vérifiés, recoupés et documentés, et ainsi reconnus et partagés par toutes et tous.
Mais, derrière un vernis apolitique, les propositions sont affaiblies par un écueil majeur : elles situent la menace quasi exclusivement du côté des algorithmes, des réseaux et de l’intelligence artificielle, autrement dit de la technique, omettant de désigner les vrais ennemis du droit de savoir, c’est-à-dire les acteurs politiques et économiques, y compris dans le champ médiatique, qui utilisent ces outils, comme d’autres, à leur profit, quitte à faire dérailler la démocratie. En focalisant leur attention sur les bouleversements numériques en cours, avant d’ausculter les dysfonctionnements structurels français, le comité de pilotage, présidé par Bruno Patino, à la tête d’Arte, empêche de trouver des solutions à la hauteur de l’enjeu.
L’une des fonctions fondamentales des médias est ainsi éludée. (...)
Notre utilité sociale est de placer les puissances économiques et politiques face à leurs responsabilités, de leur demander des comptes, au nom des citoyens et des citoyennes, et de révéler leurs éventuels abus.
Tandis que nos institutions vacillent et que les médias subissent la voracité de quelques milliardaires prédateurs, plus soucieux de leur influence que de l’intérêt général, il est primordial de ne pas se tromper de cible. Pour redonner toute sa place à l’information, la priorité est de renforcer drastiquement l’indépendance des journalistes, clef de voûte de tout l’édifice. (...)
Or le comité de pilotage des EGI, pour ne pas heurter les actionnaires, et c’est l’autre écueil de ces propositions, se refuse à défendre le droit d’agrément et le droit de révocation sur la nomination des directeurs ou directrices de rédaction, qui permettraient aux équipes d’avoir un droit de regard effectif sur leurs supérieur·es hiérarchiques choisi·es par les propriétaires. Il n’en suggère qu’une pâle copie, passant par la possibilité pour des « comités d’éthique » de « donner un avis ». Ces droits d’agrément et de révocation, soutenus par des parlementaires de tous bords, existent pourtant dans certains journaux, comme Le Monde, Libération et Mediapart, et n’ont jamais déstabilisé ces entreprises ; au contraire, ils ont contribué à renforcer et à responsabiliser les collectifs de journalistes.
Garantir l’indépendance de la profession suppose aussi de lutter activement contre sa précarisation. (...) totalement absent du plan d’action. (...)
les mesures préconisées pour protéger le secret des sources et lutter contre les procédures-bâillons sont insuffisantes au regard des attaques massives subies par les journalistes et les entreprises de presse. (...)
Aucune sanction n’est par ailleurs prévue en cas de violation du secret des sources.
Contre le harcèlement judiciaire, visant à intimider et à faire taire en recourant à des procédures pénales ou commerciales (secret des affaires, secret-défense, dénigrement commercial, etc.), la formule proposée manque d’ambition pour espérer décourager les contournements de la loi sur la presse de 1881.
Contre la concentration des médias (...)
plutôt que de prendre ce problème démocratique majeur à bras-le-corps, le comité de pilotage des États généraux de l’information se contente de mesures timides qui ne risquent d’inquiéter ni Vincent Bolloré ni les milliardaires qui utilisent « leur » média comme des machines au service de leur influence.
Comme le préconisaient les acteurs des États généraux de la presse indépendante, lancés à l’initiative du Fonds pour une presse libre (FPL) à l’automne 2023, il aurait tout d’abord fallu interdire à tout groupe industriel dont l’activité principale n’est pas l’information de devenir l’opérateur direct d’un média. Il aurait ensuite été nécessaire de refondre complètement la loi de 1986, en abaissant les seuils de concentration. Enfin, il aurait été utile d’exiger que les conventions passées par l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, pour l’attribution de fréquences TNT publiques et en accès libre interdisent la transformation d’une chaîne d’information en une chaîne d’opinion diffusant des nouvelles contraires aux principes déontologiques des journalistes. (...)
Conditionner les aides à la presse
Pour assainir l’espace médiatique et garantir la transparence de son financement, le rapport ne fait malheureusement pas le constat d’une nécessaire refonte des aides à la presse. Celles-ci profitent pourtant aujourd’hui aux quelques mêmes patrons qui concentrent entre leurs mains tous les pouvoirs. (...)
L’opacité dans leur répartition ne faisant qu’empirer la défiance du public, elles devraient être soumises à des obligations de transparence, telles que la publication annuelle des comptes par titres, des actionnaires directs et indirects, des aides directes publiques et privées perçues et de leur utilisation.
Au fond, les mesures les plus intéressantes visent à contrer la toute-puissance des plateformes numériques, qui, de fait, constituent un danger majeur en privatisant à leur profit l’espace informationnel mondial. Mais, outre que le comité de pilotage oublie la question centrale de la juste rémunération des droits voisins de la presse et l’exigence de transparence qui en découle, on comprend qu’elles trouvent leur place dans le plan d’action tant les actionnaires s’inquiètent de perdre leurs prérogatives dans un bras de fer qui leur est défavorable. (...)
on aurait pu s’attendre, de la part d’une instance censée représenter les intérêts de la profession et du public, à plus de courage et de lucidité sur les batailles à mener. D’autant qu’il ne s’agit que de propositions, dont rien ne dit qu’elles trouveront le moindre débouché dans un éventuel futur projet de loi.