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#ici - Les containers ou la rue
Article mis en ligne le 11 février 2020

On est allés à la rencontre des demandeurs d’asile soudanais (et les autres) qui ont été transférés en décembre… Dans un parking de containers. La mascarade publicitaire faite par Bouygues Immobilier et Habitat et Humanisme ne semble pas bien coller avec les témoignages des habitants.

Lyon. Lorsque l’on arrive dans le quartier, c’est une friche industrielle, avec un terrain vague, quelques immeubles, des grues… Et puis une porte dans le mur qui encadre une vingtaine de containers numérotés, alignés sur un parking. C’est ici que Habitat et Humanisme, dans le cadre du contrat d’hébergement des demandeurs d’asile avec l’OFII, a « relogé » les quatre-vingt demandeurs d’asile du centre d’accueil de Masséna en décembre 2019. Dans chaque container, des lits superposés ; pas de fenêtre, mais une porte d’entrée à un des bouts du container. Les containers sont étroits, 20 ou 25 mètres carrés environ pour trois à cinq personnes.

Pendant ce temps, la direction d’Habitat et Humanisme, elle, se félicite d’une "innovation sociale", les médias parlent d’un "centre nouveau genre" et d’un "village mobile", réalisé en partenariat avec Bouygues et BNP Paribas. (...)

Dans un article sur le site d’Habitat et Humanisme publié le 29 mai 2019, les « containers » sont évoqués comme un des points de la « mise en œuvre de solutions innovantes pour répondre aux besoins » aux difficultés d’accès au logement, et une solution au « mal-logement ». (...)

Et pourtant... (...)

Il semble d’abord que cette opération de communication ne puisse cacher la réalité : les différents espaces dont parle la direction ne sont en effet qu’autres que des lits superposés, avec un frigo, deux plaques de cuisson, une table et quelques chaises, et une salle d’eau. Un container avec des canapés et un baby-foot, et des containers avec les bureaux des travailleurs sociaux, ces bureaux étant toujours une composante des structures de type CAO ou CADA accueillant des demandeurs d’asile.

Du côté des habitants aussi, une toute autre vision...

Moussa* : « on était tous logés dans un centre avant, qui était bien, quand ils nous ont dit qu’on allait déménager, ils ne nous ont pas donné d’informations, on est arrivés ici avec nos affaires, on n’avait pas le choix. Si on fait remarquer qu’ils nous ont mis dans des containers, ils disent, vous êtes libres de partir… Mais partir où ? Bien sûr qu’on n’a nulle part d’autre où aller ».

L’un d’entre eux, qui souffre de problèmes respiratoires, fait des insomnies car il ne peut pas respirer : « on a du mal à aérer, il n’y a pas de fenêtre ». Un autre témoigne, aussi « quand il pleut, ça fait énormément de bruit sur la tôle, et récemment l’eau a fuité du haut du container et est entrée à l’intérieur. Si c’est déjà comme ça après un mois, on ne sait pas dans quel état ce sera dans un an. Ce n’est pas isolé ». Pour montrer cela, il met sa main sur les parois du container. Les parois sont très froides. « Ils ont bien installé un chauffage, mais le chauffage monte, et comme on est sur un parking, il y a du vent, alors ça chauffe mal. Il y a aussi des pannes d’électricité et des pannes d’eau. La porte d’un des containers s’est brisée la semaine dernière à cause de la température ».

Amir* : « plusieurs personnes ici ont obtenu leurs papiers il y a plusieurs mois déjà, mais n’ont pas d’autre logement, alors ils restent ici, et paient une partie du loyer. Un loyer pour rester dans un container. Mais pour moi ici, c’est un camp. La seule fois où j’ai été dans des containers ou dans un abri de taule comme ça, c’était à Paris, dans les camps… » (...)

L’objectif serait celui d’« insertion par le logement », d’une « ville plus inclusive ». Les auteurs hésitent : « simple mode ou exemple à suivre » ? Avec tant de beaux discours, on en aurait presque oublié... Qu’il y a des habitants, qui eux, n’ont pas eu leur mot à dire, et dont les témoignages alertent cependant sur les limites de ce type d’hébergement.

