Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Enfants et écrans, le gouvernement sommé de réagir
#enfants #smartphones #addictions
Article mis en ligne le 30 mai 2024
dernière modification le 28 mai 2024

L’addiction de toute une génération d’enfants aux écrans est devenue un problème de santé publique. Alertés par les parents, les élus commencent à se saisir du problème, mais font face au cynisme des industriels du secteur.

Des maires qui interdisent le smartphone dans l’espace public et aux abords des écoles, des experts qui condamnent « la marchandisation des enfants » par les industriels du numérique, des groupes de parents qui s’organisent pour ne pas céder aux pressions sociétales et ne pas acheter de téléphone à leurs enfants, une ancienne ministre qui ouvre le débat sur un rationnement d’internet, des internautes qui se désabonnent en masse de réseaux sociaux jugés toxiques…

Indéniablement, il se passe quelque chose sur le front technocritique depuis quelques mois. Un léger frémissement, un surcroît de résistance face à la « submersion numérique ». (...)

une prise de conscience des dégâts de notre addiction émerge.

Même les pouvoirs politiques, prompts à vanter la dématérialisation des services publics ou à se mettre en scène sur TikTok se rendent compte du problème. (...)

Dans un rapport commandé par le chef de l’État, rendu public en avril, une dizaine d’experts haussent, eux aussi, le ton. « Ce qui fait la richesse d’une nation, c’est sa jeunesse, et la nôtre n’est pas à vendre », écrivent-ils. Après une centaine d’auditions, leur analyse est sans appel. « La commission a été bousculée par les constats qu’elle a eu à faire sur les stratégies de captation de l’attention des enfants, où tous les biais cognitifs sont utilisés pour enfermer les enfants sur leurs écrans, les contrôler, les réengager, les monétiser », décrivent-ils, comparant l’industrie du numérique à celle du tabac ou de l’alcool, avec ses milliards d’euros de bénéfices.

Ils dénoncent la fabrique du doute organisée par les professionnels pour éviter toute régulation du secteur. Les chercheurs préconisent de limiter au maximum l’exposition aux écrans des enfants de moins 6 ans, d’attendre 11 ans pour un téléphone portable et 13 ans pour un smartphone avec un accès à internet. (...)

« Au cours de notre recherche, nous avons été choqués par le cynisme des industriels, des concepteurs de réseaux sociaux, des jeux en ligne jusqu’aux fournisseurs d’accès. Tous se renvoyaient la balle et affirmaient que ce n’était pas de leur responsabilité », confie à Reporterre, la neurologue Servane Mouton, coprésidente de la mission. La médecin insiste, au contraire, sur l’aspect « systémique » du problème. (...)

Il est vrai que les rapports s’accumulent sur le sujet, tous plus alarmants les uns que les autres. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), les seuils sanitaires préconisés sont largement dépassés. La grande majorité des enfants passent plus de temps devant les écrans qu’en classe, au détriment de leur santé physique et mentale, de leur développement, de leur bien-être, ou de leur réussite scolaire. (...)

« Ce n’est pas qu’une question de bons ou de mauvais usages, souligne Servane Mouton. L’outil numérique, en soi, n’est pas neutre. C’est une technologie issue du monde militaire, avec des procédés addictogènes et des logiques de surveillance. »

Face à ces nouveaux acteurs, la commission dit avoir trouvé des « parents déboussolés », des « acteurs publics démunis ». « C’est terrible de voir une génération se déconnecter ainsi du réel alors qu’on a jamais eu autant besoin d’en prendre soin. Au lieu de réhabiter le monde différemment, on le fuit dans une réalité virtuelle. C’est une réflexion globale sur notre société que nous devons avoir », constate la neurologue. (...)

Pour résister à ce raz de marée numérique, les initiatives se multiplient. Chacun à sa mesure tente de faire barrage. (...)

Alors que l’on compte, en moyenne, dix écrans par foyer, le sevrage est difficile. (...)

« Il faut combattre le smartphone sur le plan du désir », dit Eneko Jorajuria. (...)

De plus en plus de familles font part de leur dilemme à l’arrivée au collège et les injonctions contradictoires qu’elles vivent. Faut-il équiper les enfants d’un premier téléphone portable, quitte à alimenter leur addiction, ou au contraire prendre le risque de les couper de leurs pairs ?
« Une génération sacrifiée »

Le collectif Coline plaide pour une interdiction du smartphone au collège et lutte contre la numérisation à l’école en réclamant par exemple le retour des manuels papiers. Récemment, des parents ont aussi créé un pacte smartphone. L’idée est de combattre l’isolement des familles, de constituer une force collective au-delà des réseaux informels ou affinitaires pour faire pression sur l’institution.

« Nous sommes en train de sacrifier toute une génération, s’alarme Olivier Le Port, à l’origine du pacte. On réfléchit à porter plainte contre l’État pour non assistance à personne en danger » (...)

« Nous attendons de voir comment l’exécutif va rebondir sur les propositions de la commission d’experts. Ce rapport marque clairement une rupture avec l’ère du déni, qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui », dit Yves Marry.