Témoignages · Trois ans après la fin de la guerre, environ 1 million de déplacés n’ont pas pu rentrer chez eux. Pire, l’occupation de l’ouest de la région par les forces amharas provoque de nouveaux départs.
(...) Humera. Cette ville est située dans l’ouest du Tigray. Elle est toujours occupée par les troupes régionales et les milices venues de la région voisine de l’Amhara, alliées aux Forces de défense nationale éthiopiennes pendant la guerre civile (2020-2022), malgré la fin officielle du conflit dans cette région septentrionale d’Éthiopie, le 2 novembre 2022. Cette occupation empêche environ 1 million de personnes déplacées de rentrer chez elles, selon l’Administration intérimaire du Tigray. Elles survivent toujours péniblement dans des camps de fortune dans la région du Tigray et au Soudan frontalier. La situation continue aussi à jeter des civils sur les routes. (...)
Le 3 septembre, Assefa Gebrehiwot, chef du groupe de coordination des personnes déplacées à Sheraro (nord-ouest du Tigray), a déclaré que 1 500 nouveaux déplacés de l’ouest du Tigray étaient arrivés dans cette ville depuis un an. « Certains individus chassés du Tigray occidental ont été amenés ici avec l’aide de la police fédérale », a précisé Assefa Gebrehiwot au média local Wegahta Facts. Le rapport publié fin août par la Commission d’enquête sur le génocide au Tigray, mise sur pied par les autorités régionales, évoque en outre « 56 à 107 déplacés [qui] arrivent quotidiennement » à Endabaguna, à 115 kilomètres au sud-est de Sheraro, généralement poussés par des raisons sécuritaires et économiques.
Les autorités se renvoient la responsabilité (...)
« Si nous parlons tigrigna ou si nous écoutons de la musique tigréenne, les soldats nous menacent ou nous accusent d’être des membres de la “junte“ [en référence aux combattants des Forces de défense du Tigray actifs pendant le conflit, NDLR]. Mes parents ne savent parler que cette langue, ils sont donc en danger. Et en même temps, ils ne peuvent pas partir car ils ne sauraient pas répondre aux interrogatoires aux nombreux points de contrôle qu’il faut franchir pour rejoindre les zones sous le contrôle de l’Administration intérimaire du Tigray. »
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Les champs fertiles du Tigray occidental sont au cœur de cette bataille politique qui empêche ses riverains d’y vivre dignement ou d’y retourner sans crainte. « Ce sont nos terres mais nous ne sommes plus autorisés à les cultiver, déplore Asuh. Avant la guerre, mes parents vivaient de l’agriculture. Mes quatre sœurs et moi, tous réfugiés dans des camps, devons désormais leur envoyer de l’argent », raconte le jeune homme, qui dépend lui-même de l’aide humanitaire. Il y a encore cinq ans, Tsedenya cultivait sur sa parcelle du sésame, du sorgho et du maïs. « Les Amharas ont pris nos terres. L’unique option consiste à travailler pour eux », s’indigne celle qui a rejoint Shire début 2025, lasse d’être traitée comme « une citoyenne de seconde zone ». (...)
. « Les Amharas veulent éliminer le peuple tigréen », accuse Tsedenya non sans rappeler les éléments en faveur de la thèse d’un génocide perpétré pendant le conflit rapportés en juin 2024 par le cercle de réflexion états-unien du New Lines Institute. (...)
Hiwot fait partie des survivantes de violences sexuelles. Comme elle, plus de 120 000 Tigréennes ont été violées par les militaires de l’armée fédérale, les miliciens amharas ou encore les forces érythréennes, qui se sont battues elles aussi aux côtés des militaires éthiopiens. « Chaque fois que je vois des soldats portant l’uniforme amhara, je me sens mal. Cela me rappelle ce qu’il s’est passé », déplore cette femme de 50 ans qui souffre de séquelles physiques. Cette hôtelière a perdu à la fois son établissement, « pillé », et ses terres, « prises par les Amharas ». Réduite à la charité de l’Église, elle s’est dirigée vers Shire en juillet. « À Tsegede, dans l’ouest du Tigray, il n’y a pas de paix, affirme la rescapée. Je suis toujours ciblée par les forces amharas. Ici, à Shire, nous vivons en paix mais nous n’avons pas à manger… » (...)
Depuis la cessation des hostilités, l’aide humanitaire a drastiquement diminué. L’étau se resserre davantage sur les déplacés tigréens depuis le démantèlement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USaid) amorcé par le président états-unien, Donald Trump, en janvier. En juin, l’ONG Médecins pour les droits de l’homme, qui regrette une moindre prise en charge des survivantes de viols et des patients atteints du VIH, indiquait :
Près de la moitié des enfants éthiopiens souffrant d’un retard de croissance, les interventions en matière de nutrition et de sécurité alimentaire financées par les États-Unis étaient cruciales. Ces programmes, notamment de supplémentation alimentaire et de suivi de la croissance, sont désormais gravement perturbés.
Pour mettre fin au calvaire des déplacés, et empêcher de nouveaux départs, Meressa Dessu, chercheur à l’Institute for Security Studies basé à Addis-Abeba, propose de « revenir au statu quo d’avant la guerre, puis de donner aux habitants la possibilité de décider par eux-mêmes. Le gouvernement doit les laisser s’administrer eux-mêmes, sans les Amharas ni le FLPT, et choisir s’ils veulent former une nouvelle région. » Cette solution est rendue possible par une disposition constitutionnelle prévoyant la formation d’une nouvelle région sur le principe de l’auto-administration, précise le chercheur. (...)