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Mediapart
Humiliations, travail forcé et violences : des « familles d’accueil » illégales ont abusé de dizaines d’enfants pendant sept ans
#enfance #protectiondelenfance #ASE #violences
Article mis en ligne le 7 octobre 2024

Des violences de toutes sortes, dont sexuelles : c’est ce que révèlent avoir vécu des dizaines d’enfants placés par l’aide sociale à l’enfance du Nord chez des familles d’accueil qui ne disposaient pas d’agrément. Dix-neuf personnes doivent être jugées pour ces faits prochainement.

« La clique du Nord » : la formule fait froid dans le dos. Elle est utilisée le 24 janvier 2018 dans une communication entre deux individus pour désigner les enfants que l’aide sociale à l’enfance (ASE) du Nord a placés chez eux, en toute illégalité. Au total, 19 personnes seront jugées du 14 au 18 octobre prochain, au tribunal judiciaire de Châteauroux, pour avoir accueilli des dizaines de mineurs sans autorisation officielle. Aucune n’avait obtenu l’agrément nécessaire du département.

Durant sept ans, de 2010 à 2017, l’ASE du Nord – mais aussi celle de l’Essonne – va pourtant envoyer des enfants séjourner chez ce groupe de connaissances, d’amis et de membres de mêmes familles situés dans l’Indre, la Creuse et la Haute-Vienne.La« La clique du Nord » : la formule fait froid dans le dos. Elle est utilisée le 24 janvier 2018 dans une communication entre deux individus pour désigner les enfants que l’aide sociale à l’enfance (ASE) du Nord a placés chez eux, en toute illégalité. Au total, 19 personnes seront jugées du 14 au 18 octobre prochain, au tribunal judiciaire de Châteauroux, pour avoir accueilli des dizaines de mineurs sans autorisation officielle. Aucune n’avait obtenu l’agrément nécessaire du département.

Durant sept ans, de 2010 à 2017, l’ASE du Nord – mais aussi celle de l’Essonne – va pourtant envoyer des enfants séjourner chez ce groupe de connaissances, d’amis et de membres de mêmes familles situés dans l’Indre, la Creuse et la Haute-Vienne. (...)

Plus effarant encore, comme l’a révélé la cellule investigation de Radio France le 29 septembre 2024, de nombreuses alertes remontent à la direction du service de l’aide sociale et au département du Nord au fil des ans, sans que ces derniers cessent de livrer ces enfants à ce groupe d’individus aujourd’hui poursuivis. (...)

Au total, neuf chefs d’accusation ont été retenus contre les prévenus : violences en réunion, soumission de mineurs à des conditions de logement indignes, administration de substances nuisibles, exécution d’un travail dissimulé en bande organisée, accueil collectif de mineurs à caractère éducatif sans déclaration préalable, faux en écriture, usage de faux en écriture, et soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de l’impôt, dissimulation de sommes et fraude fiscale.

Ces placements illégaux ne prennent fin qu’en septembre 2017, lorsque Mathias, un des mineurs placés au sein de ce réseau, est admis aux urgences avec un traumatisme crânien. Interrogé par l’équipe hospitalière, le jeune garçon lève le voile sur les maltraitances qu’il subit dans le cadre de ce système illégal.

Lors de leurs auditions, une vingtaine d’autres mineurs se joignent à ses accusations. Certaines, nombreuses, sont d’ordre sexuel et n’ont pas été retenues pour le procès, comme le divulgue Mediapart dans cette enquête. (...)

Des « gifles », des « coups de boule », « de poing », « de pied » ou encore « de cravache » : voici le type de dénonciation que l’on retrouve tout au long de cet épais dossier judiciaire. Au fil de l’enquête, des enfants rapportent aussi des « strangulations », des « serrages violents et répétés des parties intimes » ou encore des humiliations : on leur « pisse dessus », on leur met « la tête dans la cuvette des toilettes ».

