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Fumier humain et résidus industriels sur nos terres
#agriculture #biosolides #pollution #PFAS
Article mis en ligne le 14 octobre 2024
dernière modification le 11 octobre 2024

"Biosolides" est le nom pour désigner les boues issues du traitement des eaux usées municipales ou industrielles. Ces boues d’épuration sont offertes gratuitement aux agriculteurs et sont aussi une source d’économies pour les villes, qui évitent leur enfouissement, en plus de diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais le Maine vient d’interdire cette pratique après la découverte de champs contaminés.

Des litres de lait coulent sur le sol jusqu’au centre de la pièce, en direction des égouts. L’agriculteur Fred Stone est silencieux. Il a repris la ferme familiale à Arundel, dans le sud du Maine, en 1977. Il est la quatrième génération, et probablement la dernière, à cultiver cette terre, parce qu’en 2016, il a appris que son eau était contaminée, tout comme ses champs et le lait de ses vaches.

Il cultivait du maïs et du foin pour nourrir ses animaux. Comme de nombreux agriculteurs québécois et d’ailleurs dans le monde, il a été séduit par les avantages économiques de l’utilisation des boues d’épuration pour remplacer les engrais ou les fumiers animaux. Ces matières résiduelles ont des propriétés fertilisantes indéniables. Elles contiennent du phosphore, de l’azote, du potassium, du carbone, beaucoup de matière organique, etc. Autrement dit, de quoi nourrir les plantes, les faire pousser, et améliorer la structure des sols et la rétention de l’eau. (...)

Une fois la matière organique enterrée, sa décomposition émet du méthane, qui a un pouvoir réchauffant plus de 20 fois supérieur à celui du CO2. Alors que si elles sont incorporées au sol avec de l’oxygène, elles vont entrer dans le cycle naturel du carbone sans engendrer de GES.

D’après le dernier inventaire québécois des émissions de GES (Nouvelle fenêtre), le secteur des déchets constitue le cinquième émetteur anthropique de GES de la province. L’enfouissement des déchets municipaux en est la principale source. Il est responsable d’environ 4 % du total des émissions de GES du Québec.

Des agriculteurs en confiance

Actuellement, dans la province, la valorisation agricole des boues d’épuration municipales ou industrielles est encadrée par le ministère de l’Environnement du Québec (MELCCFP) et recommandée par des agronomes. Des milliers d’agriculteurs québécois remplacent ainsi leurs engrais chimiques, fumiers ou lisiers animaux, voire leur chaux, par ces boues sur environ 1 % des terres agricoles de la province. (...)

En plus des biosolides municipaux, une multitude de boues sont disponibles pour enrichir les sols, comme des boues industrielles de papetières, de désencrage, agroalimentaires, d’abattoirs, des cendres, des boues séchées et granulées, etc.

Il est cependant interdit d’épandre des biosolides, quels qu’ils soient, sur des cultures destinées à l’alimentation humaine. Seuls les granules résiduels de la Ville de Laval font exception, parce qu’ils sont certifiés par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ), qui réalise plus de contrôles de qualité de la matière.

Ces matières résiduelles fertilisantes sont ensuite distribuées en fonction de la proximité géographique de l’agriculteur et de l’intérêt agronomique. (...)

Gestion privée des boues

Comme aux États-Unis, ce sont des entreprises privées qui font l’intermédiaire entre les stations d’épuration, ou les industries, et les agriculteurs. Elles sont payées par le générateur de matières résiduelles fertilisantes pour identifier les potentiels agriculteurs receveurs et assurer la livraison (...)

Parfois, les agriculteurs sont même payés pour épandre les boues, quand l’odeur est forte, par exemple.

Contrôles qualité

La qualité des boues et les chantiers d’épandage doivent être conformes aux exigences du Guide sur le recyclage des matières résiduelles fertilisantes (Nouvelle fenêtre) du MELCCFP, qui date de 2015.

La qualité des biosolides est contrôlée en amont de l’épandage, selon quatre critères voués à protéger l’humain et l’environnement. (...)

En fonction des résultats, la boue sera valorisable ou non en agriculture et devra être épandue selon des règles précises, comme des distances à respecter avec les maisons voisines.

Si les règles du ministère ne sont pas respectées, il y a des risques de contaminer l’environnement. (...)

Les entreprises gestionnaires des boues accréditées (...)

Le ministère de l’Environnement ne vérifie pas les résultats des analyses avant l’épandage. Parce que, dans plus de 99 % des cas, les agronomes qui gèrent les boues n’ont pas à demander d’autorisation, ils doivent seulement prévenir 10 jours avant le chantier d’épandage par avis de projet. (...)

depuis 2017, le ministère a fait 712 inspections aléatoires, toutes matières résiduelles confondues, non liées à des plaintes. Et il a constaté 205 avis de non-conformité. Autrement dit, près d’une inspection sur trois révèle un non-respect des règles, qu’il s’agisse d’un formulaire mal rempli ou d’un épandage trop proche d’un puits artésien ou d’une maison.

Mais ces inspections englobent aussi bien des chantiers d’épandage de boues d’épuration que de fumiers et de composts. Autrement dit, dans ses chiffres, le ministère ne fait pas de distinction entre les matières. (...)

