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Mediapart
L’école face à une flambée d’antisémitisme et de racisme
#ecole #racisme #antisemitisme
Article mis en ligne le 13 octobre 2024
dernière modification le 10 octobre 2024

Devant la poussée spectaculaire des signalements pour antisémitisme et racisme depuis un an, l’école se doit de réagir, sans toujours savoir comment aborder cet enjeu de société qui la dépasse. La nécessité de formation pour les élèves et les adultes fait consensus.

Des messages privés évoquant sans relâche Hitler et le « peuple juif », des croix gammées taguées sur les murs, des saluts nazis, des menaces de « refaire un 7/10 », par oral ou par écrit… Pour de nombreux élèves juifs et juives, scolarisé·es en France, la montée notable de l’antisémitisme depuis le 7 octobre 2023 dans les écoles, collèges et lycées est tout sauf une abstraction.

« Depuis cet évènement, nombre d’entre nous se sont fâchés avec des copains en classe, explique Max, lycéen en Île-de-France. Sur les réseaux c’est en continu, dans les commentaires sous les publications d’élèves juifs, tout est ramené à Gaza, à Hitler, à la Shoah. »

Les signalements pour antisémitisme et racisme au sein de l’Éducation nationale ont en effet explosé depuis un an. Pour l’année 2023-2024, les différents établissements ont fait remonter 1 670 actes à caractère antisémite (insultes et violences verbales ou physiques, inscriptions antisémites…), soit trois fois plus que l’année passée, et 1 960 actes racistes, soit deux fois plus qu’entre 2022 et 2023, selon des chiffres confirmés par le ministère et diffusés initialement sur RMC.

Une tendance qui s’exprime jusque dans le supérieur (...)

Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie à Saint-Denis, chargé des formations au mémorial de la Shoah et membre du Conseil des sages de la laïcité, n’est pas surpris par ces chiffres, il alerte « depuis vingt ans » sur le sujet : « À chaque crise au Proche-Orient, on a des répercussions en France. Si ces signalements sont si nombreux, c’est que la crise actuelle est sans précédent. » (...)

On voit surgir par exemple une adoration pour Adolf Hitler qui est tout à fait nouvelle, mais aussi des amalgames incessants entre les élèves musulmans et l’islamisme. (...)

Françoise Lantheaume a dirigé avec Sébastien Urbanski, pendant cinq ans, une vaste étude dans une centaine d’établissements sur les atteintes à la laïcité, le racisme et l’antisémitisme après les attentats de 2015. Elle fait ce constat : « D’une façon générale, les enseignants sont plutôt défavorables au signalement d’incidents, car ils savent que cela va marquer l’élève. Cette réticence crée même des tensions entre les équipes éducatives et les directions. On peut aussi observer des distorsions, en fonction des pressions que va pouvoir faire peser un préfet sur un territoire par exemple, demandant aux établissements de signaler très vite le moindre incident. » (...)

En classe, dans le cadre de la « relation pédagogique », Françoise Lantheaume considère, en tout cas, que le « tabou » et « l’hypervigilance » du corps professoral, en particulier sur l’antisémitisme, continuent de fonctionner. « Le plus compliqué, c’est tout ce qui n’est pas immédiatement sous le contrôle d’un adulte : la cour, les couloirs, les sorties scolaires », rapporte la chercheuse, sur la base de son étude de terrain. « Les groupes classes [sur WhatsApp par exemple – ndlr] sont une plaie », renchérit Christine Guimonnet. (...)

Iannis Roder insiste de son côté sur l’enjeu de la formation, considérant que les professeurs ne sont pas assez « outillés » : « Pourquoi faut-il parler de racisme et d’antisémitisme, sans les hiérarchiser, mais qui sont deux phénomènes distincts ? Comment se mêle l’antisionisme, où s’arrête-t-il ? L’Éducation nationale veut bien faire, nous formons actuellement les chefs d’établissement, les corps d’inspection, mais on doit faire encore plus : j’entends encore des enseignants me dire que l’antisémitisme n’est pas si grave puisqu’il n’y a pas d’élèves juifs dans leur établissement… »

Les cours d’histoire-géographie sont le lieu du décryptage du cadrage historique et contemporain, rappelle Christine Guimonnet. Les cours d’éducation morale et civique aussi, d’autant qu’ils incluent noir sur blanc la lutte contre l’antisémitisme et le racisme dans leurs attendus, entre autres. « Mais nous n’avons que 18 heures par an d’enseignement, et le nouveau programme est conséquent. On nous a promis un doublement des heures pour septembre 2024, qui n’est pas effectif », regrette l’enseignante.
Se confronter à « l’altérité » (...)

« Nous ne sommes pas des profs ou la direction, on peut donc faire ce pas de côté et essayer de déconstruire, car les élèves sont souvent dans le mimétisme de l’environnement familial, amical, explique Alice Chisin, chargée de mission médias numériques et de lutte contre les discriminations. On rappelle bien sûr que le racisme et l’antisémitisme constituent un délit, mais on ne peut pas attendre ou compter seulement sur la sanction pénale. Ce sont des jeunes, il faut s’autoriser ces temps de discussion. » (...)

Les démarches de sensibilisation peuvent souvent se heurter à la forte homogénéité de certains établissements scolaires. Un phénomène qui touche le monde rural comme le milieu urbain, avec des élèves de moins en moins confronté·es à l’altérité sociale ou d’origine.

« J’ai le souvenir d’élèves qui sortaient très peu de leur environnement immédiat et qui tenaient des paroles négatives sur les jeunes personnes noires, ou arabes, insiste la sociologue Françoise Lantheaume. Comment les faire travailler sur cela ? Le rôle de l’enseignant est de renouveler ses ressources en fonction du public qu’il accueille. »
La crainte de voir des élèves quitter l’école publique

Difficile toutefois de mesurer les effets de cette montée des discours de haine. Mandaté au sein du Conseil des sages de la laïcité pour travailler à un audit sur le sujet spécifique de la possible fuite des familles juives de l’école publique, Iannis Roder confirme toutes les difficultés auxquelles le groupe de travail fait face pour mener cet exercice, les statistiques ethniques étant interdites dans le droit français. (...)