
Le vote est loin d’être homogène au sein du milieu agricole. Certes, l’extrême droite capte une partie de cet électorat. Mais les préférences politiques varient selon l’âge, le mode de production – biologique ou non – et la proximité syndicale.
« On aurait préféré que le Rassemblement national soit au pouvoir, on les a jamais essayés. » C’est ce qu’a déclaré le 11 juillet Serge Bousquet-Cassagne, le président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne. Figure de la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole, il a dans le même temps menacé de sortir « les fourches » en cas d’entrée au gouvernement des écologistes ou des insoumis.
Cet enclin personnel pour l’extrême droite, ainsi que ce rejet viscéral de la gauche et de l’écologie, est-il représentatif des intentions de vote des agricultrices et agriculteurs ? Pas si l’on en croit l’analyse de Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po.
Il relève 38 % d’intention de vote de cette catégorie socio-professionnelle pour le bloc de gauche, au premier tour des législatives du 30 juin. Soit près de quatre agricultrices et agriculteurs sur dix ! Les extrêmes-droites comptabilisent, elles, 17 % des intentions, les Républicains 18 % et Renaissance 27 %. « Les législatives ne sont pas les européennes », précise Luc Rouban sur son compte X (ex-Twitter), rappelant le poids des notables, de la vie locale, des projets territoriaux qui comptent pour les paysannes et paysans. (...)
Longtemps hermétique au discours du RN
Revenons quelques décennies en arrière. Depuis les débuts de la Cinquième République, la population agricole a toujours voté majoritairement à droite, avec un fort ralliement au gaullisme puis au chiraquisme (...)
L’audience du Front national (FN) en milieu agricole est alors faible : 3% des agriculteurs s’en déclarent proches. (...)
Ainsi, jusqu’à la fin des années 1990, les agriculteur·ices figurent parmi les catégories les plus hermétiques au discours du FN.
Tournant en 2002
L’élection présidentielle de 2002 marque un tournant. Jean-Marie Le Pen effectue une percée dans le monde agricole avec 22 % des suffrages des agriculteurs au premier tour (cinq points de plus que la moyenne nationale), puis 17 % au second tour. (...)
Vingt ans plus tard, Marine Le Pen, candidate à l’élection présidentielle, est créditée en 2022 de 11 % des suffrages agricoles au premier tour. Difficile de parler de reflux de l’extrême droite : si on cumule avec les intentions de vote des agriculteur·ices pour Éric Zemmour de Reconquête, on arrive à 23 %. (...)
L’étude note aussi que les agriculteurs et agricultrices se déclarent moins tentés de voter pour la liste aux Européennes du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella (26,1%) que la population générale (30,1 %), et surtout que les ruraux (35,1%). Nuançons toutefois : Marion Maréchal (Reconquête) réalise selon cette étude un meilleur score auprès des agriculteurs (7,4%) que dans la population générale (4,1%).
La liste Chasse et ruralité conduite par Willy Schraen aux Européennes (Willy Schraen est président de la Fédération nationale des chasseurs), atteint un niveau d’adhésion similaire. Pour les auteurs de l’étude du Cevipof, « ce soutien est une des spécificités d’un certain vote agricole sensible au discours anti-écologiste et de promotion des valeurs rurales traditionnelles ».
Du côté des partis de gauche, les intentions de vote aux Européennes du milieu agricole sont systématiquement plus faibles que celles de la population générale et des ruraux. La liste conduite par Marie Toussaint pour Europe écologie les Verts réalise toutefois « une bonne performance » auprès des agriculteur·ices, selon le Cevipof.
Un milieu agricole non homogène (...)
Qu’en conclure ? Selon le Cevipof, il n’y a pas « un vote d’’’éleveurs’’ versus un vote de ’’céréaliers’’ ni même un vote de ’’petits’’ ou de ’’gros’’ agriculteurs. Leurs attitudes et intentions de vote varient surtout selon les modes de production, l’âge et la proximité syndicale. »
Les agriculteurs ne constituent pas « un monde social homogène ». Les déclarations violentes de Serge Bousquet-Cassagne, figure de la Coordination rurale, à l’encontre du Nouveau Front populaire ne doivent pas masquer cette pluralité d’opinions.