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Mediapart
Inondations en Espagne : la catastrophe climatique est devenue humanitaire
#inondations #Espagne #urgenceclimatique #urgencehumanitaire
Article mis en ligne le 5 novembre 2024

Des milliers de volontaires se sont mobilisés pour venir en aide aux sinistrés des inondations près de Valence, en Espagne. Mais dans le même temps, la colère monte face à l’impréparation des services publics, débordés par l’ampleur du phénomène.

La file est ininterrompue, aussi dense que celle d’une station de métro aux heures de pointe, à la différence près que celle-ci fait plusieurs kilomètres. Des volontaires affluent par milliers. Leur attirail est presque standardisé. Tou·tes ou presque portent une pelle ou un balai, des denrées, des bottes, parfois toutes neuves. L’élan spontané a été tel que les autorités, débordées, ont dû interdir l’accès à la zone par voiture, afin d’éviter que les véhicules bloquent les secours. Peu importe, l’heure de marche n’a effrayé personne. La foule croise d’autres volontaires, eux ont leurs vêtements salis par la boue et l’air éreinté.

Ils font le chemin du retour, revenant de la vaste zone sinistrée par ce que tout le monde ici appelle « les inondations du siècle », survenues mardi 29 octobre au soir. Pour celles et ceux qui arriveront dans moins d’un kilomètre au milieu de la boue et du chaos, les sirènes hurlantes au loin et les hélicoptères survolant la zone trahissent l’urgence de la situation. Car plus de 200 cadavres ont été trouvés et identifiés en trois jours. Et de nombreuses familles sont toujours sans nouvelles de leurs proches. (...)

Les voitures sont enchevêtrées avec le mobilier urbain, les meubles et les troncs d’arbres, formant des amoncellements de plusieurs mètres bloquant l’accès à certaines rues. L’eau règne toujours en maître. Il est des carrefours que seuls les 4x4 pouvaient franchir 72 heures après la catastrophe. Au loin, deux personnes crient un nom à intervalles réguliers, comme dans une recherche désespérée. Appuyée sur un bout de bois pour garder l’équilibre malgré la boue glissante, une riveraine lance : « On dirait qu’il y a eu une guerre. » (...)

Au fur et à mesure que la fierté des Valencien·nes augmente en voyant ces volontaires en nombre, la colère contre les autorités croît aussi. « Si on est là, c’est que les secours ne sont pas suffisants. C’est une honte », dénonce Eva Martinez, qui mène sa petite troupe. Aux plus jeunes, les sacs à dos bourrés de biscuits et de fruits pour tenter d’aider dans les petites rues. Aux plus âgés, le détour avec le chariot qu’il est impossible de faire passer par la rue qui s’étire devant eux, les débris n’ayant toujours pas été déblayés. Ils ne sont pas les seuls à faire ce travail d’urgence. Des pick-up de particuliers, bourrés d’aide alimentaire et d’eau, sillonnent tant que possible ce chaos. (...)

La situation est la même dans toutes les villes sinistrées. « Ce sont les citoyens qui m’ont aidée, pas les autorités », dénonce Juana Lea. Pas un pompier, policier ou militaire n’est venu dans son immeuble. « J’étais sans eau, sans nourriture et sans électricité pendant trois jours » (...)

« Des gens sont obligés de vivre avec des défunts depuis plusieurs jours car ils sont dépendants, et ils n’ont pas encore été évacués. » (...)

À Alfafa, désormais, ce sont les religieux et religieuses qui ont pris la main. Cinq camionnettes ont été dépêchées sur la place de la mairie, tandis qu’une cinquantaine de bénévoles de l’association d’un diocèse du sud de la région s’attellent à installer leur matériel. Ici, ils et elles feront 3 000 sandwichs ce midi, pour les sinistré·es et les bénévoles. Sur les pare-brise des véhicules, les laissez-passer affichent un objet que personne ici n’aurait cru voir pour sa ville : « Convoi humanitaire ». (...)

