
(...) Un précédent préoccupant. La détention au Salvador, dans une méga-prison pour membres de gangs, de migrants expulsés des États-Unis crée "un trou noir" juridique, alertent mercredi 16 avril des défenseurs des droits humains préoccupés par l’alliance sécuritaire entre les deux pays.
Les présidents du Salvador, Nayib Bukele, et des États-Unis, Donald Trump, ont consolidé lundi à la Maison Blanche une alliance qui permet à Washington de continuer à envoyer au Salvador des migrants accusés d’être criminels.
Au moins 288 migrants, pour la plupart vénézuéliens, ont été expulsés par les États-Unis vers le Salvador depuis mars et emprisonnés au Centre de confinement contre le terrorisme (Cecot), au régime de détention ultra-sévère.
Quelque 15 000 Salvadoriens accusés d’appartenir aux gangs du MS-13 et Barrio 18 y sont emprisonnés dans des cellules collectives, sans possibilité de visites.
"Ce que l’on cherche à créer ici est une version extrême de Guantanamo", la prison militaire américaine à Cuba, "un trou noir où il n’y a aucune protection de la loi pour les personnes qui s’y trouvent, et c’est très grave", juge auprès de l’AFP le sous-directeur pour les Amériques de l’ONG Human Rights Watch (HRW), Juan Pappier, évoquant "disparition forcée", "détention arbitraire et potentiellement indéfinie".
Selon l’ONG Cristosal de défense des droits humains en Amérique centrale, près de la moitié des migrants envoyés au Cecot bénéficiaient du statut de demandeur d’asile aux États-Unis ou étaient en cours de demande, "ce qui devrait les protéger des procédures d’expulsion".
Ils ont été expulsés "indépendamment de leur statut d’immigration, sur la base de l’accusation générique d’appartenance au gang du Tren de Aragua, qui, selon les données disponibles, semble infondée dans la grande majorité des cas", souligne son directeur Noah Bullock.
"Le gouvernement a poursuivi l’opération d’expulsions à la hâte"
Un juge de Washington a affirmé mercredi que l’administration Trump avait "délibérément bafoué" son interdiction d’expulser des immigrés en vertu d’une loi d’exception, concluant à une forte présomption "d’outrage au tribunal".
Il s’agit de la deuxième décision en 24 heures pointant la dissimulation, voire la mauvaise foi, de l’administration Trump vis-à-vis de tribunaux qui contrarient sa politique d’expulsions massives. (...)
Le juge Boasberg relève qu’au moment de sa décision le 15 mars, les personnes concernées "se trouvaient à bord d’avions à destination de l’étranger après avoir été volatilisées hors des Etats-Unis par le gouvernement avant d’avoir pu faire valoir leurs droits en contestant leur expulsion devant un tribunal fédéral".
"Au lieu de se conformer à la décision du tribunal, le gouvernement a poursuivi l’opération d’expulsions à la hâte", déplore-t-il.
Les responsables de l’administration Trump n’ont "fourni aucune raison convaincante pour éviter la conclusion évidente au regard du déroulement des faits : qu’ils ont délibérément bafoué la décision du tribunal", insiste le magistrat.
Le juge accorde néanmoins jusqu’au 23 avril à l’exécutif pour échapper à une procédure "d’outrage au tribunal" en se conformant à sa décision initiale. A défaut, il lui demande de soumettre l’identité de la ou des personnes qui ont choisi de l’ignorer.
La Maison Blanche a annoncé qu’elle contesterait en justice ces conclusions.
Washington refuse de revenir sur son "erreur administrative" (...)
L’AFP a interviewé au Venezuela plusieurs familles de détenus assurant qu’ils n’ont commis aucun crime justifiant la prison.
Alexis de Hernandez, mère d’Andry Hernandez Romero, 31 ans, a déclaré que son fils est "injustement emprisonné" et arrêté "simplement parce qu’il a quelques tatouages".
Noah Bullock dénonce qu’"au Salvador le gouvernement appelle marge d’erreur la détention de personnes innocentes".
Dans les rues de San Salvador, certains critiquent les expulsions "simplement parce qu’ils sont tatoués", comme Ricardo Rosales, un transporteur de 32 ans.
Mais beaucoup défendent la fermeté de Bukele, triomphalement réélu en 2024 pour sa guerre contre les gangs qui, disent-ils, a drastiquement changé leur vie quotidienne.
"Nous avons très envie de vous aider"
Au moment où les États-Unis "s’éloignent" de nombreux pays, "ils se rapprochent du Salvador" qui va en tirer "grand bénéfice", veut croire Manuel Urrutia, ingénieur retraité de 73 ans.
Principal allié de Trump en Amérique latine, Nayib Bukele a été accueilli avec les honneurs à la Maison Blanche. (...)
Donald Trump a même déclaré mardi qu’il envisageait d’envoyer au Cecot des citoyens américains auteurs de crimes violents. "Nous sommes en train d’étudier la question et nous voulons le faire. J’adorerais le faire", a-t-il dit dans une interview accordée à Fox Noticias, un programme en langue espagnole de Fox News.
Nayib Bukele qui a inondé son compte X de photos avec Donald Trump, dont une où les deux hommes enlacés est accompagnée de la mention "amis", a obtenu l’intégration au programme Global Entry, qui permettra aux Salvadoriens ayant un visa "d’entrer rapidement" aux États-Unis.