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Mediapart
Groupes de niveaux, redoublement, brevet : Gabriel Attal torpille le collège unique
#Attal #Pisa #EducationNationale
Article mis en ligne le 11 décembre 2023
dernière modification le 10 décembre 2023

Faisant fi de plusieurs travaux de recherche, le ministre de l’éducation nationale attaque de front le collège unique en mettant en place des groupes de niveaux. Avec un objectif : renforcer les élèves en maths et en français. Et se replacer dans la course internationale.

Poussé par les résultats, tombés mardi 5 décembre 2023, de l’enquête internationale Pisa, qui montre une vraie dégringolade du niveau des petit·es Français·es en mathématiques, Gabriel Attal avance dans sa transformation du système éducatif, sabre au clair. Le ministre tranche même dans le vif des plus redoutables polémiques du monde éducatif. (...)

C’est par un courriel envoyé aux enseignant·es et lors d’une conférence de presse que le ministre de l’éducation a fait ses annonces. Le redoublement est décrié ? Il sera rétabli, en primaire notamment. Les groupes de niveaux au collège divisent ? Il confirme leur mise en place de la sixième à la troisième d’ici à deux ans. Les notes stressent les élèves et les démotivent ? Elles reprennent le pouvoir dans le déroulé du brevet, quitte à refaire de cet examen un véritable « couperet » avant l’entrée en lycée. « J’aurais pu mettre l’intérêt politique au-dessus de celui de l’école, avoir peur des débats, mais je ne veux céder à aucune forme de facilité, a déclaré Gabriel Attal. Il y a des urgences à régler sans délai et l’école en est une. » (...)

Sans doute sincère dans son engagement, Gabriel Attal n’en est pas moins un redoutable animal politique. Il sait parfaitement ce que veut entendre une bonne partie de l’échiquier politique (et notamment à droite), connaît la frustration d’une part non négligeable des professeur·es ainsi que celle de nombreux parents d’élèves, autant d’auditoires qu’il a pris soin de cajoler en plaidant la fin du « déni ».

Il a ainsi redit son souhait que l’école soit « synonyme d’effort » mais aussi sa volonté de rétablir « l’autorité pédagogique », le tout afin de conserver l’adhésion des Français « les plus modestes et des classes moyennes », ces « classes moyennes qui financent par leur travail les impôts et les services publics mais qui n’ont plus confiance dans le système et qui scolarisent leurs enfants dans le privé ».

Pas question pour autant d’endosser seul le poids d’un système en déliquescence (...)

Les critiques de Pisa sur le collège seraient d’ailleurs à imputer aux réformes de 2013, a glissé le ministre, taclant au passage Vincent Peillon, à cette époque ministre de l’éducation nationale sous François Hollande.

Remise en cause du collège unique (...)

Gabriel Attal a déclaré à plusieurs reprises vouloir s’appuyer sur la « science » pour mener sa petite révolution. De fait, la science avance des hypothèses plutôt à rebours de ce qui est prôné désormais par le ministère, et en premier lieu sur l’intérêt des groupes de niveaux en maths comme en français. Mais le ministre persiste et signe. (...)

« Les groupes de niveaux, cela marche super bien pour les meilleurs mais pour les plus fragiles, c’est la meilleure façon de les enfoncer. » Sylvain Connac, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation (...)

« Beaucoup de mes collègues d’ailleurs le disent, ils ont du mal à gérer la très grande hétérogénéité dans leurs classes. Mais on fantasme complètement l’homogénéité, il faut surtout changer de paradigme pédagogique. » En clair, apprendre à enseigner différemment, favoriser la coopération par les pairs, croit cet enseignant qui plaide pour une forme « d’imprégnation » entre élèves et pour le tutorat, des techniques qu’il met en œuvre dans ses cours. (...)

Gabriel Attal veut aussi revenir à la possibilité de redoublement en primaire, là encore à rebours de plusieurs études sur le sujet. (...)

La liberté… sous contrainte

Autre paradoxe, celui de la liberté pédagogique. Là encore, le ministre s’est dit très attaché au principe, tout en annonçant une remise à plat des programmes de primaire et en langue au collège pour inclure plus « d’indicateurs » et « d’évaluations repères », ainsi qu’une toute nouvelle labellisation des manuels de français et de mathématiques en CP et CE1.

Seront promus ceux qui s’appuient sur la « science et la pratique », a dit le ministre, glissant au passage un hommage à Stanislas Dehaene, président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, un organisme critiqué pour son fort tropisme pour les sciences cognitives, au détriment d’autres approches en éducation.

Enfin, la méthode dite de « Singapour » en mathématiques devrait s’imposer en primaire, collège et lycée. La cité-État est arrivée en tête du classement Pisa une nouvelle fois cette année. (...)

Ce qui n’empêche pas les préventions, rappelle Pierre Priouret. « Rendre les mathématiques plus concrètes n’est pas une mauvaise chose, mais si la méthode Singapour marche si bien, c’est parce qu’elle est appliquée dans un contexte très particulier, celui d’un pays où la pression sociale à la réussite scolaire et en maths en particulier est très forte, ce qui induit parfois des cours privés complémentaires, et massacre certains enfants. »
Une nouvelle épreuve au lycée

Même si le collège, considéré comme « l’homme malade » du système, était au cœur de ces annonces, quelques changements s’annoncent au lycée. Une nouvelle épreuve de mathématiques devrait voir le jour en première, sur le modèle du « bac français », une idée « sortie du chapeau » dans la dernière ligne droite, confirment plusieurs observateurs du processus de concertation ayant précédé le discours de Gabriel Attal.

Il s’agit, là encore, de répondre au classement Pisa et aux inquiétudes grandissantes des mondes universitaire et professionnel sur les capacités des jeunes Français·es en la matière, ainsi que le décrochage entre les filles et les garçons – dix points d’écart dans le classement Pisa. Sur quel contenu ? L’enseignement des mathématiques a été détricoté… sous le précédent mandat d’Emmanuel Macron, remplacé par un enseignement scientifique de tronc commun où elles restent, malgré un correctif cette année, en portion congrue. (...)

Enfin, le ministre a vanté la mise en œuvre d’un outil numérique qui s’appuie sur l’intelligence artificielle mis à la disposition des classes de seconde pour réviser les mathématiques depuis la maison dès la rentrée 2024. « Un logiciel souverain », premier « au monde », a vanté Gabriel Attal. (...)

Il s’agit, là encore, d’un paradoxe : il y a six jours, évoquant le temps passé devant les écrans des enfants et des adolescent·es, Gabriel Attal s’alarmait dans une interview à Madame Figaro d’une possible « catastrophe sanitaire et éducative » à venir.