
Des parents d’élèves et des enseignants de la région d’Argentan, dans l’Orne (Normandie) accusent Laurence Brillaud, inspectrice de l’Éducation nationale (IEN), d’avoir des « pratiques destructrices ». Son management aurait pour conséquence de générer d’importantes souffrances chez les professeurs des écoles.
Ces assertions ont resurgi au détour d’un courrier destiné à la rectrice de l’académie de Normandie et diffusé sur Facebook. Les parents d’élèves d’Écouché-les-Vallées écrivent qu’« il semblerait que nos enseignants subissent une pression anormale depuis quelques années de la part de leur hiérarchie ». Ils évoquent « un mal-être généralisé de la part des professeurs des écoles ».
Des mots qui ont pressé cette cadre de l’Éducation nationale jusqu’à la gendarmerie afin de déposer plainte pour diffamation, en juin 2023, comme l’a révélé le Journal de l’Orne.
Mais à quel « mal-être » les parents d’élèves de l’Orne font-ils référence ? Alors que l’Éducation nationale doit faire face aux harcèlements subis par les élèves, fléau qui gangrène d’innombrables établissements, l’institution serait-elle, concomitamment, responsable de harcèlement vis-à-vis de ses enseignants ?
Nous avons enquêté et retrouvé la trace de plusieurs enseignants de primaire qui témoignent de leur détresse liée au management de cette IEN. A contrario, elle comme sa hiérarchie se murent dans le silence.
« Je me suis transformée en fantôme » (...)
Solène aimerait « comprendre pourquoi l’institution n’a pas pu [la] protéger, n’a pas essayé de trouver les solutions pour améliorer les conditions de travail ».
J’étais une enseignante impliquée et motivée. Maintenant, je suis un fantôme.
Dans un autre courrier envoyé à l’adjoint au directeur académique, Solène écrit : « Que fallait-il donc pour que la pleine mesure de la situation soit enfin prise ? Un suicide ? […] Beaucoup trop de témoignages de personnels vous sont déjà parvenus avec des conséquences importantes et irréversibles sur leurs vies professionnelles et privées. Il est criminel de ne pas agir […]. »
Dans une précédente lettre de huit pages, datée de juin 2019, que nous avons consultée, l’enseignante annonce « vouloir mettre un terme » à sa profession (...)
Solène reproche à son ancienne IEN une intrusion zélée dans sa pratique d’enseignement en demandant des modifications spatiales de sa classe et une pédagogie « définie par ses soins ». (...)
une responsable syndicale assure en juin 2019 que son cas n’est pas « isolé » : « La liste commence à être longue. » (...)
Des propos corroborés par une militante d’un autre syndicat qui nous assure avoir « recueilli une vingtaine de témoignages de collègues en souffrance à cause de cette inspectrice » (...)
Nous avons contacté plusieurs de ces enseignants en souffrance qui, pour certains, sont suivis par l’action sociale de l’académie de Normandie. (...)
« ces multiples injonctions déstabilisent ma pratique », « j’ai le sentiment d’avoir perdu toute liberté pédagogique », « je suis dans l’insatisfaction et j’ai perdu le plaisir d’enseigner, au point que revenir à l’école me paraît insupportable ». Cette enseignante a été arrêtée plusieurs mois. (...)
Une autre enseignante longtemps en arrêt-maladie nous explique que « dès que cette IEN prend une personne en grippe, elle va s’acharner dessus toute l’année ».
Des affirmations confirmées par un autre enseignant qui a eu de la part de cette IEN « un rapport d’inspection destructeur ». « Ça ressemblait à un règlement de compte », nous confie-t-il. (...)
« Elle m’a demandé des méthodes pédagogiques délirantes. J’ai appliqué ce qu’elle me demandait au début, puis j’ai laissé tomber. Ses exigences étaient totalement déplacées, comme si elle était déconnectée du réel. »
La gendarmerie sur l’affaire
Les témoignages que nous avons collectés se suivent et se ressemblent : imposition d’une méthode pédagogique, dénigrement en public, convocations, pression maximum et parfois burn-out. « J’ai tout fait remonter à la direction académique. Rien ne s’est passé », peste une enseignante qui préfère que son calvaire ne soit pas relaté dans notre article par peur de représailles. (...)
