
Alors que la France vient de subir un des feux les plus importants depuis l’après-guerre et essuie déjà une deuxième canicule, François Bayrou et ses ministres persistent dans la procrastination climatique. Une inaction mortifère qui démontre à quel point les canicules sont des catastrophes socialement organisé
Mais que fait le gouvernement ? Le gigantesque incendie qui a dévoré 17 000 hectares de végétation dans l’Aude vient à peine d’être maîtrisé que la France subit déjà son deuxième épisode caniculaire de l’été. Dimanche 10 août, des températures au-dessus de 40 °C ont été enregistrées autour de l’arc méditerranéen, depuis les Pyrénées-Orientales jusqu’au Vaucluse. Douze départements du Sud-Ouest sont classés ce début de semaine en vigilance rouge canicule par Météo-France. Une quarantaine ont été placés en vigilance orange.
D’après Santé publique France, près de 33 000 personnes sont mortes entre 2014 et 2022 dans la France à cause de chaleurs hors normes. Et toujours selon l’organisme étatique, lors de la canicule précoce qui a touché 60 départements hexagonaux fin juin, 480 décès de plus que la normale ont été comptabilisés – soit un excès de mortalité de 5,5 %.
Dimanche, le premier ministre François Bayrou s’est pourtant mollement contenté de déclarer, face à l’effarante montée du mercure : « Pleine reconnaissance aux services de l’État mobilisés, veillons sur nos proches. » (...)
Quelques jours plus tôt, alors que le massif des Corbières était dévoré par des flammes qui ont tué une femme sur leur passage, le chef du gouvernement a, lors d’un déplacement sur place, semblé découvrir l’ébullition planétaire en assurant que ce mégafeu était « lié au réchauffement climatique ».
Le lendemain, celui qui fut pendant plus de quatre ans haut-commissaire au plan – organe censé préparer la France aux défis du futur – a argué devant les caméras : « La longue séquence de réchauffement climatique qu’on est en train de vivre exige qu’on change nos modes de vie. »
Et question mode de vie, François Bayrou est un parangon de vertu. À l’automne dernier, celui-ci avait fait pression auprès de l’ancien gouvernement pour qu’il maintienne la déficitaire liaison aérienne Pau-Orly, alors que neuf trains par jour connectent la cité béarnaise à la capitale. De même, déjà épinglé juste après sa nomination pour ses trajets en avion privé afin d’assister au conseil municipal de sa ville, le locataire de Matignon a pris le 19 juin un jet pour un aller-retour express à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) dans le but d’y vanter les énergies renouvelables.
Vacuité gouvernementale
Face aux impacts des dérèglements climatiques qui frappent de plus en plus durement la France, François Bayrou a préféré ces dernières semaines ne pas prendre de vacances, non pas pour lancer un plan d’urgence climat, mais pour préparer une nouvelle offensive contre les droits des demandeurs et demandeuses d’emploi. Il entend aussi supprimer deux jours fériés pour les salarié·es du public comme du privé, en vue de participer à l’effort budgétaire. (...)
Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a lui aussi apporté sa brique à la vacuité gouvernementale, en appelant du bout des lèvres à « la plus grande prudence » face à la canicule en cours et en se limitant à remercier les sapeurs-pompiers engagés contre le mégafeu audois. La semaine dernière, le commandant Éric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, a pourtant rappelé sur Mediapart que la protection civile avait été affectée par des coupes budgétaires opérées par le gouvernement en place.
Quant à la ministre de l’écologie Agnès Pannier-Runacher, elle martèle depuis le début de l’été que le gouvernement répond présent grâce au déploiement de son Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), une feuille de route qui a pour objectif d’adapter la France à + 4 °C de réchauffement d’ici à la fin du siècle. Or, les manquements du Pnacc sont tels que le Haut Conseil pour le climat a estimé en mars dernier qu’en l’état, les actions envisagées « ne garantissent pas la capacité à protéger les personnes ». Quatorze victimes d’aléas climatiques et associations ont entamé en avril un recours en justice contre la faible portée écologique de ce document.
Une canicule politique
Ce brassage d’air médiatique cache mal la procrastination climatique du gouvernement, qui hypothèque l’avenir des générations futures alors que l’Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite et que Paris est la capitale européenne la plus mortelle en cas de canicule. (...)
Cette incurie gouvernementale conduit aussi à une politique de classe. Depuis 2021, le Haut Conseil pour le climat alerte sur le fait que les deux tiers de la population française sont déjà « fortement ou très fortement » exposés au risque climatique. La vigie française du climat ne cesse de prévenir : les inégalités d’exposition face au dérèglement du climat « risquent de s’aggraver », notamment pour les plus précaires.
Comme Mediapart l’a dévoilé dans une enquête cartographique sur les inégalités climatiques, les quartiers prioritaires de la politique de la ville, des zones urbaines où la part de la population pauvre avoisine les 40 %, sont surexposés aux chaleurs extrêmes. Sans compter les gens du voyage, les habitant·es des quartiers populaires (comme ceux et celles des quartiers Nord de Marseille atteint·es en juillet par les feux) ou des territoires ruraux désertés par les services de l’État telles les Corbières qui sont aussi en première ligne de la surchauffe planétaire.
À l’ombre de ces renoncements du gouvernement en matière d’écologie, perdure en France un capitalisme fossile qui prospère grâce à la vente de pétrole et de gaz – dont la combustion est le moteur du chaos climatique.
Fleuron industriel français qui figure dans le top 20 des entreprises les plus climaticides au monde, la compagnie énergétique TotalEnergies a, rien que depuis le mois de juin, déjà investi dans six projets pétrogaziers en Angola, aux États-Unis ou au Suriname. L’Agence internationale de l’énergie préconise pourtant depuis 2021 l’arrêt immédiat de tout nouveau projet fossile afin de freiner le dérèglement climatique.
Pis, la France est devenue en 2024 le plus gros importateur européen de gaz naturel liquéfié russe. (...)
les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre de notre pays sont liés à l’usage des énergies carbonées.
Cette dépendance fossile, qui attise le brasier climatique en cours, associée aux coupes budgétaires dans les politiques écologiques, a conduit à ce que les rejets de CO2 ont arrêté de baisser en France depuis le premier trimestre et devraient stagner en 2025.
En ce sens, l’inaction gouvernementale face à l’actuelle montée des températures confine au déni climatique. Elle vient confirmer, comme l’écrivait le sociologue Eric Klinenberg à propos de la canicule qui tua 700 personnes à Chicago en 1995, qu’une vague de chaleur est « une catastrophe causée par l’environnement, mais socialement organisée ».