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Mediapart
« Ils se sont déchaînés contre nos enfants » : en Équateur, les familles des ados tués par l’armée témoignent
#Equateur #armee #repression
Article mis en ligne le 29 janvier 2025
dernière modification le 26 janvier 2025

L’enlèvement par des militaires de quatre enfants issus d’un quartier vulnérable de Guayaquil a ébranlé l’Équateur. En adoptant un discours belliqueux et une politique de sécurité rendant l’armée toute-puissante, le gouvernement a exacerbé les stéréotypes pesant sur les jeunes pauvres, exclus et souvent racisés.

Les ruelles défavorisées des Malvinas, un quartier situé au sud de Guayaquil, centre économique de l’Équateur, s’animent timidement depuis quelques jours. Un groupe d’adolescents joue au ballon sous le regard de jeunes frères et sœurs à la démarche mal assurée. Depuis la fenêtre de sa fragile maison en planches de bois, Johanna Arbodela, 39 ans, les contemple. « Ils recommencent à sortir, seulement maintenant. Ils sont terrorisés », soupire-t-elle, le visage assombri par la douleur.

Ses tantes et cousines, agglutinées autour d’elles, acquiescent. Voisines, elles viennent quotidiennement la soutenir et l’entourer depuis le 8 décembre. Ce jour-là, son fils, Nehemias Saul Arboleda Portocarrero, 14 ans le jour de sa disparition, a été arrêté à la sortie d’un centre commercial, après une partie de football dans un stade non loin, avec d’autres jeunes du quartier : Josué Didier Arroyo Bustos, 14 ans, Ismael Arroyo Bustos, 15 ans, et Steven Gerald Medina Lajones, 11 ans.

Embarqués dans des camionnettes par des soldats, violemment battus selon les images de différentes caméras de vidéosurveillance, leurs corps ont été retrouvés le 24 décembre, dénudés, calcinés, et avec des traces de torture. Récemment, Johanna s’est évanouie à la vue d’un véhicule militaire, en pleine patrouille, à deux pas de chez elle. (...)

Le drame des « enfants de Malvinas » a ému l’Équateur. Le 8 janvier, un rite funéraire traditionnel, le chigualo, caractérisé par sa musique et ses chants, a été organisé lors d’une marche dans les rues de Guayaquil, en présence des familles. Une autre est prévue le 9 février, date du premier tour de l’élection présidentielle, qui voit s’affronter dix-sept candidats, dont le président sortant Daniel Noboa. (...)

En janvier 2024, à la suite de l’évasion d’Adolfo Macias, alias Fito, leader du gang des Choneros, le président a décrété l’état de « conflit interne », ainsi que l’état d’urgence, donnant le contrôle à l’armée des prisons et des rues. L’état d’exception a été renouvelé le 5 janvier dans plusieurs provinces, dont celle de Guayas où se trouve Guayaquil. La crise de l’insécurité et l’augmentation de la violence armée en Équateur, marquées par la présence de la criminalité organisée et une brutale répression étatique, touchent directement la population.

Les « vingt-deux organisations terroristes », caractérisées comme telles par Noboa, continuent d’imposer un climat de terreur. Si par rapport à 2023, le taux d’homicides a baissé et atteint 38,7 pour 100 000 habitant·es, il reste un des plus élevés au monde. Le mois de décembre 2024 a été le plus meurtrier de l’année.
Absence de stratégie intégrale contre la violence

À l’autre bout de la ville, au nord de Guayaquil, les équipes de la Mission de l’alliance norvégienne déplorent un manque de stratégie globale : « Pour nous, qui travaillons dans les quartiers les plus vulnérables, la situation s’est aggravée. Les autorités se sont attaquées au trafic de drogue, mais d’autres activités lucratives se sont développées : enlèvements, extorsions – les vacunas –, observe Javier Gutierrez, directeur de la structure. Sans la mise en place d’une politique intégrale, cohérente, incluant la participation d’acteurs sociaux, ce n’est que l’action circonstancielle d’un gouvernement et de son armée contre le trafic de drogue. Mais d’autres types de violence augmentent. » (...)

La mise en place de l’état d’urgence a en effet entraîné des violations des droits humains, liées à l’autonomie absolue octroyée à l’armée, principalement sur les populations les plus vulnérables et afrodescendantes. Le cas de Malvinas en est une illustration criante. « L’État n’a pas adopté une politique publique de sécurité, a mis en œuvre cet hypermilitarisme, en faisant sortir les militaires dans les rues. L’absence de projet stable ou clair de politique de sécurité publique conduit à ces actes de violence de la part de l’État lui-même », dénonce Abraham Aguirre, membre des équipes légales du Comité permanent pour la défense des droits de l’homme de Guayaquil (CDH), et avocat des familles de Malvinas.

Selon la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), un des groupes particulièrement touchés par les contextes de grande violence et d’insécurité, ce sont les enfants, les adolescent·es et les jeunes. (...)

En adoptant un discours belliqueux et musclé, l’État a renforcé les stéréotypes qui criminalisent les adolescent·es pauvres, exclu·es et racisé·es. Les afrodescendant·es représentent 4,8 % de la population, 40 % d’entre eux vivent dans la pauvreté. (...)

Les familles des victimes rencontrées par Mediapart précisent n’avoir pas reçu de condoléances de la part du chef de l’État. Toutes ont perdu leur travail à force de se consacrer aux rendez-vous judiciaires (...)

Le procureur indique que 146 disparitions forcées ont été recensées depuis 2014, mais de nombreuses familles redoutent ou ignorent les démarches à suivre, et n’entament pas de poursuites. (...)

Sandra Arteaga a réussi à déclencher le processus judiciaire. Ses deux garçons, Kleiner Pisco, 15 ans, et Carlos Pisco, 17 ans, sont victimes du même modus operandi, ils se sont fait enlever sur leur lieu de travail. « Nous avons l’impression de n’être pas protégés. Personne ne nous soutient. Nous n’avons rien », murmure-t-elle.