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Atelier d’Écologie Sociale et Communalisme
Il faut « sortir » du capitalisme mais je ne vous dirais pas comment
#capitalisme #extremedroite #travail #servicespublics #guerres
Article mis en ligne le 3 janvier 2025

(...) Qu’est-ce que tu proposes ?

J’ai publié un certain nombre de billets sur mon blog qui proposaient des analyses de divers aspects de la quadruple crise du capitalisme (économique, sociale, écologique et anthropologique) et dont la principale conclusion était la nécessité de « sortir » du capitalisme, les guillemets accolés à la « sortie » indiquant qu’il s’agissait davantage d’un objectif que de l’exposé d’un moyen pratique qu’il aurait suffi de mettre en œuvre.

Et j’expliquais que cette « sortie » n’était pas le franchissement d’un seuil comme on sort d’une pièce, mais un processus, soit le contraire d’un grand soir. Un processus évidemment complexe et d’ailleurs en cours, mais qui se traduit pour l’instant par un approfondissement de toutes les dimensions de cette crise multiple orientant cette « sortie » vers le pire. C’est comme cela qu’on peut interpréter les dettes publiques sans cesse croissantes, le changement climatique qui s’accélère1 et la biodiversité qui continue à se réduire, la dégradation des conditions de travail et des services publics et des électeurs de plus en plus nombreux qui se tournent vers les droites extrêmes2.

Bien sûr, il ne suffit pas de dire qu’il faut « sortir » du capitalisme pour que ça se produise, ni même pour que le processus vers une « sortie » vers le haut s’enclenche, mais ce n’est pas une raison pour faire l’autruche et laisser le monde continuer sur le chemin qu’il est en train de suivre sans réagir ou continuer à croire qu’une régulation d’un capitalisme le rendant plus social et plus écologique soit possible et qu’il sortira autre chose qu’un texte lénifiant, promettant une fois de plus un engagement sans faille des États à la COP de Bakou. (...)

Pourtant, de nombreux commentaires sur mes textes me reprochent de « ne pas faire avancer le schmilblick »5 en me « contentant » de dire qu’il faut sortir du capitalisme. Oui bien sûr, mais qu’est-ce que tu proposes m’oppose-t-on ? (...)

La raison de ce scepticisme est toujours la même. On ne conçoit pas qu’il puisse exister une société différente avec deux justifications principales : l’échec du « communisme » qui prouverait définitivement l’absence d’une alternative, ou la résilience du capitalisme à chaque fois qu’il parait atteindre des limites, démentant ainsi tous ceux qui prédisaient sa fin prochaine. Il est donc nécessaire de les examiner de près pour mieux juger de leur pertinence.

L’échec du « communisme » est-il la preuve du triomphe du capitalisme ?

Il faut noter que l’échec du « communisme » (qui permet de renvoyer Marx immédiatement aux poubelles de l’histoire6), n’existe que si on nomme « communisme » l’expérience soviétique ou le mode de production que connaît aujourd’hui la Chine. (...)

Le capitalisme est-il éternel ? (...)

Un regard vers le passé montre pourtant qu’il a existé des sociétés fonctionnant sur de tout autres principes que notre société moderne. Jérôme Baschet12, historien spécialiste de la civilisation féodale, le montre clairement quand il se demande Quand commence le capitalisme ? dans son dernier livre13. Il note que deux conditions doivent être remplies pour qu’on puisse parler de capitalisme : d’une part que « le capital déborde le domaine des activités commerciales et du prêt à intérêt pour s’emparer de la sphère productive » constituant ce rapport de production qui le caractérise, et, d’autre part « que l’amplification des rapports capitalistes de production et l’ensemble des exigences du capital ont alors des effets déterminants sur l’organisation sociale dans son ensemble et sur les mécanismes qui en permettent la reproduction ». Deux conditions qui n’étaient pas remplies au temps du féodalisme ou dans l’Antiquité. (...)

La suite de l’histoire des conquêtes sociales et de leurs conséquences (consommation de masse, congés payés, Sécurité sociale…) montre que le capitalisme se transforme et pourrait donner raison à ceux qui l’imaginent éternel parce qu’ils y voient la preuve de sa résilience.

Finalement, depuis l’avènement du capitalisme devenant dominant dans la seconde moitié du 19ème siècle en Occident, le monde n’a pas connu d’autre mode de production.

