À Saint-Étienne, l’instruction touche à sa fin dans un dossier où un jeune alternant est mis en examen pour viol sur mineure. Alors qu’il faisait l’objet d’une enquête pour détention de fichiers pédopornographiques, il a été laissé libre de travailler au contact d’enfants.
« Excellent stage. Maîtrise et posture professionnelle remarquables. » En ce mois de septembre 2023, la directrice d’une école maternelle de Villars (Loire) se montre dithyrambique à propos de Julien R., élève de bac pro « service à la personne » de 19 ans, qu’elle a pris en alternance. L’année d’avant, déjà, le jeune homme a passé quelques semaines dans l’établissement public ; cette fois, il revient deux semaines par mois, pour aider en classe et sur le temps périscolaire.
Au soir des vacances de la Toussaint, le 20 octobre 2023, la directrice s’en félicite une dernière fois : « Julien est devenu un élément sur qui l’on peut compter, écrit-elle. Un grand bravo ! » En réalité, ce midi-là, dans les toilettes de la cantine, Julien R. est soupçonné d’avoir violé Estelle*, une élève de petite section qui venait de quitter la table pour aller faire pipi.
À la fin des vacances, c’est l’enfant de 3 ans qui l’a révélé à sa mère, lors d’un changement de couche : « Elle m’a dit que Julien lui avait mis son zizi dans sa bouche », peut-on lire dans la plainte des parents, déposée le jour même au commissariat de Saint-Étienne.
Mis en examen dans la foulée pour viol sur mineure de moins de 15 ans et pour exhibition sexuelle au préjudice de plusieurs enfants (entre autres infractions), Julien R. devrait savoir prochainement ce que la juge d’instruction, qui a bouclé ses investigations, retient contre lui en vue du procès. (...)
une plongée dans le dossier fait émerger une question embarrassante pour l’autorité judiciaire : le passage à l’acte de Julien R. n’aurait-il pas pu être empêché ? En effet, lorsque le jeune homme s’est attaqué à Estelle en octobre 2023, il faisait déjà l’objet d’une enquête pour des faits de détention de fichiers pédopornographiques, et avait pourtant été laissé libre de travailler avec des enfants.
Autre incongruité, côté Éducation nationale : la directrice de l’école n’a pas respecté la procédure pour recruter cet alternant, ce qui lui a d’ailleurs valu une sanction – un « déplacement d’office », indique le rectorat de Lyon.
Cette affaire illustre ainsi deux failles persistantes des institutions censées protéger les enfants : d’une part, la difficulté de la justice à considérer la consultation de pédopornographie comme un signal d’alerte suffisamment grave pour imposer des investigations systématiques dans l’entourage des mis en cause ; d’autre part, la tolérance à l’école d’une vigilance dégradée, dès lors qu’il s’agit du temps périscolaire (cantine, étude, etc.) et d’intervenants non rattachés à l’Éducation nationale.
Le virtuel et la réalité (...)
Seul le père de Julien R. est entendu, mais pas sa mère, ni ses frères ni ses camarades de classe. Encore moins les personnels de l’école maternelle où il a fait son stage au printemps et où il rempile en septembre. Tranquillement, le parquet s’oriente vers un mode de poursuite peu coercitif : une simple « convocation » devra lui être remise par un policier (une COPJ dans le jargon), pour une comparution ultérieure devant le tribunal. (...)
À aucun moment le parquet n’estime nécessaire de saisir un·e juge d’instruction, qui aurait pourtant pu creuser. Qui aurait eu, surtout, un pouvoir supplémentaire : celui de placer Julien R. sous « contrôle judiciaire » jusqu’au procès, avec une obligation de soins par exemple, ou une interdiction d’exercer une activité au contact de mineur·es.
Ainsi, en septembre 2023, alors qu’il est sous enquête et qu’il a déclaré sur procès-verbal regarder des vidéos pédocriminelles « quatre ou cinq fois par semaine », Julien R. peut entamer son alternance à l’école maternelle sans enfreindre aucune règle. Son lycée n’en est pas informé, ni la maternelle.
Sur place, au bout de quelques jours, Julien R. se fait reprendre par une maîtresse, parce qu’il prend des petit·es sur ses genoux ; puis il se voit refuser l’entrée du dortoir à l’heure de la sieste. Le passage à l’acte auprès d’Estelle survient la veille des vacances, alors que Julien R. est convoqué onze jours plus tard chez le psychiatre chargé de l’expertiser.
« Le mode de poursuite adopté pour ces faits de détention de fichiers pédopornographiques est inadapté, commente aujourd’hui Mathias Darmon, avocat de l’association Innocence en danger, partie civile dans le dossier. Et que l’on ne vienne pas nous dire que c’est une question de moyens de la justice. C’est plutôt une question de réflexes à adopter dans ce type d’affaires : compte tenu de la forte probabilité que d’autres infractions soient commises, il faudrait une automaticité du contrôle judiciaire, avec interdiction systématique d’exercer au contact de mineurs et obligation de soins. »
Un passé traumatique
« Pour les faits de visionnage […], je n’ai pas eu de soins », s’est lui-même plaint Julien R., le jour de sa mise en examen pour viol, exhibition sexuelle et détention de fichiers pédopornographiques, tout à la fois, en décembre 2023. À la juge d’instruction qui l’envoie en détention provisoire, il réclame ainsi « un suivi médical » : « J’[en] ai vraiment besoin […] pour m’aider à me guérir de ça. »
Au nouveau psychiatre qui l’examine au parloir de la maison d’arrêt, en juin 2024, il confie avoir été exposé à la pornographie dès le CM1. Sont aussi repérés des « symptômes inquiétants semblant rentrer dans le cadre d’un trouble du spectre autistique », ainsi qu’un fort isolement social et des troubles alimentaires.
Mais Julien R. présente surtout une histoire familiale « traumatique » : sa sœur atteinte d’une tumeur au cerveau a été tuée – noyée – par leur mère. « Le problème, lâche Julien R. à l’expert, c’est que tout le monde était noyé dans sa souffrance et on n’en a jamais parlé. » Enfin, le jeune homme évoque le souvenir flou de violences sexuelles potentiellement subies vers l’âge de 5 ou 6 ans.
Après deux tentatives de suicide en détention, Julien R. est assigné à résidence sous surveillance électronique, puis placé sous contrôle judiciaire, en janvier 2025, avec interdiction « d’entrer en contact avec des mineurs » et obligation de soins à la fois psychologiques et psychiatriques. Deux mois plus tard, cependant, il confie à la juge d’instruction n’avoir pas trouvé de psychiatre disponible – ou qui l’accepte. (...)