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Observatoire des multinationales (ODM)
Intelligence artificielle : le sommet du mélange des genres
#IA #multinationales
Article mis en ligne le 12 février 2025
dernière modification le 11 février 2025

Le Sommet international pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA) qui a lieu à Paris en ce mois de février 2025 tient à la fois de la foire commerciale et de la grande messe où les dirigeants de multinationales et de start-ups sont conviés à s’asseoir à la même table que les gouvernements. On y parle d’intérêt général et de régulation tout en négociant des contrats et des investissements, sur fond de brouillage des frontières entre public et privé. Un entre-soi qui sert surtout à écarter les vraies questions.

(...) L’École Polytechnique a organisé un raout sur son campus du plateau de Saclay sous le titre « IA, science et société ». À quoi s’ajoutent des « contre-sommets » organisés par l’eurodéputé écologiste David Cormand, ou encore par le philosophe Éric Sadin et le journaliste Éric Barbier. Conséquences du déploiement de l’IA sur les professions culturelles, impact climatique, dépendance technologique, libertés et surveillance, désinformation, utilisation dans l’industrie de l’armement... Le sujet suscite en effet toutes les craintes. Et les discussions qui se tiennent ces jours-ci à Paris ne semblent pas, sur le fond et surtout sur la forme, de nature à les apaiser.

Lobbying et gros contrats

Malgré son titre de « sommet international », l’événement n’a pas grand chose à voir avec la diplomatie officielle ni avec le cadre de négociations onusiennes. C’est une grande messe conçue sur le modèle du Forum économique mondial de Davos, rassemblant autour d’une même table responsables politiques, patrons de grandes entreprises et de start-ups et quelques représentants de la communauté scientifique ou de la société civile triés sur le volet. (...)

Le sommet de Paris fait suite à deux rassemblements précédents, organisés à Londres en 2023 et à Séoul en 2024, dédiés en théorie à la régulation de l’intelligence artificielle, mais consacrés en pratique à faire la promotion de cette technologie, à la présenter comme inévitable et surtout à poser les industriels eux-mêmes comme acteurs incontournables de toute future réglementation. Ces sommets sont parfois présentés - abusivement, dans la mesure où ils n’ont caractère intergouvernemental officiel et de n’appuient ni ne visent la rédaction d’aucun traité – comme des « COP de l’IA ». Et pourtant, on y retrouve bien le même mélange de discussions techniques, d’annonces publicitaires et de « business as usual » qui constitue désormais la norme en matière de gouvernance mondiale. (...)

L’événement de cette année franchit cependant une nouvelle étape par rapport aux itérations précédentes, qui tentaient encore de maintenir un équilibre entre régulation et promotion. C’est qu’il s’inscrit aussi dans une autre lignée : celle des sommets « Choose France » imaginés par Emmanuel Macron. Chaque année depuis son accession à la présidence de la République, le locataire de l’Elysée se plaît à mettre en scène sa relation privilégiée avec les dirigeants de grandes multinationales et d’institutions financières à travers un rassemblement de prestige au château de Versailles, à l’occasion duquel sont traditionnellement annoncés foule de nouveaux investissements dans l’Hexagone. C’est également le cas avec ce sommet. Emmanuel Macron a annoncé à la télévision 109 milliards d’euros d’engagements dans le secteur de l’IA en France. Les Emirats arabes unis ont promis la construction d’un « campus » assorti du plus gros centre de données d’ Europe, pour un montant d’entre 30 et 50 milliards. Le fonds canadien Brookfield a annoncé la construction d’un autre « data center » dans la région de Cambrai et d’infrastructures associées pour 20 milliards. (...)

Le privé régule le privé

Comme le rappelle le média spécialisé Synth, les géants de la tech sont passés maîtres dans l’art de s’imposer comme leurs propres régulateurs. (...)

Le débat confisqué

Représentants de grands groupes et de start-ups, « venture capitalists », scientifique, responsables d’institutions publiques ou parapubliques, ou personnalités portant toutes ces casquettes à la fois... Derrière la diversité apparente des événements organisés cette semaine à Paris, il y a bien au final une forme de pensée unique.

Et ce n’est pas sans conséquence sur la teneur des débats. (...)

. L’ambition de la « régulation », si régulation il y a même, s’en trouve réduite, au mieux, à en limiter les effets indésirables. Jamais la question n’est posée si ce développement de l’IA est même souhaitable, dans quelle mesure et pour quels usages – et quelle forme de « régulation » pourrait être possible pour maintenir ce développement dans le cadre de fins décidées démocratiquement.

C’est justement pour porter le débat sur cet enjeu de fond qu’a été lancée en France la coalition Hiatus [2], à l’initiative de la Quadrature du net, qui regroupe plusieurs organisations et mouvements de la société civile [l’Observatoire des multinationales en fait également partie, NdE]. (...)

Autre exemple : la question des besoins massifs de l’intelligence artificielle en électricité et en eau pour ses data centers, et donc celles de l’impact climatique et écologique grandissant du secteur. La question est certes évoquée dans les débats, mais de manière relativement inoffensive et en évitant de donner la parole à ceux et celles qui porteraient une parole plus critique. Le ministère pour la Transition écologique organise ainsi le mardi 11 février un « Forum pour l’IA durable » où interviendront des hauts fonctionnaires nationaux et internationaux et des représentants de Google, Nvidia et Atos... mais absolument aucune association écologiste. (...)