La « sortie » du capitalisme est donc d’abord difficile parce qu’elle paraît impossible et même de plus en plus impossible au fur et à mesure que l’univers de la marchandisation de toutes choses s’étend à toutes les dimensions de la vie.
Le coût de la résilience du capitalisme

La conséquence de cette croyance en la résilience du capitalisme c’est l’approfondissement de la quadruple crise qu’il connaît qui renforce encore le sentiment d’impuissance à agir, mais aussi la demande pressante de donner une solution et le reproche à ceux qui insistent sur la nécessité d’une « sortie » du capitalisme de ne pas le faire. Car le capitalisme est en train d’épuiser la nature et le travailleur comme le notait Marx. (...)

Par ailleurs, et on retombe ici sur la capacité de rebond du capitalisme, l’augmentation des maladies liées au travail est telle qu’elle lui a permis de développer une réponse marchande à cette souffrance, à base médicamenteuse ou comportementale avec le développement personnel et les initiatives de joie au travail. Sandra Lucbert note dans son superbe livre Personne ne sort les fusils, relatant le procès France Telecom, exemplaire de ce que le management en entreprise peut faire aux travailleurs, que le Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders (DSM), « invente des maladies à mesure que de nouvelles tortures de management apparaissent. Plus on crée de nouvelles tortures, plus le DSM invente des « troubles« . Plus le management démolit les gens, plus le retour sur investissements des Pharmaceuticals augmente ». Enfin, il faut souligner que la reconnaissance d’une maladie due au travail fait toujours l’objet de luttes pour leur reconnaissance. (...)

On se retrouve vite coincé dans une impasse. L’évidence de plus en plus grande de ces coûts ne peut que faire croître la volonté de changement, mais, en même temps, croît le reproche fait à ceux qui insiste sur cette crise de ne pas expliquer comment faire pour la résoudre. (...)

La solution ne peut pas être dans une feuille de route qu’il n’y aurait qu’à suivre (ce qui relativise fortement ce que l’on peut attendre d’une planification trop impérative). Pas plus qu’elle ne peut consister à proposer les « bonnes » politiques économiques, restant ainsi dans l’illusion qu’une régulation du capitalisme serait possible19. Comprendre le capitalisme en tant que rapport social de production et prendre la mesure de ce qu’il impose sur la nature et les subjectivités en transformant tout en marchandises, ne peut que chercher à en sortir avant qu’il ne soit trop tard (et pour l’instant ce n’est pas ce qui se passe, le rythme auquel se poursuivent les impacts environnementaux s’accélère et nous rapproche du franchissement de seuils d’irréversibilité).

Ce constat nous donne une première direction à suivre qui est celle d’une lutte d‘idées visant à augmenter le nombre de ceux qui seraient conscients de la nécessité d’une « sortie » en faisant apparaître tous les dangers vers lesquels le capitalisme nous entraîne. Avant de savoir où l’on va, il faut d’abord savoir ce que l’on refuse à tout prix. Car ne pas pouvoir dire « ce qu’il faut faire » ne signifie pas qu’il ne faut rien faire. A ce stade, on ne peut qu’espérer qu’une prise de conscience suffisamment partagée par un nombre important de personnes pourrait susciter des luttes débouchant sur des ruptures décisives, mais préjuger des formes organisationnelles que ces luttes pourraient prendre aurait toutes les chances de n’être que pure spéculation et d’être rapidement démenti par les luttes réelles (si jamais elles voient le jour). Tout au plus peut-on constater que les institutions actuelles d’organisation politique ou syndicale qui affichent une opposition aux politiques économiques néolibérales semblent assez largement incapables de les impulser. (...)

Pour l’essentiel, les institutions d’une « sortie » du capitalisme restent à inventer et elles seront nécessairement dues à des initiatives collectives. On peut voir les Gilets jaunes et les ZAD en France, le mouvement Occupy Wall Street à New York, le mouvement Zapatiste au Chiapas, comme des exemples (et non des modèles à imiter), plus ou moins réussis de tentatives d’organisation hors des formes dominantes hiérarchiques sous lesquelles les institutions se constituent21.

Dans ce billet déjà bien long, il n’est pas possible de détailler l’ensemble des idées qu’il est nécessaire de remettre en cause tant elles font obstacle à la crédibilité d’une « sortie » du capitalisme.