Les fonctionnaires qui ont pris la parole pour nous décrire leur réalité font preuve de courage, parce que comme nous le fait remarquer l’un d’eux : « On a été convoqué par l’IEN pour nous dire que les enseignants n’ont pas le droit de parler à la presse. Ce n’est pas que je ne veux pas, mais si je parle, je vais me faire taper sur les doigts. » (...)
En 2020, certains enseignants à bout, confrontés au silence de leur hiérarchie, ont décidé de saisir la justice. Selon nos informations, la gendarmerie d’Argentan a travaillé sur l’affaire Brillaud. La procédure n’a pas pu aboutir faute de témoignages suffisants. Les enseignants « semblent avoir peur des conséquences », note un gendarme dans un document que nous nous sommes procuré. (...)
Lors de notre enquête nous avons découvert qu’avant son arrivée dans l’Orne, cette inspectrice de l’Éducation nationale a laissé un souvenir impérissable dans le Vaucluse. (...)
Contactée, Laurence Brillaud n’a pas daigné nous répondre. L’adjoint au directeur académique en charge du premier degré, Yannick Ruban, nous a fait savoir par mail qu’il n’avait « pas d’éléments à [nous] communiquer ». Joint par téléphone, le directeur académique, Jean-Luc Legrand a déclaré n’avoir « rien à dire sur le sujet ».
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– (Le Tarn Libre)
L’institutrice graulhétoise s’effondre au pied de la DSDEN après un entretien : appel à la grève et au rassemblement le 21 novembre à Albihttps://www.letarnlibre.com/linstit...
Le syndicat enseignant FSU-SNUipp 81 a informé, ce vendredi 17 novembre, par la voie d’un communiqué, d’un appel à la grève et d’un rassemblement, mardi 21 novembre à partir de 16h30, devant la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale (DSDEN) du Tarn, suite à un “événement aux conséquences extrêmes” vécu, cette semaine, par une institutrice de l’école Victor-Hugo de Graulhet.
“Une collègue de l’école Victor-Hugo de Graulhet a été reçue pendant 1h30, mercredi après-midi, en entretien à la DSDEN par l’ensemble des chef·fe·s (DASEN, IEN A, Secrétaire Générale, IEN), accompagnée par deux représentant·e·s de la FSU-SNUipp. L’entretien a été d’une dureté assez rare et extrêmement éprouvant, à tel point qu’en sortant de celui-ci, cette collègue a eu de plus en plus de mal à respirer jusqu’à s’effondrer au pied des marches de la DSDEN”, explique l’organisation syndicale avant de poursuivre : “les pompier·ère·s ont dû la stabiliser sur place et l’amener aux urgences. C’est la première fois qu’un entretien se termine de façon aussi dramatique, mais de plus en plus fréquemment, les collègues ressortent des entretiens avec la hiérarchie, lessivé·e·s, vidé·e·s, remis·e·s en cause dans leur professionnalisme, souvent en arrêt maladie et ayant perdu toute motivation pour leur métier”. La FSU-SNUipp ajoute également que des personnels de l’école Victor-Hugo ont décidé de se mettre en grève, mardi 21 novembre, pour “dénoncer les conditions de l’entretien de leur collègue et ses conséquences, le manque de soutien et le mépris de la hiérarchie”. D’autres écoles du Graulhétois, ainsi que des personnels du collège Louis-Pasteur sont en discussion pour se joindre au mouvement. Le rassemblement de la semaine prochaine devant la DSDEN à Albi, a été fixé à 16h30. “Cette grève et ce rassemblement sont l’occasion pour nous toutes et tous qui constatons de plus en plus le manque de soutien de notre hiérarchie lorsqu’un problème survient sur nos écoles de dire qu’il y en a marre ! Si nous laissons faire, bientôt, il n’y aura plus de limite dans la façon dont nous sommes traité·e·s”, conclu la FSU-SNUipp 81.