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le Devoir
Fiston, j’ai eu tort - La dégradation de la démocratie dans notre société m’inquiète, mais elle m’apparaît aujourd’hui comme le symptôme d’un problème plus important.
#democratie #collectif
Article mis en ligne le 29 octobre 2024
dernière modification le 21 octobre 2024

Il y a environ deux ans, dans les pages de ce même Devoir, je m’inquiétais de la fragilité de notre démocratie et j’en faisais une priorité d’action. Je ne suis toujours pas rassurée quant à sa survie, mais je comprends que je m’étais trompée de cible. La dégradation de la démocratie dans notre société m’inquiète, mais elle m’apparaît aujourd’hui comme le symptôme d’un problème plus important. (...)

dans mon texte de 2022, je résumais un peu trop rapidement la démocratie, et ma description des observations reliées à sa fragilisation « tournait autour du pot ». J’y parlais d’élection de représentants chargés de gouverner le bien commun selon l’intérêt général. J’y affirmais aussi que l’évaluation de la qualité de nos démocraties ne pouvait pas reposer que sur la satisfaction de nos préférences individuelles. J’écrivais cela sans avoir le courage d’aller au bout de cette pensée.

La démocratie repose sur une idée toute simple que c’est le choix de la majorité qui guidera pendant les quelques années suivantes le mandat des gouvernants. La majorité est constituée de la plus grande partie de la collectivité, c’est une forme de « nous ». Fiston, c’est ce « nous » collectif que je n’observe plus dans la société. Bien sûr, je vois des sous-groupes rassemblés autour d’intérêts individuels partagés — des libéraux, des péquistes, des caquistes, des souverainistes, des fédéralistes, des anti-science, des anti-religion, des anti-immigration, des anti-establishment, des pro-vie, des pro-vaccins, des pro-médecines naturelles, des pro-armes, des pro-transport collectif…

Je les vois, ces sous-groupes, revendiquer haut et fort la légitimité de leurs intérêts et leur nécessaire importance dans la gouverne de nos sociétés. Je les entends aussi généralement expliquer que, depuis si longtemps, ils sont ignorés ou discriminés et demandent maintenant justice.

Ne dit-on pas que la grandeur d’une société s’évalue à la façon dont elle traite ses minorités ?

Je comprends l’argumentaire de plusieurs de ces sous-groupes, que je les partage ou pas. Or, cette fragmentation des intérêts en opposition, voire en conflit, semble entraîner cette polarisation dans laquelle nous sommes entraînés depuis un certain temps. Des tensions qui ne font qu’amplifier et accentuer le repli sur le sous-groupe qui leur ressemble par opposition à ce collectif très diversifié qui demande un effort d’adhésion. (...)

Depuis quelques années, j’entends des personnes autour de moi qualifier de « niaiseuses » ces personnes qui sont juste gentilles et généreuses de façon désintéressée. Pire, ces personnes généreuses se feraient « fourrer » puisque d’autres profiteraient de leur faiblesse. Dans ces conditions, aussi bien s’en tenir à nos propres intérêts individuels.

Bien sûr, fiston, tu me diras que l’humain a toujours été l’humain. Une espèce guidée par ses émotions, ses plaisirs et ses intérêts. Je ne te contredirai pas sur ce point, mais que s’est-il passé alors ? Tu le sais, je suis un pur produit des politiques sociales québécoises. Nous sommes nombreux au Québec à avoir vu notre vie modifiée grâce à un soutien étatique rendu possible uniquement par la solidarité anonyme des contribuables. (...)

Est-ce que ces générations étaient plus solidaires ou moins préoccupées de leurs intérêts personnels ? Étaient-elles niaiseuses de contribuer à un large « nous » ? Je crois surtout qu’elles étaient moins individualistes ou, du moins, elles se sentaient moins légitimes de faire passer leurs besoins individuels devant ceux de la collectivité. Un peu comme ces personnes qui demandent aujourd’hui pourquoi elles doivent encore payer des taxes scolaires puisque leurs enfants ne vont plus à l’école… (...)

Et si on ouvrait notre tout petit « nous » de personnes qui apparaissent identiques, vers un « nous » plus grand, qui embrasse des humains à comprendre et à découvrir sans crainte, que se passerait-il ? Il y a une possibilité, il me semble, que nous nous y ressentions comme une envie de contribuer à plus grand que soi.

Finalement, fiston, je souhaite que l’on retrouve individuellement la fierté de contribuer à notre collectivité, l’humilité de se savoir porteur et porteuse de l’espoir de ceux qui nous ont précédés et la générosité de travailler à la suite de notre histoire collective pour ceux qui suivront quand nous n’y serons plus. Que le bien-être de la collectivité soit valorisé à la hauteur du bonheur de l’individu que l’on valorise tant actuellement. (...)