Parmi ces idées, une me semble essentielle, c’est celle qui naturalise la consommation sous la forme qu’elle a prise sous le capitalisme. (...)

Finalement ce qui est important c’est moins le niveau du PIB que son contenu et la manière de le produire (le rapport de production). Et si ce contenu est sous le contrôle à la fois des producteurs directs qui le créent et de la collectivité qui évalue son impact global (sous des formes qui se trouveront dans le mouvement et qu’il est vain de vouloir anticiper, mais qui impliquent sans doute un minimum de « planification ») et donc qui prend en compte en particulier les contraintes écologiques, on peut espérer construire collectivement des conditions de vie meilleures où le but n’est plus l’accumulation sans fin mais l’enrichissement des personnalités.

Ce qui pose aussi la question de ce que l’on nomme « travail » en distinguant le travail contraint pour produire tout ce que la société considère comme essentiel à la survie (subsistance, logement, …) et celui, qu’il serait judicieux de ne pas nommer « travail », et dont Keynes parlait dans sa lettre à ses petits-enfants. La réduction du temps de travail contraint est un des enjeux fondamentaux et on voit aujourd’hui avec la volonté de l’étendre le dimanche ou les réformes des retraites à quel point c’est une lutte décisive pour « sortir » du capitalisme. Les « élites » au pouvoir ne s’y trompent pas.

Quant aux formes que peut prendre cette production dans de nouveaux rapports et dans un temps qui lui est consacrée différent (moins long pour tous ceux qui ont aujourd’hui un travail de plus en plus déshumanisant), je ne m’avancerai pas n’ayant aucune prédisposition à prévoir l’avenir, mais ce ne sera assurément pas sous les formes actuelles et il y aura sans doute des essais et des erreurs, mais je fais confiance ici à l‘inventivité des travailleurs qui n’auraient plus à répondre à des donneurs d’ordre.

Qu’on songe par exemple à la Commune, où en 44 jours et tout en faisant la guerre, elle a organisé le ravitaillement, mit en marche les administrations, assurer la sécurité dans les rues et les soins aux blessés, réorganisé la production en en confiant la gestion aux travailleurs, soumis les marchés publics à des contraintes strictes, séparé l’Église et l’État, mit en place un enseignement primaire et professionnel laïque et gratuit, envisagé la révocation des élus et bien d’autres innovations dont certaines ont été finalement acceptées des dizaines d’années plus tard et après de longues luttes par la République et dont d’autres, comme l’égalité salariale homme/femme, attendent encore.

Il y a là un motif d’optimisme sur la capacité d’un peuple à parvenir à se rendre maître de son destin. (...)

C’est l’accumulation sans fin du capital entre un nombre de mains très restreint qui explique ces inégalités. Il ne s’agit donc pas de supprimer les (vraiment) riches, mais de s’attaquer à la cause qui les engendrent.

Ce qui amène à remettre en cause une autre idée qui est régulièrement mise en avant pour justifier de l’impossibilité d’une « sortie » du capitalisme c’est celle d’une « nature humaine » éternelle qui aurait finalement trouvé son aboutissement dans le capitalisme, la seule forme d’organisation sociale qui lui permette de s’exprimer complètement en donnant libre court à toutes les composantes qui seraient inhérentes à cette « nature humaine » éternelle (égoïsme, appât du gain, volonté de puissance, maîtrise de la nature.

On ne naît pas avec « sa » nature, « son » caractère, « ses » idées, mais dans un monde déjà humain où nous devons acquérir ce qui est déjà là et sans quoi nous ne le deviendrions jamais, (le langage, les normes sociales, les manières de faire (...)

L’ensemble des luttes en cours qui expriment le refus croissant d’accepter la marche vers l’abîme où nous entraîne le capitalisme, et dont je n’ai effleuré que quelques exemples, ne conduit pas pour l’instant vers la « sortie » du capitalisme, même si ce sont des points d’appui pour le faire. Et leur variété même rend bien hasardeux la moindre prédiction sur celles qui seraient les plus prometteuses, sinon que c’est justement peut-être dans cette variété qu’il faut chercher les formes sous lesquelles cette « sortie » peut se faire. Il n’y a pas de « sauveur suprême » dont il faudrait attendre la venue qui indiquerait la route à suivre mais une multitude de chemins à emprunter, fonction des contextes des lieux et des collectifs concernés.