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Mediapart
Face à Milei, le monde de la musique entre en résistance
#Argentine #Milei #Culture #resistances
Article mis en ligne le 15 janvier 2025
dernière modification le 12 janvier 2025

En réduisant le budget de l’État destiné à la culture et en stigmatisant les artistes, le président argentin, au pouvoir depuis un an, s’est mis le secteur culturel à dos. Paroles d’acteurs culturels angoissés mais combatifs.

(...) Alliant piano, contrebasse, alto, violons et le mythique bandonéon, la troupe présente ce soir de décembre son nouvel album, Basta, devant un public de 200 habitué·es. Mémoire de la dictature ou refus de la xénophobie : les diatribes politiques du leader du groupe Yuri Venturin ponctuent l’enchaînement de morceaux.

Un « Dégage Milei ! » fuse du fond de la salle à l’annonce de l’un d’eux, « Diciembre ». La pièce musicale, aux allures de marche militaire macabre, fait allusion au mois de 2023, qui a vu le président ultralibéral prendre ses fonctions. Fondé il y a vingt ans par la formation artistique éponyme, le Caff est l’une des principales institutions soutenant la musique indépendante et alternative à Buenos Aires. Mais sa survie est menacée par les politiques d’austérité menées par Javier Milei. (...)

la révolution culturelle dont Milei se veut le Che néolibéral est d’extrême droite. Et elle vise les artistes en premier lieu. Pour le libertarien Javier Milei, ces derniers sont des « gauchistes de merde ». Quant à la culture, elle n’est rien de plus qu’« une dépense qui n’apporte rien ».
Suppressions ou baisses drastiques

« Dans le modèle qu’il défend, la productivité gagne face à l’art et à la créativité », constate amèrement Martina Cardozo, guitariste du groupe de cumbia La Revuelta (« la révolte »). Dès sa campagne électorale, Milei a désigné le secteur comme une future victime de sa thérapie de choc visant le « déficit zéro ».

Une fois à la tête de l’État, il a tenu ses promesses en taillant le budget alloué à la culture. Première sanction : la priver de ministère et la rabaisser à un secrétariat d’État. Le paquet de mesures que le chef d’État a présenté au Congrès dès son arrivée au pouvoir s’est attaqué au financement de l’Institut national de la musique (Inamu).

Pourtant, depuis la création de cette entité publique indépendante de l’État en 2012, « la collaboration avec les musiciens se passe très bien et les politiques menées sont efficaces », affirme Gustavo Rohdenburg, président de l’Union des musiciens indépendants (Umi). L’institution est désormais passée sous le joug de l’État et son financement fixe (2 % des impôts récoltés via la redevance audiovisuelle locale) est passé à la trappe.

Les subventions permettant d’organiser des festivals gratuits de quartier ? Supprimées. Les aides financières pour intégrer le circuit culturel dans l’offre touristique ? Supprimées. (...)

Stigmatisation violente

Au-delà des politiques publiques – ou de leur absence –, le discours nauséabond véhiculé par Milei a des conséquences sur le quotidien même des artistes, et peut menacer jusqu’à leur sécurité. (...)

La chanteuse pop argentine Lali Espósito en a fait les frais. À 33 ans, elle est devenue une icône de la gauche après avoir subi le harcèlement de l’armée de trolls de Milei sur les réseaux sociaux. Le clip de son morceau « Fanatico », sorti le 24 septembre dernier, présente de nombreuses références à la joute verbale à laquelle se livrent l’interprète et le président depuis un an, par interviews interposées.

En la provoquant à diverses reprises, l’affublant notamment du surnom Lali « Deposito » (« dépôt »), Milei a braqué les projecteurs sur elle. Résultat : en deux mois, sa vidéo cumule 9 millions de vues. Et sa chanson s’est muée en un hymne de l’opposition résonnant à chaque manifestation. (...)

Et les intimidations vont parfois jusqu’à des agressions physiques. Samedi 20 novembre, le groupe de percussions Jacarandá a été visé par des balles en caoutchouc lors d’une présentation publique sur une place d’Adrogué, dans la zone sud du Grand Buenos Aires. En toute impunité. (...)

Si elle est délaissée par l’État, la culture l’est également par ses spectateurs et spectatrices. « Le secteur est en panne car notre public n’a plus les moyens financiers d’assister à nos propositions, aussi accessibles soient-elles », s’attriste Mónica Szalkowicz, gestionnaire du Luzuriaga Club Social. Bilan des douze mois de politiques d’austérité menées par Milei : un·e Argentin·e sur deux vit actuellement sous le seuil de pauvreté. (...)

Pour vivre de la musique, Fernando Vilte Ruiz, 25 ans, a quant à lui décidé de se tourner vers des organismes privés. « Je n’ai pas la possibilité de travailler dans les programmes d’orchestres publics car les bourses et les places sont rares », constate ce jeune flûtiste qui vient de terminer sa formation musicale. (...)

Les droits des travailleurs de la scène musicale ne sont pas les seuls à être emportés par l’ouragan Milei. Les femmes, les personnes LGBTQIA+, les retraités et les étudiants sont eux aussi des victimes collatérales de sa quête d’excédent budgétaire. « Nous sommes aussi des citoyens : il n’y a pas de solutions individuelles pour les problèmes collectifs », souligne le musicien Rohdenburg. Alors les artistes portent avec eux les maux de la société argentine tout entière, avec deux mots comme boussole : résistance et solidarité. « Notre pays a une histoire de lutte dans la rue. La culture doit être partie prenante de cette résistance du peuple, car elle en fait partie », affirme Matías Woinilowicz.

Au Caff, l’entrée aux concerts est désormais gratuite pour les retraité·es. Dans le couloir qui mène à la salle principale, un caddie a fait son apparition pour collecter de la nourriture pour les soupes populaires du coin. « Nous avons choisi la cumbia et les rythmes latino-américains pour revendiquer les sonorités de notre région, alors que Milei prône la servilité aux États-Unis », expose de son côté la guitariste de La Revuelta, Martina Cardozo.

Quant au choix du coopérativisme, il est pensé en opposition au chacun pour soi libertarien. « Notre rôle est de tenir bon, en faisant front ensemble. »