
Jérémie Rouzaud utilise l’épargne des plus fortunés pour isoler des immeubles. À l’occasion de la Journée nationale de lutte contre la précarité énergétique, rencontre avec l’un des plus gros acteurs de la rénovation en France.
il rachète des bâtiments pour les mettre ensuite en location. Avec une singularité : il isole et restaure ses logements. En six ans, Kyaneos, l’entreprise de cet ex-trader, est ainsi devenue l’un des plus gros acteurs de la rénovation en France.
Ce matin de novembre, il nous emmène dans les rues étroites du village de Fabrègues, dans l’Hérault, visiter l’une de ses dernières acquisitions. Un vieil immeuble comprenant deux appartements et quatre studios. Il y a peu, l’endroit était « innommable », glisse le dirigeant : « Une véritable passoire. » Sur les photos, le plafond fissuré, les murs décrépits et le sol usé lui donnent raison.
Dix mois et près de 400 000 euros de travaux plus tard, l’édifice est méconnaissable. Façade ravalée, toiture refaite, plancher remplacé… Sans compter l’isolation des murs et le double vitrage. « Ici, on ne rénove pas à la petite semaine », sourit Grégory Manganaro, maître d’œuvre du chantier. (...)
Sous-entendu, la plupart des propriétaires bailleurs se contentent de changer les fenêtres et de remettre un coup de peinture. « Du maquillage » incapable d’améliorer durablement la qualité du logement, selon le chargé de travaux.
Forte écoanxiété
Depuis cinq ans, Kyaneos a ainsi rénové 600 immeubles — soit quelque 1 000 appartements par an — à travers l’Hexagone, passés pour la plupart du statut glaçant de passoire à l’étiquette C du diagnostic de performance énergétique. Un résultat très correct pour des bâtiments anciens. Le tout sans aide publique.
Alors que la rénovation thermique patine au niveau national, ce succès interroge. Pour comprendre ce résultat, il faut remonter plus de dix ans en arrière. Jérémie Rouzaud était alors trader à la City de Londres. (...)
« l’épargne immobilière représente 7 à 8 milliards d’euros par an, explique-t-il. Si on flèche même une toute petite partie de cette somme vers des logements à isoler, on peut résoudre le problème des passoires. » Simple sur le papier, son plan s’est pourtant rapidement transformé en parcours du combattant.
« Au début, personne n’y croyait »
Car ne gère pas des millions d’euros qui veut ! Avant de se lancer dans l’aventure, il a fallu décrocher le précieux sésame de « société civile de gestion immobilière » auprès de la tatillonne Autorité des marchés financiers. Deuxième défi, et non des moindres, convaincre des épargnants, si possible riches, de lui confier une partie de leur pécule. « Au début, personne n’y croyait, ça a été une descente aux enfers, raconte Jérémie Rouzaud. En 2019, j’étais au bord de la faillite personnelle. » (...)
Mais le malheur du monde faisant le bonheur de certains, le Covid a sauvé in extremis Kyaneos de la déconfiture. (...)
« L’immobilier tertiaire [bureaux, commerces] a chuté, alors que le résidentiel s’est maintenu… Les gens télétravaillaient et n’allaient plus dans les magasins, mais continuaient de se loger, résume le dirigeant. D’un seul coup, on a vu affluer des épargnants. » (...)
Des dividendes pour les épargnants et des logements bas-carbone et abordables [1] pour les locataires : une solution « gagnant-gagnant » ou une opération de philanthropie capitaliste ? « On ne révolutionne pas le système, admet le fondateur de Kyaneos, et on est une goutte d’eau dans l’océan du réchauffement climatique. » Mais derrière ses lunettes carrées, ses yeux s’allument : « Quand on permet à des familles de sortir du mal logement, c’est tout de même très gratifiant. »
Avec son modèle lucratif et écolo, la société de Jérémie Rouzaud fait figure d’« objet financier non identifié ». (...)
Manque d’incitations fiscales
Une réussite obtenue non sans peine. « J’ai souvent l’impression de tirer un 26 tonnes, soupire-t-il. La rénovation, tout le monde en parle et l’encense, mais personne ne la fait. » Outre les nombreux blocages identifiés par les experts — fouillis des aides, manque d’accompagnement —Jérémie Rouzaud fustige le manque d’incitations fiscales. (...)
Autre « erreur », d’après le spécialiste, « les politiques ont confié la rénovation aux particuliers, alors que ce n’est pas leur métier, et qu’ils peuvent rapidement se faire avoir ». À l’inverse, sa société a très vite embauché une trentaine d’experts en travaux, chargés d’orchestrer ces chantiers complexes. Enfin, il constate un verrouillage culturel persistant : « Dans le monde de l’immobilier, la gloire, c’est de faire du neuf, la rénovation, c’est le parent pauvre. » (...)
« Construire un mètre carré en neuf émet 1 tonne de CO2, contre 300 kg pour un mètre carré rénové. » (...)