Le problème ne semble pas seulement être celui des conditions de vie, que le sentiment d’être les « indésirables », ceux que l’on entasse dans des containers industriels. Contrairement donc aux beaux discours sur l’« insertion », ces containers semblent pousser au contraire, à la marginalisation et à la stigmatisation.

Lors de l’annonce de l’ouverture de ce centre, certains acteurs ont pointé du doigt, davantage que la précarité imposée aux mal-logés, l’importance de « l’information des riverains » (via notamment une exposition à la Commune), qui pourraient être « inquiétés » de l’arrivée de cette « population ». Il semblerait effectivement que des riverains se soient inquiétés, mais, n’en déplaise aux administrations, pour une tout autre raison.

Amir* explique : « Depuis qu’on est arrivés, il y a des voisins qui passent et qui regardent, plusieurs sont entrés pour demander pourquoi des gens avaient été mis dans des containers comme ça. Plusieurs personnes étaient scandalisées. Bien sûr les assistantes [travailleurs sociaux, ndlr] ici elles sont comme nous, elles n’ont pas eu le choix. Elles doivent travailler aussi dans des containers, et en plus, parmi nous, plusieurs deviennent fous, ce n’est pas facile. Il y a même des enfants de l’école à côté qui nous ont demandé pourquoi on vivait là » (...)

Moussa* : « Personnellement j’ai un peu honte de donner mon adresse ou dire aux gens où j’habite. C’est devenu connu même chez les demandeurs d’asile et les réfugiés ! La dernière fois dans un cours le professeur m’a demandé où j’habitais, j’ai répondu « Jaurès », les autres m’ont dit : ah mais c’est l’endroit où il y a les containers ? Franchement on ne se sent pas traités comme des humains. J’ai toujours un mot en tête : pourquoi ? Par exemple, on ne comprend pas comment ils décident qui a le droit à un logement, qui est dans un container, on dirait que c’est par hasard ».

Amir* continue, « Moi je suis en France depuis plusieurs années, et c’est clair pour moi que la situation est pire qu’avant. On est un groupe à avoir été logés et transférés ensemble. En novembre 2016, il y a eu un mouvement de protestation au sein de notre groupe pour demander le passage en procédure normale qui avait été promis aux transférés de Calais. Depuis, l’équipe a changé, on a été séparés, et mis dans plusieurs foyers dont les conditions étaient mauvaises. Quand on avait déménagé la dernière fois, le foyer où on est arrivés n’était pas encore prêt. On a travaillé pour la peinture, les sols, les murs, tout cela gratuitement, parce qu’on n’avait pas le choix. Quelques mois plus tard, on a été transférés ici ».

Rashid* : « Ici on a peur de témoigner ou de demander des choses, parce qu’on a peur qu’ils nous mettent à la rue, et là en plein hiver ce n’est pas possible. On a peur qu’ils mettent une croix sur notre dossier, qu’on n’ait pas de papier ou pas de logement après. Alors la plupart ils dépriment. Certains la nuit ils tapent sur la taule, ils crient. On entend tout, ça résonne. Nous on est pas venus ici pour faire de la politique, mais il faut voir la situation : mettre les gens dans des containers, c’est très humiliant. Les containers c’est pour mettre dans les bateaux, pour stocker des choses… Mais stocker des gens ? » (...)

Ali* : « Ce qui me fait rire, c’est qu’après notre arrivée, ils ont fait des dessins sur les murs, ils ont acheté des petites décorations pour le parking, des pots de fleurs… Pour rendre les containers plus jolis… J’ai l’impression qu’ils ne comprennent pas le problème ». (...)

Note : nous sommes allés récolter les témoignages des personnes qui y habitent, mais nous ne voulons pas remettre en question les travailleurs sociaux de ce centre, et toutes les personnes qui essaient de faire de leur mieux et d’aider les personnes à l’intérieur. Nous répondons cependant à la volonté exprimée par les différents acteurs de l’OFII et d’Habitat et Humanisme de multiplier ce genre de structures. Le président d’Habitat et Humanisme Christophe Perrin aurait indiqué que le coût de ce projet est proche du million d’euros.