
Près d’un an après le démarrage des révoltes dans l’archipel, le tribunal administratif de Nouméa a ordonné la suspension des interdictions de manifester qui étaient toujours en vigueur dans plusieurs communes. Jusqu’ici, l’application de ces interdictions était à géométrie variable.
Cela faisait bientôt un an que les rassemblements étaient interdits en Nouvelle-Calédonie. Jeudi 17 avril, à quelques semaines de l’anniversaire des révoltes qui ont éclaté le 13 mai 2024, le tribunal administratif de Nouméa a ordonné la suspension des interdictions de manifester qui étaient toujours en vigueur dans plusieurs communes de l’archipel. Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie avait maintenu cette interdiction par l’adoption de 17 arrêtés successifs, déposés chaque mois pour les mêmes motifs.
Le bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH) avait déposé un recours pour faire annuler la dernière décision qui interdisait les manifestations jusqu’au 30 avril. À l’approche de la mobilisation annuelle du 1er-Mai, « un certain nombre de mouvements, d’organisations politiques ou syndicales souhaitaient organiser des manifestations pour diverses raisons, pour des questions d’aide sociale ou d’accès à l’emploi », explique l’avocat Lionel Crusoé, qui plaidait pour l’association dans ce dossier. (...)
Pour Nathalie Tehio, présidente de la LDH, jamais de telles restrictions n’auraient été décidées en métropole. « Pour moi, c’est un traitement colonial, affirme-t-elle. Et il y a une sorte d’accoutumance : on se dit que c’est normal qu’il y ait un traitement spécifique, que les libertés soient enlevées aux gens dans une colonie. »
Depuis un an, d’autres mesures de restriction ont été contestées par l’association, comme celle de l’interdiction le réseau social TikTok – le Conseil d’État a récemment jugé cette décision « disproportionnée » – ou celle qui avait conduit à « verrouiller » la tribu kanak de Saint-Louis, située sur la commune du Mont-Dore, à une quinzaine de kilomètres de Nouméa.
Deux poids, deux mesures (...)
Pourtant, malgré cette interdiction, des rassemblements se sont bel et bien tenus en Nouvelle-Calédonie ces derniers mois. Celui qui a été organisé par les non-indépendantistes lors du premier déplacement de Manuel Valls n’avait été ni interdit ni puni. Le 22 février, au moins 300 militant·es avaient ainsi répondu à l’appel des responsables politiques loyalistes à se rassembler à Nouméa, où se tenait une cérémonie militaire. Bravant l’interdiction sans trop de mal, ils avaient vivement pris à partie le ministre des outre-mer. (...)
Depuis le démarrage des révoltes, 3 726 interpellations ont été réalisées dans l’archipel, pour la plupart visant des personnes kanak. Le 19 juin 2024, des militants de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), structure politique à l’origine de la mobilisation contre la réforme du corps électoral qui a embrasé l’archipel, avaient été arrêtés, puis placés en garde à vue, avant d’être transférés en métropole pour y être incarcérés loin de chez eux. Parmi eux : Christian Tein, président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), toujours détenu au centre pénitentiaire de Mulhouse (Haut-Rhin). (...)
Autonome depuis 1999 à la suite des accords de Nouméa, la LDH Nouvelle-Calédonie calédonienne n’a pas souhaité se joindre à la procédure de la LDH nationale. « Nous ne renonçons pas à notre libre arbitre, d’autant plus que nous estimons être à tout le moins au cœur d’une situation calédonienne que nous observons jour après jour. C’est pourquoi nous n’avons pas accepté de prendre sur-le-champ la décision de nous rallier à cette initiative de la LDH France », justifie son président Gérard Sarda. Pour autant, il salue la décision du tribunal administratif, se réjouissant que « la liberté pleine et entière de manifester [soit] rétablie en Nouvelle-Calédonie ».
Même parmi les personnes qui militent en faveur des libertés publiques, la peur de nouvelles violences est dans tous les esprits. « Il y a un traumatisme réel de ce qu’il s’est passé en mai 2024, témoigne la présidente de la LDH, Nathalie Tehio, qui a grandi en Nouvelle-Calédonie. Les gens sont en présence physique des destructions et de familles démunies, ils assistent à des procédures qui s’enchaînent, aux expulsions de personnes qui ne peuvent plus payer leur loyer… »