Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Gouvernement Lecornu : l’ultime affront
#France #gouvernement #Macron
Article mis en ligne le 6 octobre 2025

Sourd à la censure de son gouvernement précédent, Emmanuel Macron a renommé une équipe quasi-identique et rappelé Bruno Le Maire. Au-delà même d’une chute qui semble inéluctable, la crise politique prend une dimension nouvelle. Déjà, Bruno Retailleau et LR menacent de claquer la porte.

(...) Les principaux ministres balayés par la représentation nationale le redeviennent à la faveur d’un décret présidentiel annoncé, sur le perron de l’Élysée, dimanche 5 octobre en début de soirée : Bruno Retailleau, le président du parti Les Républicains (LR), à l’intérieur, Rachida Dati à la culture, Gérald Darmanin à la justice, Élisabeth Borne à l’éducation, Catherine Vautrin aux affaires sociales, Jean-Noël Barrot aux affaires étrangères, Agnès Pannier-Runacher à la transition écologique…

Rien ne compte. Ni les élections législatives de 2022, qui ont vu le camp présidentiel perdre sa majorité absolue ; ni les élections européennes de 2024, qui ont vu les soutiens du chef de l’État engranger un score historiquement bas (14,6 %) ; ni les élections législatives de la même année, provoquées par la dissolution et marquées par la défaite de la majorité sortante ; ni la chute, par deux votes de l’Assemblée en décembre 2024 et septembre 2025, des gouvernements bricolés par le chef de l’État en coalition avec LR. (...)

Rien ne compte, sinon la mue d’un camp en clan, dont la dernière ambition commune semble être la survie politique. Conserver le pouvoir coûte que coûte, encore un peu, quelques jours, quelques semaines ; même minoritaire, même désavoué. Plus recroquevillée que jamais, la coalition du centre et de la droite prend le risque de voir se décomposer, en même temps qu’elle, les institutions de la Ve République et le lien de confiance, déjà mal en point, entre la société et son élite dirigeante.
Le Maire, Woerth et les autres

Faute de références politiques, tant l’inconséquence du pouvoir explore des sentiers inconnus, c’est la poésie qui vient à l’esprit. Celle de Rimbaud et son Bateau ivre : « La tempête a béni mes éveils maritimes/Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots. » Au milieu de la tempête démocratique, Emmanuel Macron ne semble pas moins léger que le personnage rimbaldien.

Le président de la République danse, lui aussi. Quand des personnalités de plus en plus nombreuses appellent à sa démission pour débloquer la vie politique, il nomme un de ses plus proches, Sébastien Lecornu, à Matignon. Quand huit années d’une politique fiscale pro-riches placent le pays dans une situation d’endettement record, il rappelle son ancien ministre de l’économie, Bruno Le Maire, pour gérer l’armée et les questions de défense.

Tant pis si une commission d’enquête parlementaire a établi en avril 2025 les erreurs et les dissimulations dont il s’est rendu coupable à Bercy. Tant pis car rien ne compte, pas même un certain rapport à l’éthique et à la vérité. Sinon, comment comprendre le retour d’Éric Woerth, quinze ans après sa dernière expérience gouvernementale ? Le député de l’Oise est nommé ministre de l’aménagement du territoire, de la décentralisation et du logement. (...)

Tant pis s’il était le trésorier de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, si un jugement en appel doit faire suite à la relaxe prononcée à son sujet le 25 septembre dernier dans l’affaire libyenne. Dans cette affaire, Éric Woerth s’en sort pour le moment sans condamnation et demeure présumé innocent. Pour ce qui est de l’honneur et de l’éthique, en revanche, le bilan est moins flatteur.

Après avoir tenté de faire croire que les dizaines de milliers d’euros d’argent liquide retrouvés dans la campagne émanaient de dons anonymes reçus par La Poste, Éric Woerth s’est vu rétorquer par le tribunal que ses justifications ne méritaient « aucun crédit » et étaient « dénuées de toute crédibilité ». Le voilà ministre de la République, dans un gouvernement où continue de figurer Gérald Darmanin, garde des sceaux qui a rendu visite à un ancien président de la République juste après sa condamnation pour association de malfaiteurs. (...)

Pendant des jours, les partis de la coalition au pouvoir ont négocié, menacé de claquer la porte. L’ancien socialiste François Rebsamen, après neuf mois passés à gouverner aux côtés de Bruno Retailleau, a signifié son départ « au nom de [ses] convictions d’homme de gauche ».

Le président de LR a exigé, au nom de ses convictions d’homme de droite, d’obtenir la main sur la politique des visas et la nomination de deux de ses proches. Il n’a rien obtenu de tout cela mais il a accepté tout de même, à l’issue d’un long week-end de tractations avec ses élu·es, d’entrer.

En réalité, tout aurait dû pousser Sébastien Lecornu à présenter sa démission avant même de former son gouvernement. (...)

Fin août 2024, Emmanuel Macron affirmait refuser la nomination de Lucie Castets, candidate désignée par l’alliance de gauche, car « la stabilité institutionnelle » de la France « [imposait] de ne pas retenir cette option ». Des propos qui prêtent à sourire, à présent que la stabilité institutionnelle incarne un horizon inaccessible au camp macroniste.

Il suffit d’écouter les réactions des oppositions pour estimer l’espérance de vie du gouvernement Lecornu. « Les bras m’en tombent », a commenté sur X Marine Le Pen, la cheffe de file du Rassemblement national (RN), dénonçant un casting « pathétique ». Son allié Éric Ciotti, président de l’Union des droites pour la République (UDR), y a vu un « bras d’honneur aux Français ».

À gauche, Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise (LFI), a interrogé dans une note de blog : « Comment croire que puisse bien finir une telle séquence d’abus de pouvoir ? Un homme seul, le président de la République, ne reconnaît plus aucun pouvoir ni autorité au peuple souverain ni à ses représentants ? Tout cela est tellement invraisemblable ! » Boris Vallaud, président du groupe PS à l’Assemblée nationale, a quant à lui déploré « l’obstination » des « macronistes […] qui plonge chaque jour un peu plus le pays dans le chaos ». (...)

Déjà, on se demande combien de jours durera un édifice aussi bancal. Mais c’est peut-être l’aspect le plus anecdotique à tirer de ce 5 octobre. Car, une fois que ce gouvernement de morts-vivants aura été balayé, ce sont les effets secondaires du bras d’honneur d’Emmanuel Macron qu’il faudra surveiller. Il n’est pas question ici seulement du budget 2026 mais de l’état de la démocratie française, après avoir été mise à mal avec autant de soin par celles et ceux censé·es en faire vivre l’esprit.

Voir aussi (le Parisien)⬇️