Fred Stone, lanceur d’alerte malgré lui

C’est il y a six ans, le 3 novembre 2016, que le monde de Fred Stone a basculé. Ce jour-là, le service des eaux de la Ville de Kennebunk informe M. Stone que son eau est fortement polluée par des produits chimiques dits éternels, des PFAS. Deux fois plus que la limite recommandée par l’Agence fédérale de protection de l’environnement des États-Unis, qui est de 70 ng/ml à l’époque. (...)

Après la découverte de son eau contaminée lors d’un contrôle de routine de la municipalité de Kennebunk, il décide de prévenir l’État et la laiterie qui achète son lait. Des analyses plus poussées sont alors entreprises par le gouvernement dans l’eau et dans le lait de ses vaches. (...)

Les résultats sont éloquents : les vaches de M. Stone produisent du lait qui contient 20 fois plus de PFAS que ce qui était recommandé dans l’eau potable à l’époque. Dès lors, la laiterie locale décide de ne plus acheter son lait. Fred Stone perd la majeure partie de ses revenus.
Le Maine, premier État à légiférer

Puis il apprend que ses sols sont contaminés aussi. Après plusieurs mois d’analyses, le gouvernement conclut que cette contamination est due à des épandages de boues d’épuration, pourtant terminés depuis 2004. Plus de 700 sites au Maine (Nouvelle fenêtre) ont déjà reçu des épandages de boues d’épuration municipales ou industrielles. Le gouvernement teste en priorité les terres agricoles et celles où des gens vivent à proximité.

En 2022, le Maine a légiféré (Nouvelle fenêtre) pour bannir l’épandage de boues municipales ou industrielles sur tout le territoire. Cette interdiction est entrée en vigueur en août 2022 et fait du Maine le premier État à interdire cette pratique.

Cette décision fait suite aux résultats des différentes analyses de PFAS réalisées par le gouvernement à l’échelle de l’État, dans les boues, le sol, l’eau, le lait, les bovins et les humains.

Il s’avère que toutes les boues municipales et les composts dérivés de ces boues contenaient des PFAS. (...)

Les effets des PFAS sur la santé

Cette contamination a aussi des conséquences sur la santé des agriculteurs, chez qui on retrouve de plus fortes concentrations sanguines de PFAS que la moyenne. Les humains sont exposés à ces contaminants par inhalation et ingestion de nourriture ou d’eau contaminées.

Les effets sur la santé (Nouvelle fenêtre) sont connus depuis des années, et ont été révélés au grand public par le scandale DuPont dans les années 2000, alors que l’entreprise tentait de cacher les effets néfastes touchant des ouvriers et ouvrières qui travaillaient avec le téflon.

Ces contaminants se bioaccumulent dans le corps et ont des effets à long terme sur la santé (...)

dans nos eaux usées, nous ne rejetons pas seulement de l’azote et du phosphore, mais aussi des produits chimiques, pharmaceutiques, cosmétiques, plastiques, microplastiques, ainsi que des contaminants d’intérêt émergent, comme les PFAS. (...)

De la boue sur les bras

Depuis l’interdiction d’épandre des boues d’épuration municipales ou industrielles au Maine, en août 2022, nos collègues de l’émission Enquête ont découvert que des tonnes de boues américaines sont importées au Canada pour différentes utilisations. (...)

Lire aussi :

 (CNRS)
Une nouvelle méthode d’analyse des biosolides basée sur l’imagerie par spectrométrie de masse

(...) Depuis quelques années, un intérêt croissant existe pour l’utilisation de ces biosolides dans des applications d’ingénierie (fabrication de briques et ciments) ou en agro-foresterie par exemple. La réutilisation de ces biosolides nécessite leur analyse préalable pour vérifier l’absence de composés nocifs pour l’environnement ou la santé humaine. Parmi ces composés, les métaux lourds et les polluants organiques persistants sont les plus surveillés, la présence et l’abondance de certains d’entre eux étant limitées par des réglementations nationales ou internationales.

Cependant, l’analyse de ces métaux lourds et polluants organiques persistants demande (i) de grandes quantités de biosolides, (ii) une diversité d’instruments analytiques, (iii) des temps de préparation d’échantillon relativement longs et (iv) l’utilisation de produits dangereux (acides forts) ou de hautes températures. Tous ces éléments limitent les possibilités d’analyse routinière des biosolides avant leur utilisation.

Dans une nouvelle étude publiée dans le journal Nature Communication, les membres de la plateforme PIMS dirigée par Dimitri Heintz ont développé une nouvelle méthode d’analyse de ces biosolides basée sur la technique de l’imagerie par spectrométrie de masse. Cette technique ne nécessite que très peu de matériel de départ (1g suffit), la préparation des échantillons prend moins de 2h, ne nécessite pas de chauffage important ou l’utilisation d’acides dangereux. Un seul instrument analytique est nécessaire pour obtenir les résultats. Ainsi, la méthode proposée permet d’envisager des criblages rapides et réguliers des métaux lourds et des polluants organiques persistants dans les biosolides, mais aussi dans tout autre échantillon de type sol ou compost.

 (pmarketresearch.)
Rapport d’étude de marché sur la gestion des biosolides dans le monde et en France