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GISTI/Louise Virole Maître de conférences en sociologie, Université Paris Cité, Urmis
Injustice reproductive en contexte migratoire : le suivi de grossesse
#migrantes #immigration #grossesses #naissances
Article mis en ligne le 16 janvier 2025
dernière modification le 13 janvier 2025

Exclues, stigmatisées et discriminées au sein du système de santé, les femmes enceintes étrangères font face à de nombreux obstacles pour accéder à un suivi de grossesse de qualité en France. Les entraves à l’accès aux soins obstétriques font partie d’un continuum d’injustices reproductives engendrées par les politiques migratoires. Elles constituent des attaques contre les droits fondamentaux des femmes étrangères.

Selon la dernière Enquête nationale périnatale 2021, près de 16% des femmes qui accouchent en France métropolitaine sont de nationalité étrangère – un chiffre en légère augmentation depuis 2016 –, venues pour la plupart d’entre elles de pays d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et d’Europe [1]. Les constats observés dès les années 1980 par les enquêtes épidémiologiques sont encore valables aujourd’hui : les femmes étrangères sont exposées à des risques périnataux plus élevés que les Françaises. Elles sont davantage susceptibles d’entrer tardivement dans le suivi de grossesse, d’être hospitalisées, d’accoucher par césarienne, de donner naissance à un enfant de petit poids ou prématuré et de mourir en couches. Au sein de cette population, les femmes originaires de pays d’Afrique subsaharienne ont toujours les taux de mortalité maternelle et infantile les plus élevés [2].

Les enquêtes socio-anthropologiques expliquent ces inégalités de santé périnatale par les discriminations multiples et intersectionnelles que les femmes étrangères subissent tout au long de leur parcours de soins (...)

peu de structures de soins offrent des services d’interprétariat professionnel lors des consultations obstétriques et des cours de préparation à la naissance. Presque jamais au moment de l’accouchement. Le plus souvent, il revient aux femmes non-francophones de venir accompagnées d’une personne capable de traduire ou sinon de comprendre et de se faire comprendre elles-mêmes. Certaines consultations prénatales se déroulent sans le moindre échange. (...)

L’absence de traduction professionnelle en consultation entrave dès lors le recueil du consentement « libre et éclairé » des patientes et ouvre la voie aux violences obstétricales.

La qualité du suivi de grossesse proposé aux patientes étrangères est, par ailleurs, négativement affectée par les préjugés ethno-raciaux des professionnel·les de santé. (...)

Des politiques migratoires (ir)responsables

Les inégalités de santé périnatale subies par les femmes étrangères se perpétuent malgré des dizaines d’années de politiques de santé et la mise en place de dispositifs facilitant leur accès aux soins obstétriques. Pour comprendre cet échec, il est nécessaire de se tourner vers les politiques migratoires répressives, dont le rôle est central dans la reproduction des inégalités de santé périnatales des femmes étrangères.

En réduisant drastiquement le nombre de titres de séjour et en limitant l’accès au droit d’asile, les politiques migratoires ont irrégularisé toujours davantage de femmes. La menace de l’expulsion conduit les femmes sans papiers à renoncer aux soins. (...)

Les femmes enceintes étrangères sont aussi particulièrement affectées par les politiques migratoires répressives car elles peuvent accoucher… d’un enfant français. Dans le cas où une femme étrangère attend un enfant d’un conjoint français et accouche en France, son enfant obtiendra automatiquement la nationalité française par filiation. La mère sera alors autorisée à déposer une demande de titre de séjour en tant que « parent d’enfant français ». Depuis quelques années, tout un ensemble de lois, de contrôles et de dispositifs sont déployés afin de limiter les naissances en France d’enfants de femmes étrangères en situation irrégulière. Ces femmes sont soupçonnées, par le ministère de l’intérieur, de vouloir accoucher en France afin d’obtenir la nationalité pour leur enfant et la régularisation pour elles-mêmes. (...)

cette répression est particulièrement prégnante à Mayotte, où les femmes enceintes comoriennes sont massivement expulsées afin de les empêcher d’accoucher sur le territoire français et que leur enfant obtienne la nationalité française [7]. Alors que le droit du sol fait déjà l’objet d’un régime d’exception à Mayotte, le précédent ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a proposé de restreindre toujours plus l’accès à la nationalité pour les enfants nés à Mayotte de deux parents étrangers. En France métropolitaine, le contrôle s’est aussi accentué. (...)

Cette politique du soupçon imprègne les discours et les pratiques de l’ensemble des professionnelles médico-sociales du champ périnatal, qu’elles soient sages-femmes, gynécologues, ou encore travailleuses sociales. Et elle cible particulièrement les femmes racisées, notamment originaires de pays d’Afrique subsaharienne. (...)

Accéder à un suivi de grossesse de qualité, accoucher dans de bonnes conditions, devenir mère en toute sécurité, sans subir de violences ou de discriminations : l’ensemble de ces éléments relève des droits des patientes censés être protégés par le code de la santé publique. Ils font aussi partie des droits fondamentaux de tout être humain : ce sont des droits reproductifs. L’Organisation mondiale de la santé reconnaît trois droits reproductifs fondamentaux, à savoir le droit de ne pas avoir d’enfant si on le souhaite, le droit d’avoir des enfants si on le désire et, enfin, le droit d’élever ses enfants dans un environnement protégé de toute violence ou discrimination. En obstruant l’accès au suivi obstétrique des femmes étrangères, les politiques migratoires attaquent ainsi leurs droits en tant que patientes, mais aussi leurs droits reproductifs.

Ces entraves ne se limitent pas au suivi de grossesse mais se poursuivent tout au long des expériences reproductives des femmes étrangères (...)

Ces oppressions reproductives ne sont pas nouvelles et s’ancrent dans l’histoire coloniale et postcoloniale française. (...)

Les femmes étrangères ne sont pas les seules à être la cible de ce gouvernement des conduites reproductives. L’État – via ses politiques migratoires, familiales, sociales, économiques, sanitaires, carcérales, etc. – encadre et régule les choix reproductifs de l’ensemble de la population présente sur son territoire. Ce gouvernement s’incarne, dans l’actualité, par l’invitation – pour ne pas dire l’injonction – du président de la République, Emmanuel Macron, aux femmes françaises de « réarmer démographiquement [10] » la France. Les populations minorisées restent néanmoins celles dont les choix reproductifs sont le plus entravés. (...)

À rebours des discours politiques actuels estimant qu’il est dans l’intérêt de la nation de soutenir de « justes » discriminations, les femmes étrangères sont bien victimes d’injustices reproductives portant gravement atteinte à leurs droits fondamentaux. La justice reproductive [11] sera atteinte quand toutes ces femmes bénéficieront d’un égal accès au suivi de grossesse, d’un accompagnement médico-social de qualité, et quand elles seront informées de leurs droits, écoutées et respectées. Au-delà de l’expérience de la grossesse, parvenir à la justice reproductive exige que les femmes étrangères aient accès à l’ensemble de leurs droits reproductifs en France, indépendamment de leur origine, leur statut administratif, leur nationalité, leur maîtrise de la langue française ou de leurs ressources économiques. La route est encore longue. (...)