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Mediapart
En Nouvelle-Calédonie, la machine judiciaire tourne à plein régime
#NouvelleCaledonie #Kanaky #repression
Article mis en ligne le 5 juin 2024
dernière modification le 4 juin 2024

Le tribunal de Nouméa se retrouve à l’épicentre de la répression judiciaire des révoltes. C’est aussi dans cette enceinte que débutent des enquêtes au long cours, notamment sur les sept morts recensées depuis le 13 mai.

Depuis le début de la crise en Nouvelle-Calédonie, et des « troubles à l’ordre public » qu’elle a engendrés, 725 personnes ont été interpellées, d’après le bilan du haut-commissariat de la République au 1er juin. Au tribunal de Nouméa, où toutes les affaires non urgentes sont remises à plus tard, une audience de comparution immédiate se tient chaque jour, contre deux par semaine en temps normal.

Les condamnations y sont expéditives et sévères, comme demandé par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui a appelé les magistrat·es à « garantir les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ».

Le mercredi 29 mai, deux jeunes indépendantistes kanak de 21 et 24 ans ont ainsi été condamnés à six mois de prison, avec mandat de dépôt, pour avoir jeté respectivement une bouteille et un caillou en direction des blindés de la gendarmerie. Deux jours plus tôt, c’est un homme kanak de 38 ans qui est parti en prison pour deux ans.

Le 15 mai, Henrick W. transportait une dizaine d’émeutiers armés dans la benne de son pick-up, drapeau de la Kanaky au vent, quand deux voitures de police l’ont bloqué à l’entrée d’une station-service. Il est accusé d’avoir redémarré et foncé sur un policier, contraint de tirer sur le véhicule pour l’arrêter, sans succès.

« J’ai pensé que c’était la milice, j’ai eu peur qu’on nous tue », a expliqué le prévenu, qui s’était rendu au commissariat quelques jours après les faits. (...)

La semaine précédente, quatre prévenus étaient jugés pour vol après s’être servis dans des magasins pillés : des cartons de bières dans un supermarché, des appareils électroménagers chez Darty. Ils ont été conduits au tribunal en hélicoptère pour recevoir leur peine : huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt pour deux d’entre eux, une peine aménageable pour les deux autres. Dès le 16 mai, quatre jeunes hommes étaient condamnés à des peines de prison ferme pour avoir forcé les portes d’un Carrefour Market et volé des bouteilles d’alcool.

Dans leur cas, le tribunal n’a pas ordonné d’incarcération immédiate, compte tenu de la situation intenable à la prison de Nouméa. (...)

La situation « explosive » de la prison de Nouméa

Les révoltes en Nouvelle-Calédonie ont déjà donné lieu à une cinquantaine d’incarcérations supplémentaires. Le magistrat cité ci-dessus s’étonne que cette situation potentiellement « explosive » ne fasse pas l’objet d’une visite de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui avait déjà formulé des recommandations en urgence en 2011 et 2019. (...)

Mercredi, le président du tribunal de Nouméa, Philippe Guislain, a d’ailleurs invité ceux qu’il venait de condamner à envisager un recours contre les conditions de détention au Camp-Est. Face à cette situation catastrophique, également pointée par le personnel pénitentiaire, trente détenus ont été transférés ces derniers jours vers la nouvelle prison de Koné, la capitale du Nord, ouverte en février 2023. D’autres pourraient être envoyés en métropole.

Toutes les personnes présentées à la justice pour leur participation supposée aux révoltes qui embrasent l’archipel depuis quinze jours n’ont pas encore été jugées. (...)

Les avocats proches des indépendantistes pointés du doigt

Louise Chauchat fait partie des quelques avocat·es à défendre des Kanak. Pour l’instant, elle n’a pas encore traité de dossier judiciaire et s’est concentrée sur les cas de neuf personnes assignées à résidence. Une position délicate à tenir au sein d’un barreau qu’elle décrit comme « majoritairement loyaliste ».

D’autant plus que Me Chauchat est aussi militante et qu’elle n’hésite jamais à prendre position dans les médias en faveur de l’indépendance de l’archipel. (...)

Depuis qu’elle s’est publiquement exprimée sur les révoltes, Louise Chauchat et son associé ont reçu une avalanche de messages plus ou moins agressifs. (...)

Outre ses confrères et consœurs, Louise Chauchat doit aussi composer avec des clients souvent très méfiants. (...)

Parmi les personnes interpellées figure une majorité de Kanak ayant un accès parfois limité aux moyens de communication. Pour les aider à connaître leurs droits, mais aussi pour les inciter à les faire valoir, la Legal Team antiracisme avait diffusé sur les réseaux sociaux un document rappelant les principales consignes à respecter en cas d’arrestation.

Des enquêtes de longue haleine

Les événements récents ont aussi déclenché l’ouverture de plusieurs enquêtes criminelles appelées à durer des mois, voire des années. C’est le cas, bien sûr, de celles qui portent sur les sept homicides recensés depuis le début des violences, cinq civils et deux gendarmes – l’un tué par balle dans son véhicule, l’autre par le tir accidentel d’un collègue. (...)

Mercredi 29 mai, un homme a été grièvement blessé par un gendarme du GIGN alors que l’unité essuyait des tirs. Deux enquêtes ont été ouvertes, l’une pour tentative d’homicide sur les gendarmes, l’autre en recherche des causes des blessures sur l’homme touché. Le procureur a indiqué privilégier la piste « de la légitime défense ».

Lundi 3 juin, à Païta, des gendarmes en repos ont eux aussi « riposté » à des tirs au niveau d’un barrage, a annoncé le parquet. Deux hommes ont été blessés par balles, l’un à la tête et l’autre au bras. Le procureur a ouvert une enquête pour « tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique », ajoutant que « les enquêteurs procèdent également à l’audition des gendarmes ayant fait usage de leur arme ».

Deux autres enquêtes concernent des membres des forces de l’ordre : l’une pour des violences commises par trois agents de police municipale et filmées, l’autre visant une policière adjointe soupçonnée d’avoir divulgué des informations confidentielles pour renseigner les émeutiers.

Dès le 17 mai, le parquet de Nouméa a annoncé l’ouverture d’une vaste enquête visant « les commanditaires » des émeutes et « notamment les responsables de la CCAT » – qualifiée d’organisation « mafieuse » par le ministre de l’intérieur et des outre-mer Gérard Darmanin –, en raison « de leurs déclarations publiques et de leurs mots d’ordre ». Elle vise de nombreux délits, parmi lesquels association de malfaiteurs, vols, dégradations par incendie en bande organisée, groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, ou encore complicité de meurtre. (...)

Corapporteur de la mission, le député La France insoumise (LFI) Davy Rimane a souligné que la majorité des victimes civiles étaient kanak. Or, les mesures individuelles de l’état d’urgence ont visé exclusivement des militants indépendantistes. « On aurait pu par exemple désarmer les milices d’autodéfense, a souligné l’élu de Guyane. On a vu des images des milices qui marchaient avec les forces de l’ordre dans les rues. J’ai un problème avec ça. »