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Bon Pote
« Je regrette de ne pas avoir travaillé sous pseudo » : Inès Léraud et Morgan Large, enquêtrices avec une cible dans le dos
#Libertedelapresse #InesLeraud #MorganLarge
Article mis en ligne le 24 décembre 2025
dernière modification le 22 décembre 2025

Trois déboulonnages. Des menaces répétées. Morgan Large et Inès Léraud, journalistes d’investigation en Bretagne, paient cher leurs enquêtes sur l’agro-industrie. Elles décrivent à Bon pote la mécanique qui les a rendues cibles d’attaques et de violences, ainsi que les conséquences sur leur quotidien. C’est le 3e volet de notre enquête sur les violences anti-écolo en France.

Inès Léraud est la co-autrice de la BD « Algues vertes, l’histoire interdite », qui a obtenu le prix du meilleur livre de journalisme aux Assises du journalisme en 2020. Morgan Large est journaliste pour la Radio Kreiz Breizh. Toutes deux sont co-fondatrices du média indépendant d’investigation Splann !
Morgan Large, vous avez été victime de déboulonnages de vos roues de voiture, ce qui est ni plus ni moins qu’une tentative de meurtre. Pouvez-vous décrire les faits ?

Morgan Large : tout a commencé après la diffusion du documentaire Bretagne, terre sacrifiée sur France 5 en novembre 2020, dans lequel j’ai témoigné et qui a eu énormément d’audience. Le soir même, j’ai reçu des appels anonymes et des menaces sur les réseaux sociaux. La branche régionale de la FNSEA en Bretagne a réagi et publié un tweet avec mon nom et ma photo. Ensuite, j’ai subi des menaces sur les réseaux sociaux pendant plusieurs mois. En décembre, la clôture du champ de mes chevaux a été ouverte et mes animaux ont divagué (une intimidation courante dans le monde agricole, qui vise à discréditer les personnes et qui signifie au mieux que vous n’entretenez pas vos clôtures, au pire que vous ne nourrissez pas vos animaux, la preuve ils s’échappent ndlr), puis les portes des locaux de ma radio RKB ont été forcées, puis mon chien a été empoisonné. Fin mars 2021, j’ai constaté que ma roue de voiture avait été déboulonnée. J’avais fait des trajets en voiture avec ma fille c’est une voiture personnelle je n’ai pas de véhicule de fonction … (...)

Comment avez-vous été reçue par les gendarmes ?

Morgan Large : lorsque j’ai déposé une main courante pour les animaux en divagation, je n’ai pas du tout été prise au sérieux. (...)

J’ai ensuite été défendue par l’avocat de Reporters sans frontières, celui du SNJ et par un avocat que j’ai choisi en Bretagne. Ils m’ont accompagné pour déposer plainte pour atteinte à la liberté d’expression, et pour dégradation pouvant entraîner des blessures. La plainte a donné lieu à une enquête. Un commissaire a fait l’enquête, il était seul mais sérieux, son travail était intéressant. Malheureusement le temps de la justice et le temps médiatique sont décalés, et ce n’était pas facile. Par exemple, les appels anonymes qui me visaient étaient avec des numéros prépayés. Cela n’a pas abouti. (...)

Inès Léraud, vous vivez la même chose ?

Inès Léraud : je suis très inquiète. Je regrette de ne pas avoir travaillé sous pseudo, de ne pas avoir préservé mon identité. En 2015, quand je suis arrivée en Bretagne, on m’a dit : “T’as pas peur d’enquêter sur l’agro-industrie ? ». Je me disais : « Non mais n’importe quoi, on est en France, des militants ou des journalistes environnementaux agressés, c’est impossible ! » En fait, ce qui est arrivé à Morgan montre qu’ils avaient raison.

Personnellement, je ne diffuse pas mon adresse. Mais certains organismes l’ont, la banque par exemple. Ça m’inquiète. Quand une voiture arrive chez moi, vu que je vis dans un endroit isolé, je ne suis pas toujours bien.
Quels sont vos rapports avec la gendarmerie locale ?

Inès Léraud : juste avant la sortie du film de Pierre Jolivet, adapté de ma BD, en 2023, une cellule de renseignement de la gendarmerie de Guingamp a décidé de venir chez moi sans me prévenir. Ils ont roulé très doucement sur mon terrain, en regardant partout. (...)

Il y a eu des incidents avec la population locale ?

Inès Léraud : d’une manière générale j’ai un grand soutien de la population alentour, y compris des agriculteurs mais il peut m’arriver d’être rejetée. (...)

Inès Léraud : sur France Info, l’ancien président de Triskalia a osé assimiler le travail de Morgan à du harcèlement. Cette interview, c’était presque une incitation à attaquer Morgan. Je pense que, de l’extérieur, c’est allé tellement loin que des gens ont pu croire que c’était nous qui étions en cause, nous qui en faisions trop. Au moment de la manifestation de Triskalia, en 2018, la directrice de l’époque de France Culture, qui a depuis démissionné à la suite de révélations accablantes sur son management, s’est retirée de mes amis Facebook et on m’a appris que ma série d’enquêtes s’arrêtait. Brutalement, je perdais mon employeur principal. On avait prévu une troisième saison, mais tout ce que j’avais enregistré n’a jamais pu être diffusé. Sur le moment, ça a été un coup de massue. Heureusement, depuis la roue a tourné et de nouvelles équipes ont pris la tête de la chaîne.