Quelques rues plus loin, alors que le calme semble revenir peu à peu dans ce quartier moins impacté que les parties basses de la ville, le ton monte. Sur le pas de sa porte, Maria parle avec ses voisins de la gestion de la crise. Ici, on est scandalisé par l’attitude du chef du gouvernement central, le socialiste Pedro Sánchez, qui explique attendre des demandes officielles du gouvernement local pour envoyer tous les renforts dont Valence aurait besoin. « Est-ce que si je vois quelqu’un couler, je ne prendrais pas l’initiative de l’aider parce qu’il ne me l’a pas demandé ? C’est un scandale ! » Ailleurs, on accuse le président du gouvernement régional, l’homme politique de droite Carlos Mazón, de ne pas faire de demande officielle de renforts par fierté. (...)

Le débat s’est immiscé à la télévision et à la radio espagnole. Si les volontaires venu·es du coin et de toute l’Espagne se sont mobilisé·es en aussi grand nombre, c’est que les appels à l’aide de sinistré·es se sont multipliés, dès les premières heures de la crise. Les caméras de télévision sont alpaguées dans les rues. « Mais où sont les militaires, où sont les pompiers ? », interrogent des sinistré·es.

Samedi matin encore, le maire d’Alfafar était au micro de la radio nationale pour implorer des renforts. (...)

Sur les téléphones, une vidéo tourne beaucoup. Elle montre un pompier du Groupe secours catastrophe français (GSCF) étonné de s’entendre dire par des habitant·es qu’il est le premier à venir sur les lieux, avant les Espagnols. (...)

« La grande majorité des victimes retrouvées, elles essayaient de sauver leur voiture et sont mortes à l’intérieur », pointe Carlos Gonzales, regardant dans le vide en direction de l’entrée du parking de Sedavi. « Ici, il y a deux niveaux souterrains, près de 200 places, on va forcément retrouver des gens », certifie-t-il, la mine abattue, alors que les pompiers commencent seulement à pomper l’eau qui s’y trouve. (...)

Depuis qu’un survivant a été retrouvé cinq jours après les inondations, coincé dans sa voiture, l’urgence de l’arrivée de nouveaux secouristes n’en est que renforcée. La colère monte, car les heures comptent de nouveau. (...)

Si la colère est aussi importante, c’est aussi parce que beaucoup ici sont convaincus qu’il y a eu des morts évitables. « On a reçu l’alerte sur nos téléphones au moment où l’eau avait déjà atteint bien plus d’un mètre », dénonce José Libardo, habitant de Paiporta, ville qui compte le plus lourd bilan, avec 62 personnes décédées. (...)

« J’ai reçu pour seule alerte un message sur mon téléphone, mais c’était déjà trop tard. » « Pourtant, l’agence météo avait annoncé dès le matin que les pluies seraient exceptionnelles », explique un autre riverain, pointant du doigt la lente réaction du gouvernement local, au cœur du débat. « Ils ont donné l’alerte après la fin de la journée de travail, alors que l’université de Valence avait décidé de fermer toute la journée et que plusieurs administrations avaient déjà renvoyé les travailleurs chez eux depuis plusieurs heures », s’étrangle Carlos Arribas, qui y voit une « gestion criminelle » de cet épisode.

Signe de la colère montante, une vingtaine de syndicats et d’associations ont déjà appelé à manifester le 9 novembre, pour réclamer « la reconnaissance des responsabilités politiques dans la mauvaise gestion de la catastrophe ». Carlos Mazón, le président de la communauté autonome, avoue déjà à demi-mot devant la presse avoir été débordé par la catastrophe : « Nous traversons le pire moment de notre histoire. C’est d’une ampleur que personne n’aurait pu imaginer. »

Si beaucoup de sinistré·es laissent désormais éclater leur colère, ils et elles sont aussi beaucoup à refuser d’en parler, comme toujours dans un état de sidération. (...)