
Depuis six ans, l’avion de l’ONG française Pilotes volontaires survole la mer dans l’objectif d’identifier des embarcations de migrants en détresse. Elle ne vit que grâce aux bénévoles qui constatent, avec amertume, le durcissement des politiques migratoires européennes et ses conséquences sur le terrain.
Les membres de Pilotes volontaires, cette ONG française dont le Colibri 2, un avion de reconnaissance, patrouille dans les airs à la recherche d’exilé·es en détresse en Méditerranée centrale, avouent être usé·es par la fatigue. « Hier, on n’a trouvé que des bateaux vides, quatre au total, rapporte José, le fondateur de l’association. Et les Libyens ont intercepté près de soixante-dix personnes à bord d’un bateau pneumatique. » (...)
« On va s’enquérir des dernières infos, notamment la position du Geo Barents », annoncent-elles, assises à même le sol, un gilet jaune estampillé « Pilotes volontaires » sur le dos. Le navire humanitaire affrété par Médecins sans frontières (MSF) était déjà sur zone cette nuit. Comme les autres, il ratisse les eaux internationales, entre la Libye et l’Italie – et, plus récemment, entre la Tunisie et Lampedusa, une route migratoire qui a connu un rythme effréné en 2023 – à la recherche d’embarcations en détresse à qui il peut porter secours. (...)
Si le Colibri 2 détectait une embarcation en détresse à proximité du navire, celui-ci pourrait lui porter secours, comme l’exige le droit maritime international.
Mais cette année, plusieurs décrets sont venus défier ce même droit, l’un d’eux imposant aux ONG d’aller débarquer leurs rescapé·es immédiatement après le sauvetage, sans porter assistance à d’autres exilé·es même si ceux-ci se trouvent sur leur chemin. La réalité du terrain a montré, au cours des derniers mois, l’absurdité d’une telle mesure, impraticable lorsque les traversées connaissent une flambée. (...)
À 8 heures, chaque membre de l’équipe est installé sur son siège, un gilet de sauvetage sur le dos, la ceinture de sécurité attachée. Le quatrième bénévole, Damien, les accompagnera depuis la terre : c’est l’agent de liaison qui devra transmettre les informations venues des autres ONG ou de la plateforme AlarmPhone (en contact avec les exilé·es ou leurs proches lorsqu’ils se signalent en détresse), mais aussi prévenir les centres de coordination et de sauvetage (surnommés « MRCC ») italien et maltais lorsque des embarcations sont repérées par ses collègues. (...)
« Je vois quelque chose », lâche soudain Alix, qui décrit aux autres la position de ce qu’elle a repéré grâce aux points cardinaux affichés sur ses jumelles. « Visuel ! », confirme José. Il faut aller « lever le doute ». La forme et la taille de ce petit point noir au milieu de l’immensité de la mer peuvent laisser penser à une embarcation de migrant·es.
Il faut savoir les distinguer des bateaux de pêche ou des navires marchands, tout comme il ne faut pas les confondre avec une simple vague blanche ou la ligne de l’horizon, ou encore être trompé par les reflets du soleil. (...)
« On ne doit pas dépasser cent heures de vol en tout », explique José.
Celles-ci sont réparties selon la météo ; une mission dure en moyenne quatre semaines (...)
Les traits marqués, pour certains en manque de sommeil, ils font le bilan. Ils savent qu’ils sont « à [leur] place » : « On sait pourquoi on est là. » L’un est un ancien travailleur humanitaire qui a passé son permis de pilote ; les autres sont juristes spécialisés en droit des étrangers et photographe documentaire indépendante.
Tous et toutes sont bénévoles et consacrent une partie de leur vie à sauver celle des exilé·es qui tentent de rallier l’Europe en empruntant l’une des routes les plus meurtrières au monde, faute de voies légales. L’association ne compte que vingt membres, triés sur le volet, entre peur d’une infiltration malveillante et crainte des petits curieux en quête de sensations fortes. (...)
« On a besoin d’un budget de fonctionnement de 500 000 euros, ce qui n’est pas énorme au vu de notre activité. » En six ans, Pilotes volontaires a effectué près de 400 vols et repéré plus de 1 052 bateaux en Méditerranée, contribuant à sauver plus de 27 300 vies.