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Mediapart
Fin du droit du sol à Mayotte : une rupture fondamentale
#Mayotte #nationalité #droitdusol #diversite #identites #extremedroite #Darmanin #Macron
Article mis en ligne le 13 février 2024
dernière modification le 12 février 2024

En annonçant vouloir réviser la Constitution pour mettre fin au droit du sol à Mayotte, Emmanuel Macron prend une décision contraire à notre histoire, dangereuse pour nous tous et inefficace au regard de son objectif de limiter l’immigration irrégulière.

Jusqu’où ira-t-il pour complaire à l’extrême droite ? Par la voix de son ministre de l’intérieur en visite à Mayotte, le président de la République a annoncé, dimanche 11 février, qu’il allait « prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte ». « Il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même enfant de parents français et nous couperons ainsi littéralement l’attractivité qu’il peut y avoir dans l’archipel mahorais. Il ne sera donc plus possible de venir à Mayotte de façon régulière ou irrégulière, de mettre un enfant au monde ici et d’espérer devenir français de cette façon », a précisé Gérald Darmanin.

Après sa tentative avortée d’instaurer une dose de préférence nationale en France dans la loi immigration votée en décembre, l’exécutif s’en prend désormais frontalement à un autre totem de l’architecture juridique de notre pays, le droit du sol, qui fonde en France le droit de la nationalité depuis 1889.

Et pour être certain que cette mesure, à la différence du conditionnement des prestations sociales à la durée de présence sur le territoire, retoqué par le Conseil constitutionnel en janvier 2024, ne soit pas considérée comme inconstitutionnelle, le chef de l’État affirme cette fois-ci vouloir réviser la Constitution, comme Marine Le Pen le lui a demandé à propos de la priorité nationale. (...)

Emmanuel Macron est prêt à toucher au cœur du réacteur de notre pays, au risque de mettre en cause deux de nos principes fondamentaux : l’indivisibilité de la République et l’égalité des citoyens et citoyennes. C’est à la fois contraire à notre histoire, dangereux et inefficace. (...)

Dans son sens juridique de lien entre des individus et un État, elle s’impose au XIXe siècle, mais, comme le rappelle l’historien Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la question, la jurisprudence des tribunaux ayant trait aux conflits successoraux considérait dès le XVIe siècle qu’une personne née et résidant en France était française, sans qu’il lui soit nécessaire d’être née de parents français. Après une parenthèse de 1803 à 1889, le droit du sol, dans sa conception républicaine, fait son retour et s’ajoute au droit du sang.

Le Code civil encore en vigueur est un mixte des deux : il prévoit qu’est français à la naissance tout enfant dont au moins un des parents est français (c’est le « droit du sang »), ainsi que tout enfant né en France dont au moins un des parents est né en France (c’est ce qu’on appelle le « double droit du sol »). Il dispose également que la nationalité est attribuée à la majorité à tout enfant né en France de deux parents étrangers (c’est le « droit du sol »), à condition qu’il réside en France à la date de ses 18 ans et qu’il y ait eu sa résidence habituelle pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans.
Le précédent mahorais

À Mayotte, déjà, ce droit a fait l’objet d’une limitation... lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. (...)

En juin de cette année-là, dans un discours consacré aux outre-mer, le président expliquait qu’il ne comptait pas aller plus loin : « Il s’agit de préserver le droit du sol, qui est l’un de nos principes fondamentaux, en adaptant ses conditions d’exercice à la réalité de ce territoire. » Le Conseil d’État l’avait soutenu dans sa démarche, en s’appuyant sur l’article 73 de la Constitution, selon lequel, dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». La décision, toutefois, avait été vivement contestée, notamment par le Gisti, association de défense des droits des étrangers, qui rappelait que l’article 73, justement, excluait les lois relatives à la nationalité de son champ d’application.

Emmanuel Macron, donc, contrairement à ce qu’il affirmait il y a moins de six ans, ne compte pas en rester là (...)

Comme l’anticipait Patrick Weil dans un entretien à Mediapart en 2008, on reviendrait à un « régime colonial » à Mayotte, où le droit de la métropole ne s’appliquerait plus aux outre-mer. (...)

il ne faut pas regarder bien loin pour trouver un autre coin que l’exécutif cherche à enfoncer. Lors du débat sur la loi immigration, cet hiver, les parlementaires ont en effet tenté de mettre fin à l’automaticité de l’accès à la nationalité pour l’ensemble des mineur·es né·es en France de parents étrangers (lire notre article). Cette disposition ayant été rejetée par le Conseil constitutionnel, sans doute qu’une réforme de la Constitution pourrait y remédier. (...)

À Mayotte, comme partout en France, l’idée est de faire le tri entre les jeunes, en les renvoyant à leurs origines et à leur ascendance. Et l’on voit revenir en pleine lumière l’idéologie du « grand remplacement », selon laquelle l’augmentation du nombre d’immigré·es dans la population française remet en cause l’« identité nationale ». (...)

Les principes d’égalité des droits et d’unicité du territoire n’ont pourtant pas été inventés pour rien. Il est grand temps de dénoncer les relents de xénophobie et de racisme découlant de leur mise en cause et de prendre conscience des risques que de tels accrocs font prendre à notre République, qui en plus d’être indivisible est plurielle, rappelons-le. Et, ce faisant, du danger qu’ils nous font prendre à nous tous et toutes en tant que citoyens et citoyennes.

Lire aussi :

 (FranceTVinfo)
Fin du droit du sol à Mayotte : le président de la Ligue des droits de l’Homme juge cette annonce "extrêmement dangereuse

(...) Pour Patrick Baudouin, cette annonce "ne pourrait être que censurée par le Conseil constitutionnel".

franceinfo : Est-ce que c’est dangereux selon vous de toucher au droit du sol ?

Patrick Baudouin : Oui c’est évidemment extrêmement dangereux. Il faut rappeler que c’est vraiment une remise en cause d’un droit fondamental qui existe en France depuis 1804 et Napoléon. On avait instauré ce droit du sol à cette époque qui avait ensuite été renforcé en 1851. C’est vraiment un élément fondamental de distinction par rapport au droit du sang. Ensuite, cette mesure annoncée par monsieur Darmanin crée une inégalité très forte entre des territoires ou départements - en l’espèce Mayotte - qui est un département français. En 1974, l’île a fait le choix de rester au sein de la République française en tant que département et là on est en train d’instaurer - si cette mesure était mise en œuvre - une discrimination, une inégalité qui ne pourrait être que censurée par le Conseil constitutionnel. (...)

relancer aujourd’hui ce débat en reprenant la revendication de l’extrême droite et alors qu’on sort de mois de débats délétères sur la loi immigration, ça renforce le RN évidemment.

Y a-t-il une autre possibilité d’éviter de voir autant de ressortissants comoriens venir à Mayotte ?

Il ne s’agit pas de nier l’existence du problème de Mayotte, mais la France a délaissé Mayotte pendant des années. La France a beaucoup tardé. Les aides ont été insuffisantes. Aujourd’hui, prendre une mesure purement discriminatoire et répressive ne résoudra pas totalement le problème. Il y a d’autres méthodes qui permettent de ne pas renier nos principes fondamentaux. Le danger c’est que par capillarité tout cela s’étende. C’est vraiment une spirale régressive. Parmi les autres solutions, ne pas être toujours sur le registre répressif mais aussi sur le registre social.