Des violences, la plupart du temps, commises par les deux hommes à la tête de ces « familles d’accueil » illégales, qu’ils reconnaissent pour la majorité. (...)

beaucoup d’enfants étaient soumis à des travaux forcés. La rénovation de la maison de Julien, notamment : couler du ciment, creuser des tranchées, porter des pierres, le tout sans équipement de sécurité, comme le concède le propriétaire.

Des chantiers que quelques-uns avaient bien du mal à assurer, car également soumis à des surdosages de médicaments (des neuroleptiques, des antidépresseurs, des anxiolytiques). Des traitements obtenus par certaines familles d’accueil de la part de deux médecins n’ayant pourtant jamais vu les enfants ou grâce à des ordonnances falsifiées, comme le relève le dossier judiciaire.

Une forme de dressage sexuel

En 2017, Bruno, l’un des prévenus, a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles incestueux commis en récidive entre 2012 et 2017, après une première condamnation en 2006, pour des faits commis sur sa fille mineure, entre juillet 1995 et septembre 2000.

Plusieurs enfants placés auraient été témoins de ces faits d’inceste. (...)

« Les enfants ont été entendus, ils ont révélé de manière prédominante ces faits sexuels, et c’est tout. Ça s’est arrêté là. Or, on aurait pu passer à un dossier criminel », déplore l’avocate Myriam Guedj Benayoun, de l’association ASE, pour Avocats au secours des enfants. « Il y avait pourtant, en outre, d’autres éléments qui méritaient de se pencher sur ce volet », complète son confrère Jean Sannier.

L’avocat fait ici référence au casier judiciaire de Bruno, mais aussi d’un autre membre du groupe de ces familles d’accueil. Antoine, le père de Julien, poursuivi dans cette affaire pour huit chefs d’accusation, a lui aussi accueilli des enfants alors qu’il lui était formellement interdit de le faire au vu de ses antécédents judiciaires. En 2007, il avait été condamné pour agressions sexuelles sur des mineurs placés chez lui deux ans plus tôt. Il sera à nouveau poursuivi, cette fois pour viol sur une autre jeune fille placée, en 2015.

Autre grande incompréhension autour de ce procès : pourquoi l’aide sociale à l’enfance du Nord et donc le département dont dépendent ses services ne sont-ils pas appelés à la barre ? Il ressort pourtant du dossier judiciaire, que la hiérarchie n’a pas rempli son rôle de vérification et de contrôle des familles – rappelons-le sans agrément –, chez lesquelles elle a placé ces enfants pendant sept ans. La directrice de l’ASE s’en explique d’ailleurs devant les enquêteurs, indiquant qu’une « relation de confiance s’était établie » avec Julien, « conduisant à un défaut de vigilance ».

Pourtant, pas moins de cinq signalements et onze notes internes – rédigés par des personnels hospitaliers ou des membres de l’ASE, pour la plupart des éducateurs –, faisant état de différentes violences rapportées par les enfants, ont également été remontés à la hiérarchie de l’époque, comme l’atteste le dossier judiciaire.

Des alertes auxquelles peut s’en ajouter une supplémentaire, que nous avons pu consulter, sans que la directrice en fasse part aux policiers lors de ses dépositions. (...)

Cette activité, totalement illégale, a par ailleurs été rentable pour ces familles adoubées par l’ASE : 630 000 euros, directement versés par le département du Nord, pour l’accueil de 60 enfants en sept ans. Des sommes jamais déclarées aux services fiscaux, et pour certaines déposées sur des comptes en Roumanie, où Julien et Bruno projetaient d’ouvrir une nouvelle structure d’accueil.

Mathias, Angelina et Maeva se rendront au procès, du 14 au 18 octobre prochain. Les autres victimes de l’affaire restent quant à elles, pour la plupart, introuvables. Des enfants sortis des radars de l’aide sociale à l’enfance à 18 ans, que l’association Innocence en danger voudrait pouvoir accompagner devant les tribunaux, et même après, explique sa présidente, Homayra Sellier. (...)